Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du lundi 10 décembre 2018 à 16h00
Préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Chers collègues, j'ai l'honneur de défendre devant vous une motion de renvoi en commission de ce projet de loi. J'espère vous convaincre de l'adopter.

Je voulais rappeler un point : les motions de procédure sont prévues par notre règlement. Ce sont des instruments à la disposition des groupes parlementaires, et bien évidemment au premier chef de ceux de l'opposition, pour faire passer des messages et s'exprimer. Nous n'avons pas l'intention d'y renoncer.

Qu'il me soit permis tout d'abord de redire, au nom des Républicains, combien nous regrettons le Brexit, même si ces mots de regret ne sauraient être entendus comme une quelconque remise en cause du droit du peuple britannique à décider souverainement de son avenir.

Le 23 juin 2016, lorsque le monde entier apprend que 51,89 % des électeurs britanniques répondent oui à la question sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, c'est un coup de tonnerre qui retentit, dans un ciel qui n'était déjà plus serein du tout. En conséquence, le 29 mars 2017, après bien des tergiversations et des atermoiements, le gouvernement britannique notifie formellement au Conseil de l'Union son intention de quitter l'Union en activant l'article 50. Une date de sortie du Royaume-Uni est donc fixée, à l'heure où nous parlons, au 30 mars 2019 à minuit. Sauf si...

Nous avons appris qu'aux termes d'un arrêt rendu ce matin même, 10 décembre 2019, par la Cour de justice de l'Union européenne, un État membre ayant notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l'Union européenne peut tout aussi souverainement révoquer de manière unilatérale sa notification de retrait.

Loin de moi l'idée de suggérer qu'il y aurait là un chemin possible qui se dessinerait pour l'avenir du Royaume-Uni, mais force est de constater que l'arrêt de la cour de justice du Luxembourg, qui était très attendu, apporte un éclairage important au moment où nous sommes réunis dans cet hémicycle, et où le débat fait rage au Royaume-Uni, à Westminster comme au sein du gouvernement britannique.

Mais revenons à la motion de renvoi en commission. Celle-ci n'est pas une procédure dilatoire, mais un appel à la raison, quand une situation est bancale, incertaine, insatisfaisante, obscure. Or aujourd'hui, force est de constater que la situation est gorgée d'incertitude.

À l'heure où je vous parle, nous venons d'apprendre que Mme Theresa May a choisi de reporter le vote initialement prévu demain à la Chambre des communes. Londres a bruissé toute la journée de rumeurs contradictoires, qui continueront de se répandre ce soir et dans les jours à venir. Nous ne savons pas exactement quel sera le prochain calendrier parlementaire et quelle sera l'attitude du Labour face au report du vote que vient d'annoncer la Première ministre. Nous sommes donc plongés dans l'incertitude et l'expectative.

Il y a fort à parier que la Première ministre britannique ne nourrit aucune illusion sur la possibilité de rouvrir les négociations sur l'accord de retrait, qui a été très longuement et laborieusement négocié pendant dix-huit mois et adopté au plus haut niveau, le 25 novembre, par les chefs d'État et de gouvernement réunis en un Conseil européen extraordinaire. Mais sans doute l'idée de l'actuelle locataire du 10, Downing Street – nous en sommes réduits aux spéculations – est-elle de tenter d'obtenir la modification de la déclaration politique qui accompagne l'accord de retrait et fixe le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Nous le savons, cette déclaration politique est un texte très important qui s'ajoute à l'accord de retrait, lequel est extrêmement complet. Celui-ci comporte en effet 185 articles et 3 protocoles annexes, soit en tout 585 pages âprement négociées. Je rends un hommage appuyé au négociateur en chef de l'Union européenne Michel Barnier, dont les qualités de Savoyard ont été longuement décrites par le président Bourlanges. Je m'associe à ces propos, ainsi qu'aux compliments ô combien mérités que lui a décernés le président de la commission spéciale de l'Assemblée nationale.

Ce projet d'accord est le seul sur la table. Nous le savons. Tous les chefs d'État et de Gouvernement l'ont dit. La Commission européenne l'a encore affirmé ce matin. La Première ministre britannique le sait également.

