Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 15h00
Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

J'ouvrirai le débat, comme souvent, par une citation célèbre d'Emmanuel Macron, commise au tout début de son mandat : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c'est différent. » Décidément, il n'est jamais à court de sorties méprisantes, ce cher Président ! Cette phrase n'est pas un dérapage verbal, mais bien le symbole de la politique migratoire que conduisent les gouvernements successifs dans le cent unième département français – votre Gouvernement et votre majorité ne font malheureusement pas exception. En comparant ces hommes et ces femmes à du poisson, en banalisant par là même les risques qu'encourent ces personnes et les morts qui en résultent – plus de 10 000 depuis 1995 – , le Président de la République perpétue et ancre toujours plus l'idée que ces vies valent moins que d'autres : moins que la nôtre, nous, gens de bien, belles personnes, que nous soyons à l'Assemblée nationale, sur le territoire hexagonal ou à la préfecture de Mayotte, lieu où cette plaisanterie a été proférée.

Ce propos nie également la situation économique et sociale catastrophique de ce département, et la violation continuelle des droits humains et plus particulièrement de ceux des enfants, qui se pratique tous les jours dans ce territoire dont les mairies arborent pourtant fièrement la devise « Liberté Égalité Fraternité ». Voilà donc les soi-disant grands et grandes progressistes, le fameux parti des castors macronistes censés faire barrage, en France et en Europe – excusez du peu ! – , contre les populistes de tout bord, mais qui, jour après jour, vote après vote, déroulent le tapis rouge à la droite extrême et à l'extrême droite !

Votre majorité et votre gouvernement s'apprêtent donc à continuer cette grande oeuvre humaniste en rétablissant une mesure discriminatoire, une disposition du droit d'exception qui s'applique à Mayotte. À ce stade, un court rappel des événements s'impose.

Lors de l'examen de la loi asile et immigration de 2018, votre majorité avait adopté une disposition rétablissant partiellement une égalité des droits entre les personnes étrangères en rétention à Mayotte et celles qui le sont sur le reste du territoire français. Était ainsi adopté, à l'insu de votre plein gré, pourrait-on dire, un de nos amendements – le fait est suffisamment rare pour être noté. Or, avec cette proposition de loi, vous y mettez tout de suite bon ordre.

Cette disposition que nous avions proposée avait deux effets positifs. D'une part, elle octroyait plus de droits aux personnes en rétention à Mayotte, en prévoyant que la prolongation de ce placement devait être automatiquement prononcée par l'autorité judiciaire en la personne du juge des libertés et de la détention, après une durée de quarante-huit heures et non plus de cinq jours. D'autre part, elle garantissait l'unicité du droit en métropole et dans les outre-mer, comme nous le demandons, en mettant fin à un régime dérogatoire propre à Mayotte, qui avait été introduit en 2017 par la majorité socialiste. Ces dispositions devaient entrer en vigueur le 1er mars 2019, mais, comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition de loi, il s'agissait d'une « erreur » que votre majorité souhaite instamment corriger. Tout cela laisse bien songeur : ainsi, pour vous, rétablir l'égalité et effacer une discrimination relève d'erreurs qu'il faut corriger. Chacun et chacune, ici et au-delà de ces murs, saura se faire un avis sur cette manière de voir les choses !

Prenons maintenant un peu plus de champ pour mieux comprendre de quelle réalité nous parlons. Mayotte est le département le plus pauvre de France, et de loin. La moitié de la population est âgée de moins de dix-sept ans et 60 % de moins de vingt-cinq ans. Un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté : 25 % contre 13 % en France métropolitaine. En 2018, près d'un quart des actifs n'a pas de travail, soit 26 % contre 9,2 % au niveau national. En matière d'éducation, 80 % de la population ont un niveau inférieur ou égal à la sixième ; 25 % sont exclus de toute protection sociale ; 40 % des adultes ne s'expriment qu'en shimaoré ou shibushi. Par ailleurs, 60 000 étrangers en situation irrégulière vivent sur ce territoire. L'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, précise que, en 2017, 41 % des habitants de Mayotte sont étrangers, soit nés à l'étranger – les deux tiers – , soit nés sur l'île de parents étrangers ; 96 % d'entre eux sont Comoriens ou Comoriennes et les 4 % restants, majoritairement Malgaches.

À ces chiffres de l'immigration, il faut ajouter ceux de l'émigration : 26 % des natifs de Mayotte vivent en dehors du département ; ce chiffre atteint 45 % pour les jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans, et la moitié des habitants entre vingt-cinq et trente-quatre ans ont eu une expérience migratoire de six mois ou plus. Mayotte connaît donc, dans un contexte économique et social très problématique, non seulement une immigration, mais également une émigration importante. Ce phénomène est en partie lié aux fortes inégalités qui perdurent dans la région : d'une part, pour les personnes mahoraises vis-à-vis des habitants des autres départements français ; d'autre part, pour les personnes issues des autres îles des Comores par rapport aux Mahorais.

Ces inégalités frappent encore plus durement les femmes. À Mayotte, elles sont plus nombreuses que les hommes et représentent 52 % de la population. En 2016, seulement 29 % des femmes avaient un emploi hors du foyer, contre 68 % au niveau national, et 20 % des femmes occupant un emploi travaillaient à temps partiel, soit une part plus élevée qu'en métropole. Elles sont, pour la majorité, nées à l'étranger.

