Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 15h00
Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Mayotte est française, et elle l'est d'une façon si touchante qu'on ne peut que s'en émouvoir.

En 1974, la patrie n'avait pas une intention si forte que cela d'accueillir Mayotte – disons les choses comme elles sont, et mon collègue Mansour Kamardine le sait mieux que d'autres. Il a fallu une détermination sans faille de la population pour voter contre l'indépendance que les Comores ont choisie.

Quel besoin avait-on, d'ailleurs, de faire revoter les habitants de Mayotte par la suite ? Pourtant, en 1976, on leur a demandé s'ils étaient vraiment bien sûrs de vouloir être français. À cela, ils ont répondu oui, à 99 %. Et je passe sur les autres votes, tantôt pour une raison, tantôt pour une autre. Je crois qu'on a tout demandé aux Mahorais, pour voir si, par hasard, ils n'avaient pas l'intention de s'en aller. Or, chaque fois, leur réponse a été : vive la France !

On ne peut que s'émouvoir de cet attachement, qu'en être touché au plus profond de soi. Et on ne peut que réfléchir d'une autre manière que par le passé à des situations de cet ordre.

Cette assemblée sait-elle que ce sont les femmes qui sont montées en première ligne pour obtenir que Mayotte reste française ? Et savez-vous quelle méthode extraordinaire de pression elles avaient trouvée sur les hommes, pour punir ceux qui soutenaient l'indépendance ou semblaient laisser aller les choses ? C'est un exemple unique au monde : les femmes de Mayotte ont créé des commandos de chatouilleuses, qui se rendaient dans les réunions pour atteindre les hommes dans ce qui est apparemment le plus important pour eux, à savoir leur amour-propre, en les chatouillant pour les ridiculiser. C'est par cette méthode spécialement pacifique que les femmes de Mayotte ont obtenu ce qu'elles voulaient : que le territoire reste français.

Et, s'il doit être français, il a le droit à toute notre solidarité, à toute notre fraternité. Or il faut dire les choses telles qu'elles sont : la situation actuelle est inacceptable, et les Mahorais sont appelés à se débrouiller tout seuls, ce qui n'est pas acceptable non plus. Nous devons aux Mahorais l'unité et la parfaite égalité des droits.

Je n'entrerai pas davantage dans le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Nous vous avons dit, monsieur le secrétaire d'État, ce que nous pensons du rallongement de ce délai, sachant que le centre de rétention se trouve sur la Petite-Terre, si mes souvenirs sont exacts. Vous excipez de cette situation : il faudrait prendre le bac pour se rendre sur la Grande-Terre… Fi donc ! S'il vous manque des bras et des bacs, vous n'avez qu'à en prévoir ! Si l'unité de la République est à ce prix, quelques gendarmes, quelques juges, une barge de plus, ce n'est pas grand-chose ! Servez-nous un autre argument si vous voulez, mais pas celui-là !

S'il y a urgence et désorganisation de la vie sur le territoire, alors ce sont d'autres aspects qu'il faut examiner, en particulier l'extrême misère, à laquelle il est tout aussi urgent de répondre, et qui n'est pas acceptable. Les gens ne méritent pas d'être traités de cette façon. On vous l'a dit tout à l'heure : 84 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Et la pauvreté n'est pas une statistique, il faut lui donner des visages et préciser son contenu ; elle n'est pas seulement une privation d'argent, c'est surtout une privation des moyens ordinaires qui font la dignité de l'existence.

Pour commencer, une habitation sur trois est en tôle. Où accepterait-on cela ailleurs sur le territoire national ? Sommes-nous incapables de couler les quantités de ciment ou de béton nécessaires, d'apporter du bois de construction ? Pourquoi faut-il que nos compatriotes vivent de cette manière indigne ? La patrie peut, si elle le veut, régler ce problème d'un claquement de doigts. Alors, il faut le vouloir !

Ce que nous donnons à voir de nous en Afrique, ce continent si proche, n'est pas l'image que nous voulons offrir. Vous le savez, un très grand défi nous attend : en 2100, la population de l'Afrique sera le double de ce qu'était la population mondiale dans les années 1950. C'est en Afrique que se trouvera l'immense cohorte de ceux qui auront l'usage de la langue française en commun avec nous. La plupart des atouts de la France, de son destin et de ses défis se trouvent sur ce continent. Et Mayotte en est l'un des miroirs, une interpellation adressée à tout le continent, le témoin d'une façon d'y vivre. Il faut donc que nous montrions un exemple. Nous ne pouvons pas être comme les autres, oublier et mépriser ceux qui sont les nôtres et ont voulu l'être si passionnément.

Mayotte nous signale en quelque sorte ce que nous devons être capables de régler. Ainsi de l'explosion démographique. Si les gens ne peuvent pas rester chez eux, ils ne feront rien d'autre que d'essayer de se créer un autre destin en partant. Vous tous, nous tous ici autant que nous sommes, c'est ce que nous ferions, et c'est ce que feraient nos enfants s'ils étaient dans la même situation. Tous ! Alors, comment pouvons-nous penser qu'ils ne le feront pas, eux ? Des populations immenses d'Afrique vont se déplacer à cause du changement climatique et parce qu'aucune perspective de développement ne leur est offerte. Il faut donc répondre à ce premier défi.

