Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du lundi 10 décembre 2018 à 16h00
Préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

La volonté de paix et de progrès économique et social ont toujours présidé au projet européen qui a conduit à l'avènement de l'Union européenne telle que nous la connaissons aujourd'hui. Des six États qui ont fait de cette idée européenne une réalité, nous sommes passés à vingt-huit. En dépit des crises successives, la volonté d'appartenance à cette entité ne cesse de grandir. Cependant, si l'Europe attire toujours, son unité peut paraître aujourd'hui menacée. Elle est en tout cas fragilisée par le départ d'un de ses membres.

Après quarante-trois ans de vie commune, le Royaume-Uni a annoncé sa décision de quitter l'Union européenne, et ce retrait doit être effectif dans quatre mois. Les choses étant ce qu'elles sont, il nous appartient d'accompagner au mieux cette sortie, tant dans l'intérêt de la France, que pour l'Europe et le Royaume-Uni.

Les députés du groupe Libertés et territoires, comme, d'ailleurs, une majorité de Français et d'Européens sont attachés à la construction européenne et aux idéaux des Pères fondateurs. Certes, aujourd'hui, l'espoir a laissé place à la déception, et même à la défiance. Les citoyens ont le sentiment de perdre leur identité, sous la houlette d'une réglementation européenne parfois éloignée de leurs préoccupations.

L'Europe doit agir, et les champs d'action ne manquent pas : précarité, inégalités régionales, lutte contre le terrorisme, promotion du modèle démocratique, maîtrise des flux migratoires, transition énergétique, grands projets économiques, soutien à l'innovation, sont autant de questions qui non seulement relèvent des États et des collectivités, mais qu'il convient aussi de résoudre en commun. Nous devons aller ensemble vers une harmonisation fiscale et sociale, qui est l'indispensable complément de la liberté d'installation.

Il est également essentiel que l'Union s'appuie sur les identités territoriales. Elles sont source d'enrichissement de la culture commune et du sentiment commun d'appartenance. Notre groupe est soucieux d'oeuvrer à un nouveau pacte de confiance, fondé non seulement sur la reconnaissance de la diversité culturelle, garante d'une plus grande légitimité démocratique, ainsi que d'une plus grande efficacité économique et sociale, mais aussi sur une approche environnementale positive et porteuse d'avenir. Respectés dans leur culture et leurs projets immédiats, les Européens adhéreront spontanément au dessein commun.

Plus que jamais, à l'approche des élections européennes, et alors que l'accord de retrait du Royaume-Uni est en cours d'examen au Parlement britannique, nous devons rester unis, dans le respect de nos diversités, et dans cette volonté d'un nouveau projet pour l'Europe.

Même si le référendum britannique de juin 2016 a été un choc, car nous n'avions jamais envisagé qu'un jour un État membre souhaiterait quitter l'Union, nous ne devons pas considérer le Royaume-Uni comme un simple pays tiers. Les électeurs britanniques ont certes exprimé le désir de quitter l'Union européenne, comme le prévoit l'article 50 du traité instituant la Communauté européenne, mais cela ne signifie nullement qu'ils s'opposent à une relation privilégiée avec la France, et moins encore qu'ils renoncent à l'idée européenne. Les débats politiques actuels en témoignent.

Aussi, face à l'incertitude d'une ratification de l'accord négocié pendant dix-sept mois avec la Commission européenne – permettez-moi, au passage, de saluer le travail et les qualités de négociateur de Michel Barnier – , nous devons anticiper les conséquences d'un Brexit dur, pour les citoyens britanniques présents dans les territoires français et européen comme pour les Européens présents au Royaume-Uni.

À travers le projet de loi que nous examinons, vous nous demandez d'habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances, c'est-à-dire de priver l'Assemblée nationale du légitime débat sur le contenu des mesures à prendre. Les ordonnances, même inscrites dans le cadre constitutionnel, sont à utiliser avec modération, car, en l'absence d'un véritable débat parlementaire, elles se révèlent souvent, a posteriori, des textes imparfaits.

N'oublions pas que pour les grands constitutionnalistes Guy Carcassonne et Marc Guillaume, « le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques ». Cependant, en raison du délai très court qui nous sépare de l'effectivité de ce retrait, et de l'agenda parlementaire, qui ne semble pas pouvoir répondre à l'urgence de la situation, il faut admettre la démarche qui est la vôtre.

Il est donc impératif aujourd'hui de veiller à ce que cette séparation annoncée ne soit pas la fin d'une histoire, mais le début d'une nouvelle coopération pour chacune des parties. C'est tout l'enjeu du texte qui est aujourd'hui soumis à notre assemblée, texte que nous abordons dans un contexte chaotique, puisque nous ne savons même pas si le Royaume-Uni ratifiera ou non l'accord de retrait.

La prévision est d'autant plus difficile que Theresa May, on le sait, affronte des oppositions de toutes parts, y compris au sein de sa propre majorité, et qu'elle a été tenue en échec par le Parlement, le 4 décembre dernier, à l'occasion d'un vote clef sur le Brexit, avant l'autre vote crucial, prévu prochainement.