La situation des enfants est particulièrement préoccupante. Fortement liée à la séparation systématique des familles, du fait de l'expulsion systématique des parents du sol mahorais, elle constitue une conséquence directe des politiques menées. Ainsi, 6 532 enfants nés à l'étranger de parents étrangers résident à Mayotte, dont 350 mineurs non accompagnés d'adulte, à haut risque, évoluant seuls ou avec d'autres mineurs, exposés à tous les dangers, en errance totale – soit une augmentation de 3 % depuis 2014 – , et 1 300 mineurs accompagnés d'adultes, apparentés ou non, eux-mêmes en grande précarité et à haut risque. L'élément déclencheur de l'isolement est le maintien à l'étranger d'un ou des deux parents, conjugué aux reconduites maritimes et terrestres. Les mères ont des difficultés à revenir près de leurs enfants : 20,4 % des femmes restent à l'étranger. Les analyses du sociologue David Guyot mettent en avant une plus importante sédentarisation des parents dans leur pays d'origine et une immigration d'enfants en augmentation. Ces faits sont rappelés dans le rapport du Défenseur des droits, dont je ne doute pas, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, que vous connaissez les détails. À cela s'ajoute une violation caractérisée des droits des enfants à Mayotte, notamment – c'est le sujet de notre discussion – en centre de rétention. Le Défenseur des droits est saisi fréquemment de mesures d'éloignement illégales prononcées contre des enfants de quatre, cinq ou neuf ans qu'on rattache à un adulte qui n'est en aucun cas leur parent.

On pourrait penser que le droit d'exception dont il s'agit ici porte sur une garantie accrue des droits sociaux dans ce département particulièrement touché par les inégalités économiques et sociales, et par le chômage. On imaginerait, logiquement, que la solidarité nationale s'attelle à faciliter l'accès aux droits de nos concitoyens et concitoyennes, parce que nous les considérons comme nos égaux et qu'il est insupportable qu'en France, la majorité d'un département habite dans des bidonvilles, sans accès à l'eau. On se dirait qu'il faut renforcer les moyens de la protection de l'enfance et en adapter les règles à la réalité mahoraise. On pourrait penser répondre à cette situation d'urgence sociale et économique, d'une cruauté inouïe pour les personnes qui la vivent quotidiennement, par une législation sociale qui prenne en compte les spécificités historiques et géographiques du territoire. On pourrait envisager une politique de transition écologique avancée sur ce territoire qui court le plus de risques face au réchauffement climatique. On pourrait penser tout cela si tout sens commun n'avait pas quitté les rives de La République en marche, et si celle-ci ne menait pas une politique qui prépare le terrain aux mesures antisociales et xénophobes de l'extrême droite.

Le droit d'exception que vous voulez maintenir s'applique dans deux domaines : les droits sociaux – pour en restreindre l'accès – et le droit des personnes étrangères – pour limiter les garanties auxquelles elles devraient pouvoir prétendre – , la restriction des droits des personnes étrangères venant justifier celle des droits sociaux pour toutes et tous.

L'exemple du RSA est emblématique. Je citerai à nouveau les propos du Président Macron, toujours pleins de nuance et de subtilité, prononcés en 2017 : « On ne peut pas avoir une situation où on verse pendant douze mois, dix-huit, parfois vingt-quatre mois l'allocation pour demandeurs d'asile qui est supérieure au salaire moyen dans l'ensemble des pays voisins. [… ] Pour réduire l'attractivité du territoire, il faut aussi réviser l'accès à certaines prestations sociales. » Voilà bien encore un propos de nature à engager un débat sain et serein, susceptible de faire barrage aux amalgames insupportables de l'extrême droite !

Dans le précédent projet de loi de finances, votre majorité avait proposé, pour bénéficier du RSA en Guyane, de fixer la condition de résidence à quinze ans au lieu de cinq, avec l'intention d'élargir la disposition à Mayotte. Nous avions déposé un amendement de suppression, défendu par mon collègue Éric Coquerel, auquel vous n'aviez même pas daigné répondre. Le Conseil constitutionnel a, depuis, censuré cette mesure. Rappelons que le montant du RSA à Mayotte est déjà de 50 % inférieur à ce qu'il est dans l'Hexagone.

Les prestations versées par les caisses d'allocations familiales sont autant d'autres exemples à citer. Il n'y a pas de prime à la naissance, à Mayotte ; en particulier la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE, n'existe pas. Il y a des allocations familiales, mais elles sont calculées selon des barèmes inférieurs à ceux en vigueur dans le reste de la France : le maximum est de 120 euros contre 131 euros dans la métropole.

Le droit des étrangers, quant à lui, s'applique quasiment systématiquement de manière dérogatoire. À l'inverse de ce qui existe sur le reste du territoire français, à Mayotte, le dispositif de l'admission exceptionnelle au séjour par le travail ne s'applique pas, par exemple. Cela est spécifiquement mentionné à l'article 313-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – CESEDA. À Mayotte, avec l'absence de honte qui vous caractérise, vous avez remis en cause l'application uniforme du droit à la nationalité.

Cette politique a pour conséquence, concrète et directe, d'accroître le nombre d'enfants isolés de leurs parents, les poches de clandestinité – donc de travail illégal – et le nombre de morts. Elle favorise les inégalités, et donc le ressentiment entre Françaises et Français métropolitains sur le territoire mahorais, Françaises et Français de Mayotte, et personnes immigrées. Elle complique, par ailleurs, les relations diplomatiques entre les différentes îles de l'archipel, et ne permet aucune solution à long terme. L'une des causes des migrations de populations comoriennes vers Mayotte tient aux importantes disparités économiques entre les différents territoires de cet archipel, alors même que ces îles partagent des langues, des coutumes, mais aussi une histoire, communes. Rappelons qu'elles constituent un territoire anciennement colonisé, dont une partie a acquis son indépendance, …

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