Intervention de Sylvie Tolmont

Séance en hémicycle du mardi 23 juillet 2019 à 15h00
Modernisation de la distribution de la presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Tolmont :

En 1947, dans le contexte tout particulier de la Libération, les Nouvelles messageries de la presse parisienne – NMPP – , qui deviendront Presstalis en 2009, ont été créées par la loi du 2 avril relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite loi Bichet. Après quatre années d'occupation et de propagande diffusée par une presse collaboratrice, il était absolument nécessaire de garantir le pluralisme de la presse en permettant à toute publication d'être diffusée sur tout le territoire.

Plus de soixante-dix ans plus tard, nous voici réunis afin d'examiner un projet de loi visant à moderniser ce système de distribution que l'on dit à bout de souffle, et qu'il est donc nécessaire de réinventer pour l'adapter aux changements de notre société et à l'évolution de nos modes de consommation des informations délivrées par la presse. En effet, depuis 1947, l'écosystème de la presse, de la production d'information à la vente en passant par l'acheminement, a été considérablement bouleversé.

Face à la disparition de près de 800 points de vente de presse par an – disparition en partie liée à la chute des ventes de la presse papier au profit des éditions numériques – , il était nécessaire d'intervenir. Nous accueillons positivement le maintien et le respect des principes fondateurs de la loi Bichet : système coopératif, liberté de distribution et égalité de traitement.

La fin de la possibilité pour les éditeurs de presse d'être à la fois actionnaires et clients des messageries est également une mesure dont nous nous félicitons, d'autant plus que cette situation, qui entraîne des conflits d'intérêts, est considérée comme l'une des raisons du déclin de Presstalis.

Pour autant, si nous reconnaissons la nécessité d'adapter un système à bout de souffle économiquement, il nous paraît important de souligner que, en l'état actuel du texte, plusieurs points nous inquiètent particulièrement.

L'ARCEP, tout d'abord, dont les membres sont nommés par le pouvoir politique, et dont les missions correspondent à une analyse de marché et relèvent, par conséquent, du raisonnement économique et financier, supervisera bientôt le secteur en lieu et place des deux instances actuelles, le CSMP et l'ARDP. Une telle situation nous paraît tout à fait inquiétante et peu susceptible de garantir l'objectif constitutionnel du maintien du pluralisme de la presse.

Autre inquiétude : face à certains acteurs de la distribution numérique proposant des modèles de rémunération peu avantageux, la sauvegarde du pluralisme de la presse d'information politique et générale en ligne n'est pas totalement garantie. Afin d'assurer cet objectif et surtout de garantir le libre choix des lecteurs dans la profusion des contenus disponibles en ligne, il nous paraît nécessaire de prévoir des mesures de visibilité et de promotion de l'accès à la presse IPG. Il s'agit là d'adapter pleinement la loi Bichet à l'ère moderne.

L'article 6 de ce projet de loi, ensuite, prévoit que les vendeurs-colporteurs de presse – VCP – bénéficient d'exonérations de cotisations patronales pour le portage de toute la presse, alors même que les porteurs salariés, quant à eux, ne continueront à bénéficier, en l'état du droit, de ces exonérations que pour les quotidiens et les hebdomadaires d'IPG. Alors que le périmètre d'exonération de charges sociales est aujourd'hui identique, ce projet de loi rompt cette symétrie au détriment des porteurs salariés.

L'ouverture à la concurrence de la distribution, enfin, objet majeur de ce projet de loi, nous semble s'opérer au détriment des acteurs historiques de la distribution. L'éventualité d'une ouverture des capitaux à des sociétés spécialisées dans la distribution – Amazon, par exemple – suscite beaucoup de craintes chez les syndicats, qui voient dans cette possibilité les perspectives d'une casse sociale.

En outre, si elle entre en vigueur avant le 1er janvier 2023, une telle mesure fera obstacle à ce que Presstalis mène à bien son plan de redressement. En effet, avec de telles incertitudes, les efforts menés par Presstalis ces dernières années pourraient, à terme, demeurer vains, puisque aucun nouveau contrat ne sera en passe d'être signé – quoi de plus logique ? – , les futurs clients potentiels préférant attendre de savoir quels opérateurs intégreront le marché et quelles offres ils proposeront.

Fort heureusement, le travail des sénateurs socialistes a permis d'encadrer les pouvoirs de l'ARCEP en matière de maintien du pluralisme, de maillage territorial et de transparence des tarifs. Il a également permis de limiter l'intervention de l'autorité de régulation à la distribution groupée de presse, garantissant aux éditeurs qui distribuent directement leurs publications, notamment la presse quotidienne régionale, une totale indépendance vis-à-vis de l'ARCEP. Nous enjoignons le Gouvernement de ne pas revenir sur ces dispositions.

Avec ce texte, s'écrit une nouvelle page de la distribution de la presse écrite en France, plus adaptée aux enjeux contemporains, sans pour autant écarter les principes fondateurs de la loi Bichet. Nous veillerons toutefois à ce que les opérateurs historiques ne soient pas les grands perdants de cette réforme.

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