Intervention de Moetai Brotherson

Séance en hémicycle du jeudi 11 avril 2019 à 9h30
Statut d'autonomie de la polynésie française - diverses dispositions institutionnelles en polynésie française — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMoetai Brotherson :

'la ora na. Initialement je n'avais pas prévu de m'exprimer sur ces textes : non pas qu'ils ne me concernent ou ne m'intéressent pas, mais parce que leur examen aujourd'hui traduit le fait que l'on passe sous silence la volonté d'une majorité des Polynésiens.

Aujourd'hui, du fait de la loi électorale, une majorité de représentants à l'assemblée de Polynésie représente en réalité une minorité des électeurs, et des Polynésiens. À l'inverse, deux groupes politiques forment une représentation minoritaire à la même assemblée alors qu'ils portent la voix d'une majorité des Polynésiens.

Lors de l'examen de ce texte, cette majorité de Polynésiens n'a eu d'autre option que de s'exprimer au travers de deux « avis minoritaires » qui n'ont reçu aucune réponse, aucune considération de Paris.

Ces derniers, émis par des partis pourtant historiquement opposés, le Tavini Huiraatira et le Tahoera'a Huiraatira, convergent sur un point : nous n'avons pas besoin aujourd'hui d'un douzième toilettage de ce texte datant de 2004, mais d'une véritable refondation des relations constitutionnelles entre la France et la Polynésie française.

Ainsi, le Tahoeraa Huiraatira dit dans son avis minoritaire qu'il « appelle de ses voeux un véritable débat de fond sur un nouveau statut d'autonomie, et non pas sur un toilettage du statut de 2004 ».

Oui, chers collègues, Gaston Flosse, le père du statut de 2004, dont je ne partage ni l'héritage, ni la vision politique, le dit lui-même, citant l'évangile de Matthieu : « Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit ; car elle emporterait une partie de l'habit et la déchirure serait pire. » Il propose en annexe de son avis minoritaire un projet de loi constitutionnelle portant un nouveau statut qu'il baptise « pays associé ».

Le Tavini Huiraatira, mené par Oscar Temaru, partage le constat de départ de son opposant historique. Ainsi, dans son avis minoritaire, il demande : « Est-ce vraiment d'un énième toilettage statutaire que la Polynésie a besoin ? Nous disons que c'est d'une révision profonde de la relation constitutionnelle entre l'État et la collectivité qu'il nous faudrait débattre, pour prendre en considération les problématiques actuelles et futures des Polynésiens. »

Il rappelle en outre à l'État que, à l'instar de la Nouvelle Calédonie-Kanaky depuis 1986, la Polynésie française a été réinscrite, le 17 mai 2013, sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser des Nations Unies.

Cette réinscription a été adoptée par consensus dans la résolution no 67265 du 17 mai 2013 par l'assemblée générale des Nations Unies. Elle affirme le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l'autodétermination et à l'indépendance ; elle prie le gouvernement français d'engager un processus de décolonisation et d'émancipation ; elle invite la France à négocier avec les forces vives de Polynésie française, la société civile et toutes les parties prenantes un agenda et un calendrier raisonné de décolonisation, au terme desquels sera organisé, sous l'égide de l'ONU, un scrutin d'autodétermination. Depuis 2013, l'État est figé dans une posture de déni de cette réinscription, pratiquant la chaise vide aux Nations Unies à chaque fois que le sujet est abordé.

Au travers de ces deux avis, et même si les finalités peuvent sembler diverger, deux partis représentant la majorité des Polynésiens demandent donc essentiellement la même chose : l'ouverture d'une fenêtre constitutionnelle pour un débat de fond, et non un énième toilettage cosmétique imposé par l'État.

Notre présence ici aujourd'hui, chers collègues, traduit l'absence totale de considération de l'État pour cette majorité de Polynésiens. C'est pourquoi je ne voulais pas initialement m'exprimer aujourd'hui, et pourquoi, indépendamment des modifications qui pourraient lui être apportées, je vous appelle à voter contre ce texte.

Pour autant, après lecture du texte tel qu'il est issu des travaux de nos collègues sénateurs, il y a tout de même au moins deux articles auxquels il m'est impossible de ne pas réagir.

Le premier est bien sûr l'article 6-1 de la loi organique de 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie, introduit par l'article 1er du présent projet de loi organique et qui commence par « La République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation. »

Une loi organique, par définition, ne fige rien dans le marbre, au contraire de la Constitution, et ce qui y est écrit aujourd'hui peut, sans grande difficulté, être contredit ou retiré demain. Une loi organique vient préciser la Constitution : elle n'a pas une vocation cosmétique, ni symbolique. Et c'est bien pour ces deux raisons que le bât blesse.

Cette « reconnaissance », le Conseil d'État l'a rappelé, n'a pas sa place dans la loi organique, puisque ces dispositions sont largement dépourvues de portée normative et, en tout état de cause, que plusieurs des principes qu'elles énoncent sont redondants sur le plan juridique. Il ajoute qu'en outre, elles ne se rattachent, même indirectement, à aucune des différentes catégories de règles ou de mesures énumérées par l'article 74 de la Constitution et ne présentent donc pas, en tout état de cause, un caractère organique. Il en conclut fort logiquement : « Le Conseil d'État ne retient pas ces dispositions dans le projet de loi organique. Il demeure évidemment loisible au Gouvernement de rappeler ces principes dans l'exposé des motifs du projet. »

« Dépourvues de portée normative » et de « caractère organique », relevant du simple « exposé des motifs »... Si les mots ont encore un sens, on voit bien que cet article n'a pas sa place ici, et n'a de valeur qu'au plan de la com' et du marketing de la politique.

