Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du lundi 18 février 2019 à 16h00
Agenda commercial européen et accord de partenariat économique entre l'union européenne et le japon — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Le pays compte parmi les leaders dans les domaines de la haute technologie et de la recherche et développement. Il dépose le plus grand nombre de brevets au monde. Autre élément essentiel : pour tout investisseur étranger opérant sur son marché, le Japon offre l'opportunité d'une entrée facilitée vers les autres marchés asiatiques. J'ai ainsi résumé l'intérêt que peut représenter ce pays pour les Européens, surtout dans un contexte mondial de guerre commerciale, d'offensive chinoise et de repli américain.

Le traité dont nous discutons aujourd'hui et qui couvrira finalement la totalité des échanges entre les deux puissances est donc assurément un accord de première importance. Il s'agit même de l'un des plus grands accords de libre-échange de la planète, entre deux blocs représentant 28 % du PIB mondial et 37 % des échanges commerciaux.

Le JEFTA pèsera lourd. L'Union européenne est le troisième partenaire commercial du Japon, tandis que ce dernier arrive en sixième position pour le vieux continent. Les exportations européennes vers le Japon s'élèvent à plus de 60 milliards d'euros et le Japon exporte pour plus de 70 milliards d'euros vers l'Union européenne, laquelle subit donc un déficit commercial de 10 milliards d'euros, dont plus de 3 milliards pour la France. Tout cela a déjà été dit.

En matière d'investissements directs, le Japon est un pays très protégé, les IDE – investissements directs à l'étranger – entrants ne représentant que 4 % de son PIB, ce qui est très largement moins que dans l'Union européenne et aux États-Unis. Il figure tout de même, paradoxalement, parmi les tout premiers investisseurs internationaux, avec 1 345 milliards d'euros de stock d'IDE investis fin 2017. La France dispose de 25 milliards d'euros d'investissements en stock au Japon, ce qui en fait la troisième source d'IDE, mais les investissements japonais en France ne s'élèvent qu'à 14 milliards d'euros en stock, ce qui fait de la France leur dix-septième destination seulement – c'est dix fois moins que le Royaume-Uni, par exemple. Il est regrettable que les revenus de ces IDE ne soient pas majoritairement réinvestis sur le territoire français, mais essentiellement redistribués sous forme de dividendes.

Voilà les données macroéconomiques. Pareil niveau d'intervention commerciale et financière signifie que tout changement structurel aura des conséquences énormes sur les équilibres économiques et sociaux, dans un bloc comme dans l'autre, d'autant que le JEFTA fait partie de ces accords dits « de nouvelle génération » mélangeant des baisses considérables de droits de douane et des reconnaissances mutuelles de standards et de processus de fabrication communs, selon des normes plus élevées que celles de l'OMC. Au-delà d'un traité strictement commercial, il s'agit d'un accord de partenariat économique.

Les principaux points de ce dernier sont connus. Dans l'agroalimentaire, secteur qui était l'une des priorités des Européens, notamment des Français, alors que le marché japonais est en pleine expansion, la suppression des droits de douane pour presque tous les produits alimentaires apparaît comme la promesse d'un ballon d'oxygène. La reconnaissance de l'appellation géographique sur plus de 200 produits européens, qui seront protégés à un niveau assez comparable à celui de l'Union européenne, et la baisse des taxes sur les fromages européens, très élevées jusque-là, sont également des promesses d'avenir. Encore faudra-t-il que des efforts d'organisation commerciale soient consentis et que des filières d'exportation soient organisées. L'effort de la branche sera indispensable. De leur côté, les pouvoirs publics devront faciliter les choses en termes d'organisation et de financement.

La contrepartie obligatoirement offerte aux Japonais n'est pas sans problème. Les Japonais auront un accès total au marché européen de l'automobile, à l'issue d'une période de transition. Les constructeurs européens devront donc consentir de nouveaux efforts d'innovation et de productivité pour encaisser la disparition des 10 % de taxes, chiffre considérable en termes de compétitivité. Ce sera d'autant plus nécessaire que le gouvernement japonais joue sur la parité yen-euro dans l'objectif de faciliter les exportations et de renchérir les coûts relatifs des importations. Il est vrai que le Japon s'engage par ailleurs, dans cet accord, à utiliser les mêmes normes internationales que l'Union européenne. Cette coopération réglementaire pourrait – je parle au conditionnel – faciliter l'accès au marché nippon pour les Européens, qui ne seraient plus, à l'avenir, contraints d'adapter leurs modèles. En revanche, la libéralisation sera bien plus rapide et le choc risque d'être brutal pour les pièces détachées, les machines, les produits chimiques, le textile, le bâtiment et les cosmétiques – la liste n'est pas limitative.

Au-delà des intérêts des firmes majeures, dont le rôle est évidemment essentiel, tout un tissu de PME pourrait, par action concertée ou par portage, être intégré à la dynamique créée par l'accord. Les organismes publics d'encadrement et de soutien à l'ouverture internationale des entreprises ont un rôle à jouer en la matière – cela se comprend – , et nous souhaitons que cet accompagnement ne se traduise pas par une plus grande complexité administrative pour les PME. En toute hypothèse, le groupe Libertés et territoires se réjouit de l'intégration, pour la première fois dans un accord de libre-échange, d'un chapitre dédié aux petites et moyennes entreprises.

Nous voudrions soulever un certain nombre de problèmes, à commencer par l'incontournable question du développement durable. À ce propos, on pourra regretter que la dimension environnementale n'ait à aucun moment été prise en considération. On ne peut ignorer le massacre que les Japonais font subir aux baleines, contrevenant au moratoire international de 1986 et donc au droit international. On évoquera également le commerce illégal de bois, dont le Japon demeure le premier importateur mondial. Les discussions préalables à l'accord auraient pu être l'occasion de redresser les choses, et le groupe Libertés et territoires regrette que cela n'ait pas été le cas.

L'examen de cette proposition de résolution est également pour nous l'occasion de poser la question du contrôle par le Parlement des accords internationaux. Si nous comprenons la logique du transfert de compétences vers l'Union européenne, il n'en reste pas moins que les implications nationales et régionales de pareils accords sont potentiellement considérables. Ce n'est pas que nous ayons des a priori contre Mmes Vestager et Malmström, mais il est vraiment regrettable que le pouvoir de contrôle du Parlement soit érodé, en ce domaine comme en d'autres. Dans le contexte actuel de concurrence exacerbée, il convient et il conviendra que les intérêts des producteurs et des ménages français et européens soient défendus. Si nous ne pouvons le faire ici ni dans aucun autre parlement, il est du devoir des instances européennes de bien comprendre les enjeux. Nous faisons référence ici à ce qu'il est convenu d'appeler, dans ce petit monde d'initiés, les « négociations asymétriques », les « intérêts offensifs » et les « lignes rouges défensives ».

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