Intervention de Virginie Duby-Muller

Séance en hémicycle du mardi 23 juillet 2019 à 15h00
Modernisation de la distribution de la presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller :

Nous examinons aujourd'hui un texte que je crois de bon sens.

La loi du 2 avril 1947, dite loi Bichet, issue des travaux du Conseil national de la résistance, rend possible, depuis plus de soixante-dix ans, la diffusion de la presse, chaque jour, sur l'ensemble du territoire, dans des conditions non discriminatoires et d'égalité. Notre démocratie lui doit, assurément, beaucoup.

Toutefois, aujourd'hui, au vu des tensions que connaît la filière, de la concurrence d'internet et de l'érosion des ventes de journaux, cette loi historique a besoin d'être dépoussiérée. Alors qu'elle s'était stabilisée autour de sept milliards d'exemplaires vendus chaque année depuis près de vingt ans, la diffusion de la presse connaît une érosion continue depuis 2009, tombant aujourd'hui à moins de quatre milliards d'exemplaires par an. C'est donc un marché qui, avec 50 % d'invendus, a connu une chute de près de moitié de son volume. La diffusion de la presse au numéro a été divisée par deux, principalement en raison de la baisse des ventes de la presse nationale.

Le réseau des diffuseurs de presse en est très affecté : environ 1 000 points de vente ferment chaque année. En décembre 2014, lors des débats sur la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, nous signalions déjà la crise profonde du secteur. Nous avons tous également en tête le cas Presstalis, qui, récemment, a fait apparaître au grand jour la fragilité de la loi Bichet. En déficit chronique, la société a accumulé plus de 400 millions d'euros de fonds propres négatifs. Due à une accumulation d'erreurs de gestion et de choix stratégiques discutables, cette situation a failli la pousser à la faillite début 2018 ; Presstalis n'a dû sa survie qu'à une aide massive des éditeurs et de l'État.

Notre objectif est donc de faire évoluer le système sans le détruire.

Le projet de loi que nous examinons est le fruit d'un travail substantiel qui prend sa source dans plusieurs auditions parlementaires et dans un rapport commandé par Françoise Nyssen à Marc Schwartz, dont le constat fut sans concession. Le texte, j'en suis convaincue, propose un équilibre satisfaisant. Le nouveau système préserve la diffusion des titres d'information politique et générale sur l'ensemble du territoire, garantie par le Conseil constitutionnel, et redonne une place centrale aux diffuseurs de presse tout en créant les conditions d'un équilibre économique durable du secteur. Il s'attache aussi, de manière plus mesurée, à tenir compte des évolutions que connaît la presse, notamment de la place grandissante du numérique. Je pense que nous pourrions aller plus loin, mais je ne suis pas sûre que ce texte soit le meilleur véhicule législatif pour cela. Nos collègues sénateurs appellent à la modification de la directive sur les services en ligne, dite « e-commerce », de 2004 : c'est une orientation intéressante pour la suite.

Le texte a été amendé par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat dans un souci sincère de coconstruction législative ; j'espère que nous saurons aujourd'hui travailler dans le même esprit transpartisan. Nous soutenons d'ailleurs plusieurs dispositions introduites par le Sénat, notamment la possibilité, pour le Parlement, de saisir l'ARCEP pour avis sur toute question relative au secteur de la distribution de la presse ; la consultation pour avis du maire de la commune par la commission du réseau de la diffusion de la presse avant toute décision d'implantation d'un diffuseur de presse ; ou encore le rétablissement de l'obligation, pour chaque société coopérative de groupage de presse, d'avoir au moins trois associés.

Sur ce dernier point, il s'agit d'éviter les situations de blocage que pourrait susciter un désaccord entre deux associés qui, dans le système coopératif, ne disposent chacun que d'une voix, quel que soit leur poids dans le capital de la société. La mesure permet également de limiter le risque de voir deux gros éditeurs s'unir en formant une coopérative au détriment des autres.

En commission des affaires culturelles, nous avons eu des débats intéressants. Je tiens à saluer l'esprit d'écoute dont a fait preuve le rapporteur, qui a préféré renvoyer certaines questions à l'examen du texte en séance publique, le temps de demander des réponses au ministère.

