Intervention de Mansour Kamardine

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 15h00
Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMansour Kamardine :

Je vous le dis avec fierté, il n'y en France et en Europe pas plus accueillants et tolérants que les Mahorais. Mes chers collègues, posez-vous cette question : quel serait le climat politique et social si, dans vos départements, les Français ne représentaient qu'un tiers de la population et les étrangers deux tiers, dont une majorité de clandestins, continuant d'arriver par dizaines tous les jours ? Voilà la situation de Mayotte.

La population légale du cent unième département sous-estime la population réelle, largement pour les ressortissants étrangers en situation clandestine et sensiblement pour les ressortissants étrangers en situation régulière qui refusent de se faire recenser. Sans tenir compte de ces anomalies, l'INSEE évalue la population officielle à 256 000, dont 42 % d'étrangers, majoritairement clandestins, pour 45 % de natifs mahorais. Les Mahorais sont donc officiellement minoritaires à Mayotte depuis 2018, alors même que, de notoriété publique, tel que le précise le rapport de la mission de la commission des lois de septembre 2018, la population réelle se situe entre 350 000 et 400 000 habitants, confinés dans un chaudron de 374 kilomètres carrés, c'est-à-dire l'équivalent de la population de l'Orne, de la Savoie, de l'Eure-et-Loir, de la Dordogne, de la Charente, de l'Yonne et du Tarn, mais concentrée sur un territoire vingt à vingt-cinq fois plus petit !

De plus, la croissance démographique à Mayotte est de 4 %, et 74 % des enfants qui naissent à la maternité de Mamoudzou sont issus de l'immigration. La perspective d'un remplacement rapide de la population n'est ni une hypothèse à Mayotte, ni une crainte, mais la réalité tangible et palpable, qui engendre une immense inquiétude. Voyez comme la peur du déclassement et de la stagnation entraîne une crise sans précédent en métropole depuis deux mois ! À Mayotte, nous sommes bien au-delà ; nous en sommes à la peur de disparaître. Ne laissez pas la population dans cette situation, car les conséquences pourraient en être terribles.

Alors oui, il est absolument nécessaire d'introduire des adaptations législatives pour tenir compte des spécificités de Mayotte et de sa situation. Lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à l'immigration, j'avais proposé certaines adaptations permettant de lutter contre le détournement massif de notre législation à des fins d'immigration : elles concernaient le droit de la nationalité, le regroupement familial, les mesures d'éloignement et les titres de séjour d'exception, spécifiques à Mayotte. Mes propositions avaient d'ailleurs été cosignées par des députés de différents groupes, notamment ceux de La République en marche et du MODEM. Mme la rapporteure s'en souvient, j'en suis sûr. Grâce à l'esprit d'ouverture et à la prise en compte de la détresse de nos compatriotes mahorais sur de nombreux bancs, il n'avait manqué que quelques voix pour que mes amendements soient adoptés. Le président de l'Assemblée nationale avait d'ailleurs dû procéder à un second comptage des votes. Puis, le travail faisant son chemin et le Sénat ayant introduit une proposition d'un sénateur de La République en marche de Mayotte, vous avez eu, mes chers collègues, la sagesse d'adopter une adaptation du droit de la nationalité à Mayotte.

Je vous invite à poursuivre sur cette voie de la sagesse, de la solidarité vis-à-vis de vos compatriotes de Mayotte et de la prise en compte de la réalité. N'hésitez pas, chers élus de la majorité, à démentir ceux qui vous accusent d'être hors-sol ! C'est pourquoi, je vous demande d'examiner les amendements que je soumets à votre sagacité avec pragmatisme et la volonté de faire vivre la devise de la République, particulièrement la fraternité que vous ne pouvez pas refuser à nos concitoyens de Mayotte.

Les arguments de droit visant à justifier un refus ne résistent pas à l'examen. Notre loi fondamentale reconnaît explicitement le droit d'adaptation pour les collectivités d'outre-mer. Selon le premier alinéa de l'article 73 de la Constitution, celles-ci « peuvent faire l'objet d'adaptations tenant [à leurs] caractéristiques et contraintes particulières ».

