Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du jeudi 23 mai 2019 à 9h30
Accord de coopération avec la belgique dans le domaine de la mobilité terrestre — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

On est déjà bien moins tenté de crier cocorico !

Je ne veux pas blâmer notre diplomatie au sujet de cette vente, ni minimiser ses efforts, mais il faut tout de même constater l'aveuglement du Gouvernement et de la majorité, qui continuent de croire que les États-Unis sont prêts à relâcher leur étreinte sur l'Europe.

La vente de ces F35 est un cas d'école, à plus d'un titre. Ce programme d'armement est le plus cher de l'histoire : cet avion a coûté plusieurs centaines de milliards d'euros. Son amortissement est donc très loin d'être assuré, et les risques de surcoût pour les acheteurs sont élevés. Qu'à cela ne tienne ! Son fabricant possède plus d'un atout dans sa main pour le faire acheter. Et même lorsque ses caractéristiques ne correspondent pas forcément aux besoins du client, pas d'inquiétude : le géant étasunien a réponse à tout.

Le premier atout de l'entreprise, c'est sans doute d'avoir pu recruter un conseiller du ministre de la défense belge lui-même. Néanmoins, on m'accusera de complotisme si je m'en tiens à cela. Il est vrai qu'elle possède un atout maître, bien plus solide encore, dans son jeu : l'OTAN elle-même.

Les dessous de la vente des F35 ont notamment été révélés dans une enquête parue dans le journal flamand Knack. Je vous en résume les principales conclusions.

Dès 2013, l'OTAN a prescrit à la Belgique d'acheter des avions furtifs. Devinerez-vous pour quoi ? Pour remplir des missions que l'aviation belge n'assure pas. Il faut dire que la furtivité est précisément le point fort du F35. C'était donc le meilleur moyen pour que soit lancé un appel d'offres taillé sur mesure pour le candidat des États-Unis. Pourtant, les spécialistes sont formels : le F35 n'est pas un avion adapté aux missions qu'assure réellement l'aviation belge, c'est-à-dire essentiellement des missions de police du ciel.

Évidemment, devant un tel appel d'offres formulé par l'État belge, bien peu de concurrents ont pris la peine de candidater. L'entourloupe était si évidente que la France a préféré, en désespoir de cause, utiliser un artifice pour contourner la procédure d'appel d'offres. Plutôt qu'un simple contrat d'armement, on a prétendu vouloir nouer un véritable « partenariat stratégique ». L'expression est pompeuse à souhait mais dissimule mal la vérité : dans votre Europe de la défense, les dés sont pipés ; les États-Unis tirent les marrons du feu, et c'est nous qui sommes les dindons de la farce. Plutôt que d'en prendre acte, le Gouvernement préfère faire semblant et cherche péniblement à sauver la face.

Cette vente n'est pas qu'une affaire de gros sous, évidemment. Elle est emblématique de la stratégie d'influence des États-Unis, dont l'OTAN est le véhicule, et de l'aveuglement du Gouvernement à cet égard.

En vendant une fois de plus des F35 à un État européen, les États-Unis s'assurent que leurs normes continueront de prévaloir parmi les armées du vieux continent. Plus encore qu'un appareil volant, un avion de combat moderne est un ensemble de systèmes informatiques extrêmement complexes et élaborés. La maîtrise de ces systèmes est un enjeu de souveraineté incontournable. En essaimant leurs F35 en Italie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique et au Danemark, les États-Unis imposent aussi leurs protocoles et leurs normes techniques ; ils s'assurent la haute main sur des capacités aériennes décisives.

C'est un fait tellement évident que même Israël a posé comme condition, pour se procurer des F35, de pouvoir utiliser ses propres programmes informatiques. Alors que rien ne semble pouvoir séparer ces deux alliés, la confiance d'Israël envers les États-Unis n'est pas aussi aveugle que celle des Européens. Faut-il parler chez nous de naïveté, de bêtise ? Je ne sais plus trop…

Il y a mieux encore : au nom de la sacro-sainte interopérabilité, c'est-à-dire de la capacité de plusieurs armées à agir ensemble et de la même façon, les États-Unis s'assurent que leurs normes restent hégémoniques, y compris auprès des États qui n'auront pas fait le choix des F35.

On nous vante l'Europe de la défense. Elle est censée être la garantie d'une prétendue souveraineté européenne, une voie d'émancipation vis-à-vis des États-Unis de Donald Trump. Mais quelle duperie !

Tout d'abord, parce que la souveraineté européenne ne peut exister. Ce concept est un non-sens pour un républicain. La souveraineté réside dans le peuple. L'article 3 de la Constitution le dit très simplement : « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Revendiquer l'existence d'une souveraineté européenne est donc impossible, car il n'y a ni un peuple européen, ni une nation européenne. En revanche, il y a des peuples européens dont la souveraineté doit être respectée, ce qui est le principe élémentaire de la vie démocratique.

Le Gouvernement, en particulier Mme Parly dans une tribune qu'elle a publiée hier, ne jure depuis quelques mois que par l'Europe de la défense. Il va même jusqu'à vouloir créer une armée européenne. Je vous le dis, c'est une proposition absurde et dangereuse, gravement anti-démocratique.