Je défendrai aujourd'hui, en séance publique, trois amendements.

Je proposerai tout d'abord de limiter à 20 % la part d'actionnariat extracommunautaire direct ou indirect dans une société de distribution de presse, afin, par la distribution de notre presse nationale, de garantir et de protéger la libre circulation des idées et l'expression de la pluralité des opinions contre toute velléité excessive d'influence étrangère. Les sociétés de distribution de presse sont, logiquement, des atouts stratégiques pour notre pays ; elles représentent un enjeu démocratique majeur. C'est pourquoi je suis convaincue que nous devons encadrer les investissements étrangers dans leurs organes de diffusion et de distribution.

Notre deuxième amendement vise à remplacer l'exigence d'homogénéité des sociétés candidates à l'agrément par une exigence de cohérence. Le flou entourant la notion d'homogénéité permettrait à des sociétés candidates à l'agrément de s'engager uniquement sur des schémas territoriaux couvrant essentiellement des zones rentables, dans la mesure où celles-ci bénéficieraient d'un réseau de points de vente relativement dense et donc propice à la réalisation d'économies d'échelle sur les coûts de transport. Elles ne s'engageraient ainsi que sur des zones denses, notamment en population et en points de vente de presse, laissant de côté des zones moins denses et moins rentables. Or, pour le groupe Les Républicains, la notion d'équilibre territorial est très importante.

Notre dernière proposition, qui tient compte des modifications apportées par le Sénat, vise à détailler plus explicitement le rôle et les fonctions des coopératives.

J'espère que nous nous retrouverons à propos de ces amendements.

Même si le texte va dans le bon sens, nous restons vigilants sur certains points.

Je pense tout d'abord à la situation de Presstalis. Avec 400 millions d'euros de fonds propres négatifs, la principale messagerie, la seule à assurer la distribution des quotidiens, se trouve toujours dans une situation critique. La période qui s'ouvre pour elle est celle de la dernière chance, car l'État ne viendra plus à son secours. Nous lui avons donné 90 millions d'euros : il serait bienvenu de suivre leur utilisation et d'exiger des garanties de gestion. Le système que propose le présent projet de loi ne s'appliquera qu'à partir de 2023. D'ici là, faut-il se contenter de maintenir Presstalis sous perfusion ? Il vaudrait mieux le remettre à flot. Comment la société résorbera-t-elle ces 400 millions d'euros ?

Je souhaite également revenir sur la place des collectivités territoriales dans le nouveau processus. Les points de vente de la presse sont centraux dans nos communes : ils constituent des lieux de rencontres et de sociabilité, font vivre des villages, dynamisent des centres-bourgs ; bref, ils sont absolument indispensables. On ne peut que se réjouir de la place que le texte donne aux élus s'agissant de l'ouverture de nouveaux points de diffusion de presse : cette mesure doit absolument être préservée.

Ma dernière inquiétude porte sur le système informatique. Les nouvelles dispositions relatives à l'assortiment ne pourront fonctionner que si un système informatique robuste est enfin mis en oeuvre, ce que nous attendons depuis 2011. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet en commission.

Ainsi, vous l'aurez compris, le groupe Les Républicains salue l'équilibre auquel parvient le texte et compte beaucoup sur les débats à venir pour l'enrichir davantage. Notre objectif est, je le crois, commun et d'ailleurs transpartisan : il s'agit de garantir en France la pluralité de l'information et l'égalité entre les éditeurs, pour une diffusion libre et impartiale de la presse écrite sur l'ensemble du territoire national, en tenant compte des enjeux de rentabilité. Avec cette nouvelle refonte de la loi Bichet, nous entendons également garantir l'avenir du pluralisme en France. Je repense à une situation qui, en mai 2019, n'avait pas manqué de choquer : un kiosquier avait refusé de mettre en vente un exemplaire de L'Équipe où l'on voyait, en une, deux joueurs de water-polo en train de s'embrasser. La diversité et la pluralité de la presse sont notre richesse : elles doivent donc être préservées.

1 commentaire :

Le 26/07/2019 à 12:50, Laïc1 a dit :

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