Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Séance en hémicycle du mardi 23 juillet 2019 à 15h00
Modernisation de la distribution de la presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

La liberté de la presse est constitutionnellement garantie au travers de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. La loi Bichet le rappelle d'ailleurs, qui, dans son article premier, dispose que « la diffusion de la presse imprimée est libre ».

La liberté de la presse est un principe fondateur de notre société sans lequel il n'y a pas de débat démocratique. C'est tout le sens de la réflexion d'Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, où il souligne la corrélation entre la souveraineté du peuple et la liberté de la presse. « Lorsqu'on accorde à chacun un droit à gouverner la société », indique-t-il ainsi, « il faut bien lui reconnaître la capacité de choisir entre les différentes opinons qui agitent ses contemporains, et d'apprécier les différents faits dont la connaissance peut le guider » .

La loi Bichet a défini un modèle unique et novateur de distribution de la presse, fondé sur la solidarité entre les coopérants, qui sont aussi concurrents. Le défi permanent consiste à assurer l'expression du pluralisme tout en distribuant les titres de presse en un temps très court, compte tenu du caractère éphémère des publications, encore renforcé par le développement d'internet. Ce modèle de distribution de la presse convenait à un secteur en croissance, mais la presse écrite est aujourd'hui un secteur en difficulté, et son système connaît une mutation radicale du fait de la diminution du lectorat qui a entraîné la fermeture de nombreux points de vente et la réduction des recettes publicitaires.

Après de nombreuses réformes qui se sont révélées insuffisantes, le présent projet de loi a l'ambition d'adapter le modèle de la loi Bichet aux défis contemporains tout en préservant les grands principes de la distribution de la presse qui nous sont chers. Ceux-ci sont menacés par la situation financière plus qu'alarmante de la principale messagerie de presse, qui s'aggrave d'année en année – cela a été dit, le budget de Presstalis est aujourd'hui grevé de 400 millions d'euros de fonds propres négatifs. Cet état de fait est si préoccupant qu'il nous paraît difficilement concevable que la société puisse se redresser d'ici au 1er janvier 2023.

Bien qu'ayant bénéficié de plus de 250 millions d'euros d'argent public en dix ans, Presstalis n'a pas réussi à se réformer en profondeur. Nous sommes donc très favorables à la mise en concurrence prévue par le projet de loi. Il est temps que d'autres sociétés intègrent le secteur, d'autant que Presstalis distribue 75 % des titres de presse et l'ensemble de la presse quotidienne nationale. L'épée de Damoclès suspendue au-dessus de cette société représente une menace pour la continuité de la distribution de la presse et pour le débat démocratique. La situation de Presstalis risque en effet de ne pas s'améliorer de façon suffisante pour lui permettre d'affronter la concurrence à armes égales en 2023.

Le groupe UDI et indépendants appelle donc votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité d'anticiper la prise en charge de la principale messagerie de presse. Il convient de travailler en bonne intelligence afin de trouver le moyen de résorber la dette colossale de Presstalis sans que cet effort soit à la charge d'un État qui a déjà porté le secteur à bout de bras durant de nombreuses années.

Nous soutenons donc l'entrée de nouveaux acteurs dans le marché de la distribution de la presse pour que la concurrence crée une dynamique positive dans le respect du pluralisme, pour que notre modèle de diffusion de la presse subsiste.

En commission, la nécessité de permettre aux maires de formuler un avis simple ou conforme concernant l'implantation des diffuseurs de presse a été abondamment débattue. L'avis simple nous paraît être un bon compromis en ce qu'il permet de concilier la consultation des maires des communes qui souffrent de la désertification de leur centre-ville ou leur centre-bourg au bénéfice des périphéries et la simplification de l'installation des diffuseurs de presse, nécessaire compte tenu de la baisse régulière du nombre de points de vente.

