Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du lundi 29 avril 2019 à 16h00
Débat sur le rapport d'information du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis, rapporteur du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques :

Mon collègue Jacques Maire, qui me succédera à cette tribune, et moi-même avons rédigé un rapport sur les moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre la délinquance financière. Je suis heureux d'avoir réalisé, cet après-midi, un score de deux sur trois ; deux ministères ont en effet répondu à l'appel – la justice, d'une part, l'économie et les finances, d'autre part. Manque le ministère de l'intérieur mais, le Gouvernement étant uni, je suis sûr que vous saurez porter la parole de M. Castaner.

Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, la question de l'interministérialité est centrale dans la lutte contre la délinquance financière. Il existe des moyens, même s'ils sont insuffisants – il nous faudra investir pour faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État. J'ai d'ailleurs entendu le Président de la République affirmer, dans sa conférence de presse, que la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires ne constituait plus un totem : cela tombe bien ! Si on peut en embaucher, ce sera une bonne nouvelle.

Les enjeux en présence ne concernent pas seulement la philosophie pénale – même si les auteurs de fraudes, les délinquants, les criminels doivent naturellement être jugés – ou les finances publiques – même si l'argent manquant doit rentrer dans les caisses de l'État. La cohésion sociale est aussi en cause, car l'impunité, réelle ou supposée, des délinquants en col blanc tend à discréditer l'idée de justice quand, parallèlement, l'administration fiscale et le juge pénal sont très fermes envers le délinquant lambda. On en a quotidiennement des illustrations – ainsi, un multirécidiviste de vol de pâtes dans un supermarché va finir avec de la prison ferme quand, par ailleurs, sont élaborées des conventions judiciaires d'intérêt public pour des fraudeurs dirais-je dignes de ce nom, tirés à quatre épingles, qui ont à leur actif des escroqueries de plusieurs millions d'euros.

Je vous invite à lire notre rapport d'évaluation, dont les vingt-cinq propositions – parmi lesquelles la conduite d'une politique interministérielle, que j'ai évoquée – méritent toutes votre attention. D'emblée, nous nous sommes heurtés à une difficulté pour établir le chiffre de la délinquance financière – que, personnellement, je ne connais pas. L'évaluation établie par des syndicats sur l'évasion et la fraude fiscales, qu'ils estiment à un montant compris entre 80 et 100 milliards d'euros, est de plus en plus contestée par le Gouvernement et quelques experts. Je crois qu'en effet, vous avez raison, et que ce montant est sous-évalué. De fait, la délinquance financière couvre un spectre extrêmement large, qui englobe l'escroquerie à la carte bleue, sur internet – un faux site vous vend un service bidon pour 50 ou 100 euros, que vous ne reverrez jamais – , l'atteinte à la probité, la corruption d'agents publics, étrangers ou nationaux, ou encore, pour ne citer que quelques exemples, l'activité de blanchiment, plus classique et plus traditionnelle, dans le domaine du trafic de stupéfiants. Le montant que l'État doit récupérer excède donc vraisemblablement 100 milliards. Dans le contexte des débats actuels et du mouvement des gilets jaunes, il faut rappeler qu'il y a de l'argent, y compris celui qui est soustrait par la délinquance financière, à droit constant. Je n'évoque pas, ici, un partage différent des richesses – question que je pourrais légitimement soulever ; je circonscris mon discours à l'argent qui devrait rentrer dans les caisses de l'État.

Parmi les propositions importantes que nous formulons, l'une concerne les lanceurs d'alerte. Nous constatons qu'il est difficile, à l'heure actuelle, d'être un lanceur d'alerte, bien que nous ayons voté une loi pour offrir à ces personnes un statut et les protéger. Un débat européen a eu lieu, dont vous allez pouvoir nous parler, madame la ministre de la justice, puisque vous avez conduit des négociations au nom de la France. Lorsqu'ils informent la chaîne hiérarchique, les lanceurs d'alerte sont censés bénéficier d'un secours financier, mais cette mesure demeure inappliquée, car la censure du Conseil constitutionnel n'a donné lieu à aucune disposition correctrice. Nous proposons donc de « rétablir le principe d'un secours financier au profit des lanceurs d'alerte en difficulté, complété par la possibilité d'un accès facilité à l'emploi public ». En effet, les lanceurs d'alerte ne retrouvent souvent pas de travail, notamment dans leur branche d'activité – ce qui est aisé à comprendre – , alors qu'ils pourraient être utiles à la société et à l'État.

Il faut augmenter les effectifs des services de police spécialisés, du contrôle fiscal, du parquet national financier. Ce dernier ne compte que dix-huit magistrats – je dis bien dix-huit ! Il était prévu que chacun d'eux ne traite que huit affaires : nous en sommes à trente-deux. Ce parquet, qui est pourtant un de ceux qui fonctionnent le mieux, est en proie à la thrombose ; il ne prend quasiment plus de nouvelle enquête, ne prend plus l'initiative d'en ouvrir une. C'est dire où on en est arrivé ! Quand il sollicite le recrutement de deux assistants spécialisés, on lui répond qu'il demande la Lune. Ce n'est pas sérieux ! Les millions devraient pleuvoir sur ce genre de services, puisqu'ils en rapportent davantage.

S'agissant de la TVA, nous avons débattu de la question du paiement scindé pour récupérer au moins une partie des 18 à 20 milliards de la fraude annuelle. Cela nous semble un enjeu extrêmement important.

Par ailleurs, où en est-on de la restitution, par la Société Générale, des 2,2 milliards que nous lui avons lâchés si rapidement dans l'affaire Kerviel ? Il est plus difficile de les rendre que de les encaisser, même si un échéancier a été défini.

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