Intervention de Lise Magnier

Séance en hémicycle du mardi 18 juin 2019 à 15h00
Agences publiques et instances consultatives nationales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLise Magnier :

Pour la deuxième année consécutive, le « printemps de l'évaluation » est l'occasion de mettre l'accent sur des sujets forts qui symbolisent la nécessité d'améliorer la gestion de nos finances publiques. À cet égard, les agences publiques et des instances consultatives nous semblent être un bon cas d'école.

Depuis des années, les gouvernements et les parlementaires de tous bords politiques ont tenté, à leur manière, de faire bouger les lignes sur le sujet. C'est le cas de nos collègues Guy Bricout, Laure de La Raudière et Pierre Morel-À-L'Huissier, pour ne citer qu'eux. Mais l'adage ne dit-il pas : « cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » ? Le Premier ministre lui-même a donc décidé de remettre l'ouvrage sur le métier. Les Français aussi, puisque ce sujet est ressorti du grand débat national, comme nous l'avions d'ailleurs signalé dans cet hémicycle au moment de sa restitution.

Il s'agit tout simplement d'éclaircir un paysage trouble dans le seul objectif de l'efficience, c'est-à-dire d'une meilleure action publique, accompagnée d'une meilleure dépense publique. Garantir que chaque euro public est dépensé de façon utile, pragmatique et pertinente, c'est tout l'enjeu de ce printemps de l'évaluation.

Mais si l'on y regarde de plus près, le sujet est vaste, complexe et difficile à appréhender. Tout d'abord, faute d'une définition claire ou d'un statut juridique commun, il est impossible de recenser clairement l'ensemble des agences de l'État. C'est une première difficulté.

Cependant, depuis le début des années 2000, ces agences sont devenues un outil de politiques publiques très prisé : on a considéré qu'une politique serait mieux pilotée par une agence que par la haute fonction publique ou l'administration publique.

Ajoutons encore à la catégorie des agences les quelque 700 organismes divers d'administration centrale ou ODAC. Sans détailler ici la multitude de leurs statuts juridiques, je vous livre in extenso ce qu'en disait l'annexe à la loi de finances pour 2019 : « si les notions d'opérateur de l'État et d'ODAC sont proches, tous les opérateurs de l'État ne relèvent cependant pas de la liste des ODAC, dans la mesure où il est possible de qualifier d'opérateur de l'État des entités ne répondant pas à tous les critères de qualification, notamment celui relatif au financement majoritairement assuré par l'État. À titre d'exemple, l'Office national des forêts ne relève pas de la liste des ODAC mais a néanmoins la qualité d'opérateur de l'État. » C'est absolument limpide ! Tout cela ne facilite pas le contrôle budgétaire ni la lisibilité de la dépense publique.

Quelques chiffres maintenant : la croissance des effectifs et des masses salariales des opérateurs de l'État a été significativement plus rapide que celle de l'État sur la période 2007-2012, avec une augmentation de 6 % selon un rapport de l'Inspection générale des finances. Ce même rapport indique également que ces opérateurs de l'État représentaient, en 2012, plus de 20 % du budget général de l'État et de ses effectifs. Ce démembrement des politiques publiques doit nous interroger.

J'en viens à la catégorie des instances consultatives – celles qui portent le nom de « haut conseil », « comité » ou d'« observatoire », et que le Général de Gaulle surnommait « comités Théodule ». Placées auprès du Gouvernement et consultées sur les textes ou décisions administratives, elles étaient 668 en 2011. Notons que les gouvernements successifs ont, depuis lors, fait un vrai effort de rationalisation, puisque ce nombre est passé à 387 au 20 septembre 2018.