Il est crucial – je le vois à Paris – que nos kiosquiers puissent vivre dignement de leur métier. Nombre d'entre eux m'ont fait part de la difficulté de leur situation, dans un contexte de dégradation des conditions d'exercice de leur métier, de concurrence accrue des supports numériques et de baisse des ventes de journaux et de magazines. Eux qui sont des éléments essentiels de la vie de quartier et de proximité, ils sont de moins en moins nombreux à Paris et en France. Je pense au fameux kiosquier de Barbès qui s'est battu en vain pour travailler en toute tranquillité et sécurité dans son quartier. Il est urgent et indispensable de remédier à cette situation en allégeant les contraintes qui pèsent sur nos kiosquiers et en facilitant de nouvelles possibilités d'actions de vente.

La libéralisation du marché reste encadrée de façon à permettre aux entreprises de presse de diffuser très largement leurs titres tout en investissant l'ARCEP du rôle de régulateur du secteur.

Aujourd'hui, le secteur de la distribution de la presse s'autorégule par le biais du Conseil supérieur des messageries de presse et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse. La substitution d'une autorité indépendante à ce modèle d'autorégulation bicéphale constitue une avancée majeure pour le secteur. Remplacer deux entités par une autorité de régulation déjà existante contribue à la rationalisation des agences et des autorités publiques dont notre groupe défend le principe depuis de nombreux mois.

Néanmoins, ce serait une erreur de croire qu'ériger l'ARCEP en autorité régulatrice se traduira par un miracle économique pour toute la distribution de la presse. Nous présenterons à ce propos un amendement visant à ce que l'ARCEP dispose des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses nouvelles missions. En effet, cette autorité, qui a l'habitude de travailler à partir d'éléments objectifs, aura pour tâche d'assurer le pluralisme de la distribution de la presse. Si nous voulons qu'elle régule le secteur, il convient de lui donner les moyens nécessaires à l'appropriation de ces nouvelles compétences.

Le cahier des charges est un outil de régulation primordial pour l'ARCEP. Or celui-ci ne sera publié qu'au terme de la période transitoire, soit au 1er janvier 2023. Cela revient à priver l'ARCEP d'un outil de régulation très intéressant. Afin de permettre à l'autorité de régulation de bénéficier de l'ensemble des moyens qui lui sont nécessaires pour mener à bien ses missions durant la période qui précède la publication du cahier des charges, nous défendrons un amendement visant à imposer aux messageries de presse de lui transmettre le schéma territorial ainsi qu'un document présentant les types de prestations et les niveaux de service envisagés du point de vue logistique et financier.

En vue de la définition du cahier des charges, notre groupe considère que l'ensemble des acteurs devraient être consultés. C'est pourquoi nous présenterons un amendement visant à permettre à l'ARCEP d'inviter à s'exprimer tout organisme dont l'avis paraît utile, et non les seules organisations professionnelles représentatives des entreprises de presse.

J'ai parlé du danger que représente la situation financière de Presstalis ; nous considérons que l'attitude de certains syndicats peut être une menace d'égale importance. À de multiples reprises, ils ont empêché la diffusion de titres de presse pour faire entendre leur contestation. Cette pratique est inacceptable compte tenu de l'importance de la presse pour la bonne tenue de nos débats démocratiques. Une minorité ne devrait pas pouvoir opérer une sélection dans la diffusion des titres de presse. L'un de nos amendements vise donc à créer un délit d'entrave à la distribution de la presse. En commission, monsieur le rapporteur, vous nous avez indiqué que divers codes sanctionnaient déjà ces agissements. Mais, si tel est le cas, pourquoi de telles pratiques continuent-elles de prospérer ?

Notre groupe tient enfin à exprimer son soutien aux acteurs de l'ensemble de la chaîne de la presse, des éditeurs aux marchands de presse. J'ai également une pensée toute particulière pour les plus de 400 kiosquiers parisiens, symbole incontournable de notre capitale. Eux aussi sont l'âme de Paris.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.