Dès lors que son inutilité est établie, me direz-vous, qu'importe sa rédaction ? Autant charger la mule, puisque de toute façon cela n'engage à rien... Mais, dans la loi, chaque mot, chaque ponctuation compte, et ceux qui la construisent ont le devoir d'en peser toutes les implications. Ce qui, en l'espèce, vient ajouter l'insulte à l'inutile, au travers d'un mot : « contribution ».

Dans son acception commune, si je contribue, sans plus de précision, c'est que je le fais de manière volontaire, que j'ai fait le choix de participer. Si cette rédaction demeure, verra-t-on demain écrit dans la loi que les Antillais ont « contribué » à une meilleure connaissance du chlordécone ? Que les milliers de femmes réunionnaises stérilisées sans consentement dans les années 1970 ont « contribué » au contrôle de la natalité ? Que les 1 600 enfants déportés dans la Creuse par le bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer ont « contribué » à la politique agricole française ? Que les populations autochtones de Guyane « contribuent » à la recherche sur les effets du cyanure ?

La question de fond est : la Polynésie, les Polynésiens ont-il eu le choix ? Ont-il fait le choix de subir 193 essais nucléaires ? Ont-ils eu droit à la vérité sur les conséquences de ces essais menés de 1966 à 1996 ?

Je voudrais ici citer Jacques-Denis Drollet, ancien membre de la commission permanente de l'assemblée territoriale, juste avant l'installation du Centre d'expérimentation du Pacifique : « J'arrive à l'Elysée [... ]. La rencontre avec le Général a duré entre cinq et dix minutes [... ]. Je l'écoute, il est pressé. Il me fait comprendre qu'il a besoin de ces atolls pour les expérimentations et qu'il est souhaitable que nous les donnions à la France et que si nous ne le faisons pas, il aurait les moyens de nous contraindre [... ]. Il n'était pas question que nous discutions. Il était question qu'il me dise ce qu'il voulait. »

L'utilisation du mot contribution est donc au moins maladroite, et plus sûrement insultante pour les Polynésiens. C'est ce que disent l'ensemble des associations qui défendent les victimes, c'est que ce dit le Conseil économique social et culturel de Polynésie, c'est ce que dit notre représentant au Conseil économique, social et environnemental.

Le deuxième article auquel je ne peux pas rester insensible, c'est l'article 9 du projet de loi organique, qui vient modifier l'article 47 de la loi organique de 2004. Cet article 47 est déjà, dans son état actuel, sujet à caution. En effet, sa rédaction laisse à penser que la Polynésie a pleine compétence pour administrer ses ressources naturelles. Il dispose en effet que « La Polynésie française réglemente et exerce le droit d'exploration et le droit d'exploitation des ressources naturelles biologiques et non biologiques des eaux intérieures, en particulier les rades et les lagons, du sol, du sous-sol et des eaux sur-jacentes de la mer territoriale et de la zone économique exclusive dans le respect des engagements internationaux. »

La modification proposée aujourd'hui par le Gouvernement vient, chichement, y ajouter les « terres rares ». C'est une lecture simpliste, qui donne l'illusion de la maîtrise et présente le faux-nez d'une autonomie de façade.

Déjà, arrêtons-nous sur « le respect des engagements internationaux ». Quels engagements ? Décidés, pris par qui ? En matière de ressources minérales sub-océaniques, c'est l'International Seabed Authority qui gère ces engagements. La Polynésie n'y siège pas. L'État français, oui. C'est une première limite à cet article 47.

Ensuite, le 4o de l'article 14 de la loi organique de 2004 prévoit que l'État est seul compétent pour les matières premières stratégiques telles qu'elles sont définies pour l'ensemble du territoire de la République, à l'exception des hydrocarbures liquides et gazeux. Mais qui définit ces fameuses « matières premières stratégiques » ? Quelles sont-elles ? Ne viennent-elles pas au final vider de son sens l'article 47 ?

C'est un décret de 1954, suivi d'une décision réglementaire de 1959, qui posent le cadre initial. Il s'agissait au départ d'une vision essentiellement militaire, excluant par exemple toute matière concourant à l'énergie atomique. Depuis, cette vision a évolué pour devenir essentiellement économique, avec en 2011 la création du Comité pour les matériaux stratégiques – COMES – , qui s'appuie sur le Bureau de recherches géologiques et minières. Notons à ce sujet que, bien que la quasi-totalité des minéraux sub-océaniques et des terres rares se situent dans les outre-mer, le ministère des outre-mer n'est pas membre du COMES.

Concrètement, aujourd'hui, une grande partie des ressources minérales sub-océaniques, comme le cobalt, mais aussi des terres rares, sont déjà classées matières premières stratégiques. Plus grave encore, rien ne garantit que, demain, l'ensemble de ces ressources minérales, sur simple suggestion du COMES, ou sur décision du Président de la République traduite par un décret du Premier ministre, ne seront pas classées stratégiques.

Vous comprenez donc que, dans sa rédaction initiale comme dans sa version modifiée, l'article 47 n'apporte rien à la Polynésie française, sinon l'illusion d'une compétence. Voilà, mes chers collègues, les premières réflexions que je tenais à partager avec vous. Mauruuru e te aroha ia rahi.

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