Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du lundi 29 avril 2019 à 16h00
Débat sur le rapport d'information du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

… mais aussi de nouvelles infractions sanctionnant les manquements à ces obligations déclaratives, un pouvoir d'injonction et un droit de communication.

Ces dispositions sont pleinement inscrites dans les compétences de la HATVP, qui est désormais un des éléments clés du paysage institutionnel français. Depuis sa création, celle-ci a transmis 73 dossiers à l'autorité judiciaire.

Depuis 2014, le parquet national financier s'est également imposé dans le paysage national et international comme un acteur majeur de la lutte contre la délinquance économique et financière. Le PNF traite aujourd'hui 507 procédures d'atteinte à la probité et de fraude fiscale complexes, sensibles, qui nécessitent une collaboration avec des services d'enquête spécialisés et outillés tout autant qu'avec les autorités judiciaires étrangères et les administrations, au premier rang desquelles l'administration fiscale.

Les lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique ont renforcé les exigences en la matière. Elles ont imposé de nouvelles interdictions aux parlementaires et aux exécutifs en matière d'emplois familiaux. Elles ont instauré une nouvelle peine obligatoire d'inéligibilité pour les atteintes à la probité, peine qui figure au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, a instauré une obligation de mise en place de programmes anticorruption dans les entreprises.

Elle a aussi renforcé les incriminations en matière d'atteinte à la probité et créé la convention judiciaire d'intérêt public – CJIP. Ce dispositif transactionnel en matière d'atteintes à la probité permet au procureur de la République de proposer aux entreprises mises en cause non seulement de s'acquitter d'une amende d'intérêt public mais aussi de se soumettre, sous le contrôle de l'Agence française anticorruption créée par cette même loi, à un programme de mise en conformité en matière de prévention de la corruption.

La CJIP est un succès. Depuis sa récente création, elle a permis le paiement d'une somme totale de près de 555 millions d'euros au bénéfice du Trésor public. La CJIP a notamment vocation à permettre la sanction rapide et efficace d'infractions graves en matière de délinquance économique et financière. Loin d'être « une vraie plaie », comme l'affirmait M. Coquerel dans son propos, elle mérite d'être développée car elle constitue un vrai gain, permettant d'obtenir à coup sûr une somme importante dans un domaine où l'obtention des preuves est parfois difficile et complexe. La CJIP permet aussi de dissuader le fraudeur pour l'avenir. Elle n'est donc pas « une plaie ».

La fraude fiscale a également été au coeur de l'action législative et de la politique pénale du Gouvernement en vue de lutter contre son développement. Ainsi, vous y avez fait allusion dans vos interventions, deux grandes lois, celle du 6 décembre 2013 et du 23 octobre 2018, toutes deux relatives à la lutte contre la fraude, ainsi que deux importantes circulaires édictées en 2014 et 2019, durcissent les peines, favorisent les poursuites, allongent la prescription et instaurent des liens toujours plus étroits entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire.

À la faveur de la récente loi du 23 octobre 2018, nous sommes revenus sur le verrou de Bercy. Les magistrats du ministère public sont désormais systématiquement et obligatoirement mis en mesure d'exercer des poursuites pénales dans les dossiers de fraude fiscale les plus graves. Cette loi a également étendu la CJIP aux cas de fraude fiscale.

Jeudi dernier, lors de sa conférence de presse, le Président de la République a annoncé qu'une mission serait confiée à la Cour des comptes pour évaluer précisément les sommes qui échappent à l'impôt et pour proposer de nouvelles mesures afin qu'en France chacun respecte les mêmes règles. Ainsi, nous pourrons construire ce que vous souhaitiez, messieurs les rapporteurs, à savoir les éléments statistiques chiffrés nécessaires, à partir d'une base interministérielle commune d'agrégats, qui seront partagés.

La mise en oeuvre, ces dernières années, de l'ensemble de ce dispositif de lutte contre la fraude fiscale est de nature à améliorer de manière substantielle l'efficacité de la lutte contre la grande délinquance financière. Elle devrait permettre à notre pays de se hisser au niveau de ses engagements internationaux. Les évaluations de la France qui doivent être réalisées dans les trois prochaines années par différentes organisations internationales – OCDE, GAFI… – témoigneront, je l'espère, des efforts conséquents réalisés en la matière.