Nous en sommes donc réduits aux hypothèses. Si le rejet de ce texte débouche sur un Brexit dur, de multiples questions se poseront, notamment celle de la frontière irlandaise. Il est impératif que l'accord du Vendredi saint ne soit pas mis en péril. Le moins que l'on puisse dire est que la réinstallation d'une frontière renforcée entre Dublin et Belfast serait dangereuse et contre-productive.

L'Irlande du Nord, qui a majoritairement voté contre le Brexit, se trouve confrontée à un réel risque de déstabilisation alors qu'un équilibre, fragile et contesté, avait été trouvé après trente ans d'une douloureuse guerre civile. De son coté, Gibraltar posera des problèmes non négligeables, et je ne parle pas de l'éventuel impact sur la vie politique écossaise.

Parmi les nombreuses autres conséquences du Brexit, il y a la question du statut des 1 715 fonctionnaires britanniques qui occupent un poste en France. Nous avons adopté en commission un amendement leur garantissant le droit de conserver leur statut d'agent titulaire, et nous nous en réjouissons.

Plus largement, quelles seront les conséquences pour les trois millions de citoyens européens habitant au Royaume-Uni et pour les 1,2 million de Britanniques vivant dans un autre pays de l'Union européenne ? Quelles règles seront imposées aux uns et aux autres ?

Nous devons aussi être particulièrement attentifs aux conséquences financières. Avant de pouvoir quitter l'Union, Londres devra remplir ses engagements et verser la contribution prévue dans le budget en cours. Se pose également la question de l'avenir des fonds régionaux. Le budget européen ne manquera pas d'être touché puisque les Britanniques y contribuaient grandement. Dès lors, le risque que ces fonds subissent des répercussions négatives est bien réel avec, à la clef, des conséquences tout aussi négatives pour les politiques de développement économique des régions françaises périphériques.

Parallèlement, nous invitons le Gouvernement à être vigilant sur l'adaptation du tracé du corridor trans-européen, entre la Mer du Nord et la Méditerranée, qui relie actuellement l'Irlande et l'Ecosse au Bénélux et à Marseille. Il nous paraît inacceptable que les ports français, notamment bretons, soient délaissés au profit des ports de l'Europe du nord alors que, géographiquement et matériellement, ils sont tout aussi légitimes pour accueillir ce trafic.

Le groupe Libertés et territoires regardera également avec attention le sort qui sera réservé à la pêche française dans les eaux territoriales britanniques, notamment en ce qui concerne l'acceptation d'un accès privilégié. On connaît l'importance des eaux de la Manche, de la mer du Nord et de la mer d'Irlande. Aujourd'hui intégrées à la politique commune de la pêche, ces zones pourraient devenir inaccessibles aux marins européens.

Ces questions ne sont pas limitatives. On pourrait s'interroger sur l'évolution du marché unique – puisque le Royaume-Uni exporte près de la moitié de ses produits vers l'Union européenne – ; sur la poursuite du programme Erasmus et des programmes de recherches transfrontaliers – dont il est inutile de souligner l'ampleur – ; sur la collaboration en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme ; sur l'éventuelle poursuite de la collaboration en matière de défense.

Madame la ministre, je viens d'énumérer quelques points relatifs aux conséquences d'un Brexit dur mais, au-delà de ces considérations, c'est la relation même avec le Royaume-Uni qui mérite d'être reconstruite, de manière globale, dans le respect des liens privilégiés que l'histoire a tissés.

Les relations entre les deux parties pourraient prendre la forme d'accords bilatéraux du type de ceux qui lient l'Union européenne à la Norvège ou à la Suisse, ce qui assurerait au Royaume-Uni des relations privilégiées avec le marché européen et l'harmonisation de certaines politiques.

Vous l'aurez compris, nous voterons ce texte, parce qu'il est impératif de réagir en amont à toutes les hypothèses de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais nous ne vous donnons pas un blanc-seing quant à la mise en oeuvre de vos ordonnances.

Le retrait du Royaume-Uni est un immense échec pour l'idéal européen. Le Royaume-Uni s'est toujours positionné aux marges de la dynamique européenne et il a fini par basculer vers la sortie, ce qui en dit long sur le déficit démocratique de l'Union, sur son manque de souffle et d'idéal, sur l'ampleur de ses pesanteurs technocratiques. Je l'ai dit, en ces temps agités, de crise économique et sociale profonde, génératrice de repli et trop souvent de fanatisme, il est du devoir des dirigeants européens d'agir.

Nous l'avons vu, les sujets de coopération ne manquent pas. Ils valent mieux que d'interminables querelles juridiques ou que des efforts malheureux destinés à distordre les conditions d'une concurrence économique saine. L'Union européenne doit sortir de sa gangue technocratique et atteindre une véritable dimension humaine et culturelle. Nous avons su donner un corps à l'Union : il est temps de lui donner une âme.

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