Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du jeudi 18 juillet 2019 à 10h30
Transformation de la fonction publique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Évidemment vous dites agir ainsi pour renforcer l'efficacité. On ne sait de quelle efficacité il est question, mais tel est, paraît-il, l'objectif politique que poursuivez.

En réalité, tous ces mots-clés, mots creux, mots-valises ont été lancés sur la piste idéologique dans les années 70 avec la théorie du « new public management ». Qu'est-ce que ce machin dont je parlais tout à l'heure ? En bon français, il s'agit de « nouvelle gestion publique ». C'est une doctrine américaine visant à nier, ou à minimiser, les différences de nature entre le public et le privé, et à considérer dès lors qu'il n'y a pas de raison pour que les services publics, qui doivent fournir une prestation à des usagers-consommateurs, fassent l'objet d'un traitement particulier. Tous les modes de gestion, le contrôle de gestion, la réduction des coûts doivent s'appliquer dans la fonction publique comme dans le secteur privé. Le mot-clé de la « nouvelle gestion publique » est le nécessaire « pragmatisme ». Tout est dit ! Cela signifie que le robinet des financements se ferme, que l'agent doit tirer la langue et accomplir le même nombre de missions en ayant moins de collègues.

L'objectif affiché est d'améliorer le rapport coûtefficacité. Cette doctrine préconise aussi – ce qui devrait vous plaire, chers collègues de la majorité – de donner aux citoyens une liberté de choix, et donc d'éviter les prestations standardisées. Je traduis : il faut des solutions au plus proche du terrain, correspondant aux réalités locales.

Elle précise aussi qu'un État-stratège, garantissant la qualité de ce qui est fait, est préférable à un État-acteur, qui fait lui-même les choses. Peu importe qu'il s'agisse d'un service public avec des fonctionnaires, des contractuels, d'une délégation de service public ou même du cas d'une autorisation temporaire pour la construction d'un bâtiment avec un bailleur ou un prestataire privé. L'État ne doit plus mettre les mains dans le cambouis, car ce ne serait pas son rôle, lequel consisterait à superviser – nous revenons à cette idée de « nouveau pilotage ». Cela se traduit par la création d'agences tous azimuts. On parle d'ailleurs, au niveau européen, d'« agençologie » pour désigner ce phénomène, dont la France n'est pas exempte : une Agence du sport a été créée, tout comme une Agence nationale de la cohésion des territoires ou un Office français de la biodiversité. Nous avons aussi connu l'Agence nationale de la recherche, et j'en passe – une journée ne serait pas de trop pour les citer toutes et savoir comment elles s'organisent. Ce démantèlement progressif de l'État est bien une doctrine suivie depuis longtemps.

Pour parachever le tout, des indicateurs de performance – c'est indispensable !– et une rémunération au mérite sont bien sûr nécessaires. Voilà ce que prévoit la « Nouvelle gestion publique ». En réalité, chers collègues de la majorité, j'ai résumé votre politique, assez vieillotte puisque cette théorie commence à dater sérieusement. Elle montre aussi ses limites et son caractère contre-productif. Démonstration en a été faite au Tribunal de grande instance de Lille, lors du dernier conseil de juridiction. Au cours de celui-ci, le procureur de la République nous a dit que, selon l'effectif-cible, le tribunal devrait compter 290 greffiers. Or ils ne sont que 210, a-t-il noté, en précisant que le tribunal comptait deux ou trois procureurs de moins par rapport à l'effectif-cible. Pourtant, au sein de notre groupe de tribunaux – nous nous comparons aux tribunaux de même taille – , notre taux de réponse est le meilleur et le plus rapide.

Autrement dit, ce procureur nous déclare : « Bien que nous soyons en souffrance, mesdames et messieurs les parlementaires, bien que nous n'ayons pas le temps de traiter nos dossiers, de faire notre travail comme nous le voudrions, nous sommes, au regard des indicateurs, performants, et même ceux qui le sont le plus. » Voilà qui montre qu'un service réputé performant peut être, en réalité, en difficulté ou amoindri.

Je conclurai, monsieur le président, …

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