Intervention de Nicole Dubré-Chirat

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 15h00
Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Dubré-Chirat :

Mayotte est au coeur de l'archipel des Comores, à plus de 8 000 kilomètres d'ici. Le cent unième département français est empreint de spécificités, mais est très attaché à la nation. Les Mahorais n'ont eu de cesse d'exprimer leur attachement à la République : ils l'ont clairement formulé lors du référendum sur l'indépendance en 1974 et l'ont confirmé en 2009, lors de la consultation où 95 % des suffrages ont exprimé le souhait que l'île devienne un département français.

Pourtant, à cause de son éloignement, ce département a souvent été délaissé par la République française. D'un point de vue économique, Mayotte dispose d'atouts importants pour le développement de l'activité touristique, qu'il s'agisse de son lagon – premier parc naturel marin du monde, abri extraordinaire de la faune et la flore – ou de ses réserves forestières considérables. L'île représente un attrait touristique, mais le manque d'infrastructures adaptées et l'insécurité pénalisent le secteur. Les industries agricoles, halieutiques ou artisanales, présentes sur l'île, peinent à se développer à cause de difficultés d'installation, de recrutement, de formation et de fonctionnement en période de conflit. Elles font aussi face à des cambriolages et à des vols entraînant des pertes financières. Cette insécurité est en partie liée à l'intense croissance démographique et aux migrations en provenance des Comores et de l'Afrique de l'Est.

Cette immigration se traduit par un nombre élevé de naissances – 9 500 l'année dernière – , qui fait de Mayotte la première maternité de France. Elle crée des difficultés de logements : l'île abrite le plus grand bidonville de France, Kawéni, et 30 % de l'habitat est considéré comme illégal. Elle alimente un taux de chômage important, supérieur à 26 %, et des problèmes économiques, le PIB par habitant étant quatre fois plus faible à Mayotte qu'en métropole. Le système scolaire doit s'adapter en permanence, du fait de l'augmentation du nombre d'enfants, en mettant en place un dispositif d'alternance entre le matin et l'après-midi dans les écoles et en portant une attention particulière aux problèmes familiaux et sociaux. Le plan de développement de Mayotte, présenté par Mme la ministre des outre-mer le 15 mai dernier, améliorera la vie quotidienne, notamment sur les plans de la santé, de la sécurité, de l'éducation et du travail.

Depuis plusieurs années, la situation politique avec les Comores est complexe. Les relations diplomatiques entre la France et les Comores se sont interrompues plusieurs fois, puis ont repris dans le but de trouver des solutions bilatérales. Je salue les décisions et engagements réciproques signés par M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et son homologue comorien, le 6 novembre 2018, en matière de lutte contre les mouvements de population non maîtrisés et de sauvegarde des vies humaines en mer, qui affirment la volonté d'engager une nouvelle dynamique commune. C'est pour toutes ces raisons que, lors de nos réflexions sur la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, l'idée d'aménager des spécificités juridiques adaptées à la situation particulière de Mayotte a semblé évidente. Ainsi, nous avons intégré un cadre juridique particulier à Mayotte pour le droit du sol – l'un des deux parents doit, au jour de la naissance, avoir été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois – et la durée de rétention.

Cette dérogation sur la durée de rétention a été introduite le 28 février 2017 par la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer. Elle a porté le délai d'intervention du juge des libertés et de la détention sur la prolongation de la rétention administrative à cinq jours, contre deux, dans l'ensemble du territoire. Cette exception devait être consacrée dans la loi relative à l'asile et à l'immigration. Cette décision a été saluée par le président du tribunal de grande instance de Mamoudzou, qui a rappelé que cet allongement permettait également d'apporter des soins aux personnes retenues et d'accroître l'efficacité des deux JLD de Mayotte.

Lors de l'examen de la loi relative à l'asile et à l'immigration, la dérogation accordée au juge de Mayotte, lui permettant d'intervenir dans un délai de cinq jours plutôt que de deux, a été supprimée par défaut de coordination entre les deux chambres. L'objectif de ce texte n'est autre que de rétablir cette disposition propre à Mayotte. Une durée de cinq jours pour l'intervention du JLD n'allonge pas pour autant la retenue administrative, puisque l'alinéa 3 de l'article 1er harmonise la durée maximale de rétention. Ainsi, la première prolongation de la rétention sera de vingt-cinq jours pour Mayotte contre vingt-huit pour le reste du territoire.

Le principe d'égalité devant la loi française est un droit constitutionnellement garanti. Il suppose que la loi soit la même pour tous sur l'intégralité du territoire de la République. Je rappelle que l'article 73 de notre Constitution prévoit que les départements et les régions d'outre-mer peuvent adapter les lois et les règlements en fonction des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités. Ce sont ces particularités qui font notre République, et je reprends ici les propos du Président de la République : « Le défi qui est le nôtre n'est pas d'aujourd'hui, il est chaque jour un peu plus fort, c'est de conjuguer l'unité de la République qui nous a faits, cette mondialisation qui parfois bouscule des grands équilibres et dans laquelle nous avons à avancer, et la diversité de ces territoires qui est constitutive de nos identités, de notre identité profonde ».

La gouvernance territoriale n'est pas un concept figé et la décentralisation s'adapte au gré de l'évolution de notre société et de ses mutations : c'est ainsi qu'émerge la notion du droit à la différenciation, visant à reconnaître la diversité territoriale de notre République. Ce texte n'a pas visé à modifier d'autres aspects de la loi relative à l'asile et à l'immigration, mais simplement à rétablir un dispositif nécessaire pour le département de Mayotte.

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