Intervention de M'jid El Guerrab

Séance en hémicycle du vendredi 29 mars 2019 à 9h30
Sécurité et santé dans l'agriculture — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaM'jid El Guerrab :

Manger n'est pas seulement un acte vital. C'est aussi, comme chacun le sait, un acte social et politique, voire juridique. C'est également un acte sacré. À cet égard, permettez-moi de reprendre les mots de Michel Serres : « Le paysan est le père nourricier de l'humanité. Il occupe, en cela, une position exceptionnelle dans la condition humaine. Aucun professionnel ne lui est comparable. Or, une autre injustice, la même sans doute, accule aujourd'hui la paysannerie à la ruine, alors que nul ne pourrait se passer d'elle. »

C'est parce que la culture agraire nous permet de survivre qu'il est de notre responsabilité à tous – pouvoirs publics, tribunaux, organisations internationales telle l'Organisation internationale du travail – d'intégrer, dans nos priorités, la question de la santé et de la sécurité des agriculteurs. Cet intérêt tout particulier est lié à un enjeu non seulement de dignité humaine, mais aussi d'épanouissement au travail, dont le corollaire est une meilleure productivité et une plus grande compétitivité pour les entreprises.

L'agriculture est l'un des trois secteurs les plus dangereux au monde pour celles et ceux qui ont choisi d'y exercer leur profession. Rappelons que les suicides et les burn-out sont anormalement nombreux dans le monde agricole. Souvent pris entre l'agriculture bashing et le désintérêt des pouvoirs publics, celui-ci se vide peu à peu de ses forces vives et peine à susciter des vocations.

Nous devons accompagner ce secteur hautement stratégique pour la France et pour le reste du monde. Je vous signale que les famines et la malnutrition n'appartiennent toujours pas au passé. En parallèle, il nous faut valoriser les métiers de l'agriculture. Il y a besoin, en particulier, de davantage de formations qualifiantes, d'un recours accru aux nouvelles technologies et d'une meilleure ergonomie des postes de travail afin de préserver nos agriculteurs. Oui, les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur travail, mais ils doivent également être fiers et épanouis. Une agriculture durable et responsable n'a aucune chance d'exister sans des professionnels agricoles bien dans leur peau et désireux de transformer leur savoir-faire et leur expertise.

De nombreux acteurs oeuvrent au quotidien pour relever ces défis. Je citerai le Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes, organisation intergouvernementale méditerranéenne dont le siège est à Paris – je la connais intimement, car mon épouse y travaille. Depuis plus de cinquante ans, le CIHEAM forme et accompagne les petits agriculteurs et pêcheurs, au plus près des besoins des territoires ruraux. Ceux-ci subissent de plein fouet les effets destructeurs du changement climatique, de la détérioration et de la diminution de ressources telles que l'eau. Ils doivent surmonter un exode rural aux conséquences économiques et sociales désastreuses.

Valoriser le métier agricole, c'est aussi élaborer des principes de base à respecter pour prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles et faire en sorte que les travailleurs du secteur agricole bénéficient de la même protection que les travailleurs d'autres secteurs. Tel est précisément l'objet de la présente convention, dont le groupe Libertés et territoires soutient la ratification.

Cependant, il nous paraît essentiel que les États prennent conscience de la nécessité d'aller plus loin, afin d'intégrer la dimension transversale du développement durable. C'est le message que les Nations unies ont adressé à tous les États du monde, en 2015, en adoptant le programme de développement durable à l'horizon 2030. Son objectif no 8 consiste à « promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ». Il met ainsi l'accent sur la santé et la sécurité des travailleurs.

Toutefois, nous sommes très loin de consommer et de produire dans le respect de la planète et à son rythme. De plus, le travail des enfants de 5 à 17 ans dans l'agriculture demeure une réalité dans de nombreux États. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés, alors que près de 98 millions de filles et de garçons entrent sur le marché du travail chaque année dans le monde, bien souvent très jeunes et sans être rémunérés.

Nous connaissons les facteurs qui concourent au travail des enfants dans l'agriculture : la pauvreté, l'absence d'éducation, les traditions, l'inaccessibilité de la main-d'oeuvre adulte. Si des progrès ont été accomplis en vue d'éliminer le travail des enfants dans l'agriculture, il reste cependant des freins, que cette convention, adoptée en 2001, ne parvient pas à déverrouiller. Cela s'explique en partie par le faible nombre de pays qui l'ont ratifiée : seize seulement.

La France va ratifier la convention à son tour, et je souhaite que cela constitue un signal fort à l'égard de tous les États où le travail des enfants dans l'agriculture reste la norme et où les femmes ne sont pas considérées. Je veux croire que la ratification française aura un effet d'entraînement, qui nous laissera entrevoir l'avènement de davantage d'éthique, de sécurité et de préservation de la santé dans l'agriculture, secteur où les accidents frappent principalement les migrants, les journaliers, les enfants et les femmes.

Le géant de l'agrochimie, Monsanto, vient d'être une nouvelle fois condamné par un tribunal américain pour les graves atteintes à la santé de plusieurs utilisateurs de son désherbant vedette. La dangerosité dans le secteur de l'agriculture est en partie liée à l'utilisation de produits chimiques – notamment des pesticides, des fertilisants et des antibiotiques – et à l'exposition à ces produits. En France, près de 10 % des salariés sont exposés à des produits chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.

Le débat relatif à l'inscription de l'interdiction du glyphosate dans la loi divise notre assemblée, mais nous pouvons tous nous accorder sur le fait qu'il a permis de soulever des questions majeures en matière de sécurité dans le monde agricole. À titre personnel, je me suis prononcé en faveur de cette mesure. Si nous ne sommes pas tous d'accord, sur ces bancs, sur la méthode à employer pour sortir du glyphosate, nous faisons tous le même constat : ce produit est dangereux et il est nécessaire d'en sortir. Ces enjeux de santé publique et de protection de l'environnement et de la biodiversité rassemblent les membres du groupe Libertés et territoires. Ils font partie de notre ADN, et nous en mesurons tous les jours l'importance dans nos territoires.

Je mesure également à quel point l'agriculture occupe une place cruciale en Afrique, notamment dans ma circonscription des Français de l'étranger. Dans les zones rurales, la population vit majoritairement de l'agriculture. Le potentiel de croissance ne demande qu'à s'exprimer dans ce secteur, mais cela ne pourra se faire que dans des conditions de travail décentes, c'est-à-dire dans le respect des principes de base fixés par l'OIT.

Même si le nombre de ratifications demeure peu élevé – je l'ai dit – , je reste convaincu que des pays comme la France peuvent impulser une dynamique et montrer le chemin. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoire se réjouit que la France ratifie à son tour cette convention. Nous espérons que ce sera l'occasion pour notre pays de porter, sur la scène internationale, l'étendard de la sécurité et de la santé en matière agricole.

Vous le savez autant que moi, mes chers collègues, la France aime ses agriculteurs. J'aime l'agriculture et les agriculteurs. C'est la raison pour laquelle nous serons toujours à leurs côtés pour relever les nombreux défis qui sont encore devant nous.

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