Deuxième défi, plus proche : l'écart de niveau de vie entre Grande Comore, Mohéli et Anjouan, d'une part, et Mayotte, d'autre part, est tel que vous ne pouvez pas dire à ces gens que nous ne voulons rien savoir de cette situation. Naturellement, il va de soi que Mayotte ne peut pas accueillir la population de ces trois îles. Nous pouvons le dire très tranquillement aux uns et aux autres. Cependant, il faut que les intéressés disposent des moyens de vivre une vie digne chez eux. Donc, ne prenons et n'acceptons aucune mesure qui aille à l'encontre de cet objectif.

D'ailleurs, le gouvernement de l'Union des Comores ferait bien de s'en soucier, notamment dans sa relation avec l'Union européenne. N'a-t-il rien à dire à l'Union européenne lorsqu'il lui vend ses droits de pêche ? Il sait aussi bien que nous qu'il appauvrit ainsi tous ceux qui peuvent vivre de la pêche artisanale. Mon collègue Younous Omarjee, député européen, qui est issu de La Réunion et s'y rend souvent aux côtés de Jean-Hugues Ratenon, a expliqué à maintes reprises que la vente de ces droits de pêche était un véritable crime : la pêche artisanale ne peut plus vivre, et aucune accumulation ne peut se faire. Ainsi, une personne qui fournit beaucoup d'efforts ne peut plus réaliser les économies qui lui permettraient de recourir à des moyens de travail supplémentaires. Ces accords sont affreux ! Il faut qu'ils cessent ! Il faut que l'Union européenne intervienne dans les Comores, qu'elle apporte une aide au développement beaucoup plus importante qu'elle ne le fait, parce qu'il est dans l'intérêt de l'Europe que sa vitrine mahoraise donne une autre image.

Il y a vraiment une grande souffrance. La vie est plus chère qu'en métropole, de 19 % pour les produits alimentaires. Qui connaît ce petit territoire comprend quel exploit cela constitue d'en tirer ici et là les moyens de vivre, par l'énormité de son travail. Le ramassage et le traitement des déchets sont devenus un problème terrifiant, quasi insoluble pour un grand nombre de collectivités locales. Tout cela nous appelle à aller participer, à aider, à relever le défi, avec les nôtres là-bas.

Et l'eau potable ? Sait-on, dans cette assemblée, qu'il y a eu une crise terrible de l'eau potable à Mayotte en 2016 ? Mansour Kamardine le dira sans doute tout à l'heure. D'une façon générale, 30 % des habitations n'ont pas l'eau courante. Mais, en l'espèce, c'était l'eau elle-même qui manquait, à cause du changement climatique, parce que les réserves d'eau, qui viennent du ciel, étaient insuffisantes. On a consacré 17 millions à ce problème, nous dit-on, alors qu'il en faudrait 800 pour assurer l'approvisionnement sérieux et stable auquel les populations ont droit. Si on part de l'idée qu'elles ont le droit d'avoir de l'eau potable, alors on s'en donne les moyens, ou alors on explique aux gens comment ils peuvent s'en passer. Ne rien faire ou ne pas agir pour mettre les choses au niveau auquel elles doivent être, cela revient à expliquer aux gens qu'ils peuvent s'en passer. Or personne ne s'est risqué à cela jusqu'à présent.

Rappelons que l'on retrouve le même problème dans une partie de la Guadeloupe, comme le savent, sur tous les bancs, nos collègues élus de ce département.

L'aide médicale d'État ne s'applique pas à Mayotte. Pourquoi ?

L'État dépense 40 % de moins pour un élève mahorais que pour un élève métropolitain. Pourquoi ? Pourquoi donc ? Cela ne devrait-il pas être le contraire ? L'État devrait dépenser 40 % de plus à Mayotte, car notre intérêt est que la jeunesse mahoraise puisse participer au développement général du pays. On ne peut pas lui annoncer qu'elle est assignée à résidence ! Nous avons besoin des Mahorais, de leur coup de main, car nous avons besoin de toutes les intelligences, de tous les savoir-faire, pour le bien commun. Plus le niveau général de la population française sera élevé, mieux on se portera !

Chaque fois que l'on rate une génération, on en paie le prix comptant à la suivante, tout le monde le sait. Les enfants que vous n'aurez pas éduqués seront les illettrés de demain ; ils n'auront d'autre possibilité que de vivre à côté de ce qui se lit et s'écrit, ce monde gris dans lequel il se passe toutes sortes de choses que personne ici ne peut approuver.

Pourquoi le montant du revenu de solidarité active est-il de 275 euros à Mayotte, contre 550 sur le territoire de la métropole ? Je viens de le dire, la vie coûte plus cher là-bas. Pourquoi, dès lors, y perçoit-on moins qu'en métropole lorsqu'on est pauvre ?

Je pose ces questions, car elles ont un lien avec le sujet. Franchement, que vont dire nos compatriotes là-bas si nous parlons de Mayotte dans cette assemblée uniquement pour examiner le délai d'expulsion des étrangers ? Que c'est tout ce qui nous intéresse, nous, les députés français ?

Il faut donc qu'un député et le président d'un groupe d'opposition interviennent pour dire aux Mahorais que nous nous intéressons à ce qui se passe à Mayotte, tous autant que nous sommes, quel que soit notre groupe politique, et que nous avons quelque chose à leur dire – j'espère que l'on entend ce que je suis en train de dire.

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