Les domaines dans lesquels la Constitution proscrit des adaptations sont notamment la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale. En ces matières, procéder à des adaptations est impossible pour les collectivités d'outre-mer, mais pas pour le législateur, qui peut adapter la législation, comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 6 septembre 2018, confirmant ainsi qu'il n'est nullement inconstitutionnel de procéder à une adaptation du droit de la nationalité à Mayotte.

S'agissant du droit européen, si la directive 20031986 du 22 septembre 2003 prescrit que « le regroupement familial devrait viser, en tout état de cause, les membres de la famille nucléaire, c'est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs », elle prescrit également : « Par dérogation, lorsqu'en matière de regroupement familial, la législation existant dans un État membre à la date d'adoption de la présente directive tient compte de sa capacité d'accueil, » – tel est le cas de la France – « cet État membre peut prévoir d'introduire une période d'attente de trois ans au maximum entre le dépôt de la demande de regroupement familial et la délivrance d'un titre de séjour aux membres de la famille ».

En d'autres termes, le droit européen introduit la possibilité d'adaptations permettant de rendre effectif le regroupement familial à l'issue de cinq ans de présence régulière du requérant – et non deux ans au maximum, comme je l'ai entendu dire ici ou là.

Surtout, l'article 56 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – CEDH – dispose :

« Tout État peut, au moment de la ratification ou à tout autre moment par la suite, déclarer, par notification adressée au Secrétaire général du Conseil de l'Europe, que la présente Convention s'appliquera, sous réserve du paragraphe 4 du présent article, à tous les territoires ou à l'un quelconque des territoires dont il assure les relations internationales.

« La Convention s'appliquera au territoire ou aux territoires désignés dans la notification à partir du trentième jour qui suivra la date à laquelle le Secrétaire général du Conseil de l'Europe aura reçu cette notification.

« Dans lesdits territoires les dispositions de la présente Convention seront appliquées en tenant compte des nécessités locales ».

Aussi le droit européen prévoit-il des adaptations à certains territoires afin de tenir compte des nécessités locales. En outre – j'appelle tout particulièrement votre attention sur ce point, chers collègues – l'article 57 de la CEDH dispose : « Tout État peut, au moment de la signature de la présente Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition ».

Or, lors du dépôt de l'instrument de ratification de la CEDH, le 3 mai 1974, la France a émis une réserve formelle, par déclaration consignée dans celui-ci. La voici : « La présente convention s'appliquera à l'ensemble du territoire de la République, compte tenu, en ce qui concerne les territoires d'outremer, des nécessités locales auxquelles l'article 63 – article 56 de la Convention depuis l'entrée en vigueur du protocole no 11 – fait référence ».

Cette réserve n'a jamais été levée s'agissant de Mayotte. Notre bloc de constitutionnalité prévoit donc bien un droit d'adaptation pour Mayotte en matière de transposition en droit interne des dispositions de la CEDH, dont certaines traitent du regroupement familial.

Enfin, le Président de la République a publiquement affirmé qu'au sujet de Mayotte et de la Guyane il n'y aura « aucun tabou » s'il s'agit de trouver des solutions et que « tout sera sur la table ». Eh bien ! Mettons tout sur la table !

C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues – je m'adresse ici à tous les bancs – je vous en conjure de nouveau : dotez l'État et la justice de solutions innovantes en matière de maîtrise des flux migratoires ! Faites oeuvre de solidarité ! Ne condamnez pas les Français de Mayotte au désespoir !

Examinez mes amendements avec le souci de résoudre des problèmes qui sont sans commune mesure avec la situation prévalant en métropole et de renforcer la lutte globale contre les détournements massifs de nos dispositions législatives – en cherchant l'efficacité, en somme ! Laissez de côté les postures idéologiques de côté !

À Mayotte, le droit de la nationalité a pu être aménagé. Nous aménageons le délai de saisine du juge des libertés et de la détention. Le regroupement familial peut l'être aussi, les mesures d'éloignement également, de même que le titre de séjour d'exception, spécifique à Mayotte. Nous aurons alors mis un terme efficace au détournement de notre humanisme.

Je vous propose donc de conserver l'esprit de notre droit, mais d'en limiter par la lettre les détournements qui tourmentent tant mes compatriotes de Mayotte.

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