Il m'apparaît ainsi que la politique menée par le Gouvernement, par le ministère de la justice mais également par les autres ministères, fait largement écho aux constats et aux principales propositions développés par MM. les députés dans leur rapport, objet de notre débat.

Pour autant, je n'ignore pas le défi qui se pose aux pouvoirs publics pour assurer les moyens et l'organisation d'une lutte efficace contre une délinquance toujours en augmentation et constamment évolutive. J'en prends toute la mesure.

Vous avez été nombreux à évoquer les effectifs du PNF. Même si rien ne suffit jamais, je voudrais signaler que ceux-ci augmentent régulièrement puisqu'ils sont passés de 10 magistrats membres à 15 en 2015, puis 16 en 2016, pour atteindre 18 aujourd'hui. Par ailleurs, le PNF dispose de cinq assistants spécialisés, experts-comptables notamment – un sixième est en cours de recrutement. Les 18 magistrats membres du PNF travaillent non pas seuls mais en lien avec 18 magistrats instructeurs financiers parisiens pour les enquêtes les plus complexes. Voilà la précision que je voulais apporter quant aux effectifs du PNF.

Plus largement, depuis ma prise de fonction, j'encourage par des mesures concrètes un mouvement de spécialisation des magistrats. La création récente, dans la loi de programmation et de réforme pour la justice, d'une compétence concurrente de la juridiction interrégionale spécialisée de Paris, notamment pour la délinquance financière organisée de très grande complexité, participe de ce mouvement de spécialisation.

Je partage également la nécessité de mener une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière, impliquant tout autant mon ministère que le ministère de l'intérieur, le ministère de l'économie ou celui des comptes publics.

Par ailleurs, je suis très attentive à la question des moyens alloués par l'institution judiciaire à la lutte contre la délinquance financière : pour le PNF mais pas seulement, un effort significatif en termes d'effectifs de magistrats a été mené depuis plusieurs années, dans un contexte marqué, vous ne l'ignorez pas, par une forte tension en termes de ressources humaines.

En outre, la création du nouveau service d'enquêtes judiciaires des finances, intégrant, à Bercy, une police fiscale spécialisée, sous l'autorité d'un magistrat, participe de cette ambition d'une spécialisation des acteurs pour répondre de manière toujours plus efficiente à la délinquance financière.

Enfin, je souscris pleinement à l'idée d'une politique de ressources humaines renforçant l'attractivité de la police judiciaire financière.

Le ministre de l'intérieur, le ministre de l'action et des comptes publics et moi-même sommes sur le point de signer une lettre de mission conjointe adressée aux inspections générales de l'administration, de la justice et des finances, ayant pour objet d'évaluer les moyens humains de police judiciaire qu'il convient d'allouer à la lutte contre la délinquance économique et financière afin de donner sa pleine effectivité à notre arsenal législatif récent.

Je ne terminerai pas ce propos sans dire un mot des lanceurs d'alerte, sujet sur lequel j'ai été interrogé à différentes reprises.

S'agissant du texte que le Parlement européen a adopté le 16 avril dernier, le Gouvernement a toujours recherché le compromis, et, non, monsieur Juanico, il n'a pas tablé sur une hypocrisie. Au contraire, le Gouvernement a toujours défendu deux objectifs : d'abord, protéger effectivement ceux qui osent signaler, parfois de manière isolée, les violations du droit qui portent atteinte à l'intérêt général ; ensuite, et c'est important, parvenir à un texte équilibré qui assure une protection maximale des lanceurs d'alerte en instituant un mécanisme solide juridiquement et proportionné à la gravité des faits signalés. Nous avons réussi en obtenant le vote de cette directive. Nous avons maintenant deux années pour la transposer – ce ne sera pas de trop pour retravailler ce sujet.

Mesdames, messieurs les députés, monsieur Bernalicis, monsieur Maire, soyez assurés de ma mobilisation, de celle de mes services et de l'ensemble du Gouvernement, sur le sujet de la lutte contre la délinquance financière. Je suis intimement persuadée de la nécessité et de l'intérêt d'un travail interministériel en la matière. Nous allons donc le poursuivre et travailler en nous appuyant désormais sur vos constats et propositions.

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