Prenons deux secondes cette idée au sérieux. Si le chef de l'État veut une armée européenne, alors il doit dire qui en sera le chef. Qu'il puisse convoiter cette dignité nouvelle et grotesque de chef d'une pseudo-armée européenne n'a rien d'une hypothèse invraisemblable. Ce qui est invraisemblable, c'est que cette idée ait pu germer dans sa tête. Et ce qui est impossible, c'est qu'elle se concrétise !

Qui donc donnerait des ordres à cette armée ? Devrons-nous partager avec elle les moyens de la dissuasion nucléaire ? Peut-être vos lubies vont-elles jusque-là ! Après tout, le Gouvernement n'a pas été très clair ni convaincant lorsque Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, l'héritière présomptive d'Angela Merkel, a répondu à la lettre d'Emmanuel Macron aux Européens. La représentante de la droite allemande lui a pourtant infligé un camouflet de première grandeur et a lancé des provocations qui auraient dû faire bondir : elle a demandé que la France abandonne son siège de membre permanent au conseil de sécurité de l'ONU et que l'on déplace le Parlement européen de Strasbourg à Bruxelles.

Voilà l'état d'esprit parfaitement grossier, voire insolent, de la droite allemande. Voilà le genre de tendances hégémoniques – disons le mot – avec lesquels le Gouvernement voudrait composer pour construire une armée européenne. Cela n'a absolument aucun sens !

Pour notre part, nous l'affirmons avec gravité et force : ce n'est pas possible. L'amitié qui lie notre peuple au peuple allemand ne peut pas et ne doit pas aller jusqu'à la servilité. Si le Gouvernement croit construire l'Europe ou approfondir la construction européenne en acceptant que s'accentue encore le déséquilibre qui s'est installé ces dernières années entre la France et l'Allemagne, il fait plus qu'une erreur, il commet une faute.

Le sujet des relations franco-allemandes est trop sensible pour faire l'objet d'expérimentations hasardeuses et servir des projets d'idéologues. Voilà plusieurs années que les sujets militaires sont conçus comme un moyen, dit-on, de « relancer la construction européenne ». Les mêmes qui clament partout « l'Europe, c'est la paix » n'ont rien de plus pressé que de donner à l'Europe les moyens de faire la guerre.

En réalité, ce qui met l'Europe à genoux, c'est le désastre social que le dogme du libre-échange a enfanté. La crise de l'Europe vient de l'austérité généralisée et de la concurrence partout et pour tout le monde. Si l'Union européenne est si peu aimée, comme vous vous en désolez, c'est à cause des paradis fiscaux qu'elle abrite en toute impunité en son sein et des politiques antisociales qu'elle impose.

Si vous voulez éviter que l'Europe ne s'effondre sous le poids du mépris des peuples, il faut mettre fin aux agissement de ce Frankenstein bureaucratique et borné, qui interdit à l'État de protéger les emplois, l'industrie et les salaires, et d'organiser la planification écologique. Il s'avère impossible de faire converger les modèles sociaux pour que les travailleuses et les travailleurs arrêtent enfin de se livrer, sur le vieux continent, une concurrence débridée et désastreuse.

Cessez d'agir comme si l'Europe était telle que vous la rêvez ! Non, les autres États européens ne font pas primer les intérêts de l'Union avant les leurs ! Non, ils ne sont pas disposés à faire des choix en fonction de vos désirs ! Vous vous imaginez parvenir, avec l'Europe de la défense, à étendre à tout le continent les préférences stratégiques de la France. C'est ce que vous croyez faire en incitant les administrations du ministère des armées à capter des financements européens pour des projets développés par la France. Vous vous croyez réalistes, pragmatiques, peut-être même cyniques, mais vous êtes dupes de vous-mêmes. En réalité, ce sont les préférences des autres qui sont en train de s'imposer à la France.

Cette Europe de la défense dont vous vous vantez n'est nullement une voie alternative à l'impérialisme étasunien. Elle en est, au contraire, un instrument. C'est un fait, mais c'est aussi un principe inscrit au coeur même des traités de l'Union européenne. L'article 42 du traité sur l'Union européenne est tout à fait explicite : il dispose que les décisions que peut prendre l'Union en matière de défense doivent être compatibles avec les orientations de l'OTAN.

C'est pourquoi celles et ceux qui ne veulent plus être à la remorque des États-Unis, donc de Donald Trump, savent qu'il faut choisir la voie de l'insoumission, c'est-à-dire assumer la rupture et la désobéissance aux traités, faute de quoi ils auront devant eux les faces de pierre de la Commission européenne qui leur diront, comme son président Jean-Claude Juncker : « Il n'y a pas de démocratie en dehors des traités. »

Pour preuve que l'Europe de la défense n'est qu'un auxiliaire des desseins des États-Unis, je voudrais vous citer les propos de la directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées, Mme Alice Guitton. On lui a demandé : « La coopération renforcée entre l'OTAN et l'UE agréée en 2016 à Varsovie porte-telle ses fruits ? Quelles en sont les limites ? » Voici quelle a été sa réponse : « Les progrès remarquables de l'Europe de la défense, obtenus notamment ces deux dernières années, bénéficient directement à l'Union européenne comme à l'OTAN : les mécanismes et investissements européens, comme le Fonds européen de défense ou la coopération structurée permanente, renforcent directement le pilier européen de l'Alliance atlantique et participent au partage du fardeau de la sécurité euro-atlantique. Le partenariat stratégique entre l'OTAN et l'Union européenne s'est, de plus, significativement renforcé. »

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