Le contour et les bases étant posés, nous vous proposons, avec cette résolution, de nous interroger collectivement. La dilution des politiques publiques dans des agences est-elle réellement source d'efficacité ? Comment agréger les chiffres et les indicateurs de performance entre l'État et ses agences pour avoir une vision réelle des budgets et des politiques publiques menées ? Sont-elles devenues un enjeu de gestion publique, et donc le moyen de remettre en cause certaines règles budgétaires ? Ces questions restent, pour l'heure, sans réponse car, malgré l'ampleur du phénomène et son développement rapide, ces agences restent encore mal connues.

En effet, tout en considérant que ce modèle de gestion publique inspiré des Anglo-Saxons était, par essence, performant, nous y avons adjoint quelques travers bien français, dont une tendance à compartimenter, au détriment de la lisibilité et de l'efficacité.

S'agissant de la lisibilité, il est difficile de connaître le coût exact de ces institutions, opérateur par opérateur – sans parler de la rémunération de leurs dirigeants. La question a d'ailleurs été soulevée lors de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique. Mon collègue Guy Bricout reviendra sur la nécessité d'être plus transparent et de rendre l'information accessible pour les parlementaires comme pour les citoyens.

Sur le plan de l'efficacité, ensuite, il est clair qu'il existe des doublons. Des synergies sont donc indispensables. On observe une prise de conscience ; un mouvement est en cours, ce que nous saluons. Reste à définir la bonne méthode.

La circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 prévoit que les administrations devront justifier le maintien des structures dont la taille n'excède pas 100 équivalents temps plein, partant du constat que « la multiplicité de ces structures – qui comptent pour certaines un très faible nombre d'agents – nuit à la lisibilité et à la cohérence des missions des administrations centrales ».

Mais cette chasse au gaspillage s'annonce compliquée faute de recensement exhaustif : il existe une myriade de satellites, créés de façon ponctuelle et sans cohérence d'ensemble. L'Inspection générale des finances en avait dénombré 1 244, quand l'IINSEE en répertoriait près de 700, tout cela pour un coût estimé à plus de 50 milliards d'euros.

Il faut néanmoins se réjouir que le Gouvernement – auquel nous voulons aujourd'hui, grâce à cette résolution, associer le Parlement – témoigne d'une volonté de mieux contrôler les différents satellites de l'État.

Dans le contexte difficile pour les finances publiques que nous connaissons, de nouvelles orientations nous semblent indispensables. C'est pourquoi nous vous proposons d'ériger en règle la logique d'évaluation et de rationalisation des agences. Je dis bien « en règle » car, malheureusement, les circulaires en vigueur ne sont pas suffisamment contraignantes : cela explique en partie l'échec rencontré par les précédents gouvernements.

Nous souhaitons donc qu'une règle normative encadre la création de nouvelles entités administratives rattachées aux administrations centrales, en la conditionnant à la suppression, la transformation ou la fusion d'entités existantes, mais aussi à la réalisation d'une étude d'impact mentionnant les raisons de cette création, les motifs ayant présidé au choix de son statut juridique, les moyens dont il est envisagé de la doter, les modalités d'articulation avec les structures existantes et, enfin, les conditions dans lesquelles sera évaluée son action.

De la même manière, afin d'ancrer dans la durée cette nouvelle politique de rationalisation, une évaluation de l'efficience et de la pertinence de chacune des entités administratives existantes, quelle que soit leur forme juridique, devra être réalisée au fil de l'eau. L'objectif est d'éviter les doublons, entités fantômes et structures inutiles. Les indicateurs et outils de cette évaluation devront être transmis au Parlement dans le cadre de l'examen des lois de finances et rattachés au budget concerné.

Ces deux réflexes d'évaluation ex ante et ex post doivent selon nous s'appliquer également aux fameux « comités Théodule ». Je rappelle qu'en 2006, un décret prévoyait que toute nouvelle commission aurait une durée de vie de cinq ans, que sa création devait être précédée d'une étude et devait passer par voie réglementaire. Vous vous en doutez, ces règles n'ont été que très peu respectées entre 2006 et 2017.

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