Néanmoins, les soubresauts et le tumulte qui agitent le gouvernement britannique, malgré la colère en jaune qui gronde et qui monte dans notre pays, ne nous ont pas échappé. Depuis la mi-novembre, pas moins de six membres du cabinet de Mme May ont démissionné. La question d'un nouveau référendum a émergé, d'une manière hasardeuse mais de plus en plus prégnante dans le débat public britannique. Même les forces politiques les plus favorables au Brexit, à un hard Brexit, à un ultra-Brexit, semblent désormais plongées dans le plus grand désarroi. Le premier débat télévisé prévu hier sur la BBC entre la Première ministre et le chef de l'opposition travailliste a d'ailleurs été annulé.

Et puis, on le sait maintenant, Mme May envisage fortement de concéder un droit de veto pour bloquer la mise en place du « filet de sécurité » négocié pour éviter le retour d'une frontière en dur entre l'Irlande et Irlande du Nord. Un tel amendement risque d'altérer profondément le projet d'accord, mais cette question du « backstop » a été mise en avant par la Première ministre britannique elle-même, il y a quelques instants, comme une des raisons justifiant le report du vote prévu demain à Westminster.

Un premier débat qui s'était tenu le 4 décembre à la Chambre des communes a été marqué par la mise en cause du cabinet, qui avait refusé de transmettre l'étude d'impact juridique. Cette situation nous rappelle, je le signale en passant, que le gouvernement français avait lui aussi refusé de rendre public l'avis du Conseil d'État. Toutefois, grâce au président de notre commission spéciale, nous avons pu prendre connaissance de l'essence de cet avis, ce qui est précieux. Il en ressort que le Parlement n'est pas suffisamment informé de la finalité des mesures envisagées par les ordonnances et que des précisions devront être apportées sur la compatibilité desdites ordonnances avec le droit de l'Union.

Il y a décidément toujours et encore, ici comme outre-Manche, des progrès à faire pour que nous puissions faire confiance à la démocratie représentative.

Un tel océan d'incertitudes et d'inquiétudes devrait nous amener à un peu de sagesse et nous inviter à prendre du recul car, à l'évidence, nous ne sommes pas dans le bon tempo. Le Parlement européen a d'ailleurs décidé de reporter le vote de la résolution sur le projet d'accord, afin d'éviter toute interférence avec le vote de nos homologues britanniques. Cela est sage. Sans doute, en raison des liens particuliers qui unissent nos deux nations depuis des siècles, une telle attitude serait-elle bienvenue de notre part.

Cela étant posé, l'hypothèse d'un « no deal » est bien la plus plausible à l'heure où nous parlons, même si, encore une fois, les questions sont de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que la journée avance. Nous devons donc envisager dès à présent le scénario d'un Brexit dur. C'est ce que tente d'anticiper le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances soumis à notre vote.

Nous le voyons : le contenu des futures ordonnances dépendra du scénario final, du vote qui interviendra à Westminster, sachant que l'Union européenne, à l'initiative de la Commission européenne, sera amené à prendre, en ce qui concerne ses compétences, une série de mesures de contingence.

Nous aurions donc intérêt à conserver une certaine marge de manoeuvre dans les tout prochains jours pour pouvoir nous adapter à l'évolution de la situation. Le Conseil européen de fin d'année, programmé les 13 et 14 décembre, risque fort de se transformer en un énième « Conseil européen Brexit ». Il serait donc opportun de faire preuve de sagesse et de donner un peu plus de temps au débat.

Cela m'amène à la deuxième raison qui motive la motion de renvoi en commission que le groupe Les Républicains a l'honneur de vous présenter : le projet de loi mérite d'être travaillé en profondeur.

Certes, sur la question des fonctionnaires de nationalité britannique – je pense particulièrement aux enseignants – une solution correcte a pu émerger des débats en commission spéciale, avec un nouvel alinéa prévoyant le maintien des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique dans les conditions de statut et d'emploi qui sont les leurs, sans qu'une condition de nationalité ne puisse leur être opposée. Cette nouvelle disposition introduite à la faveur des amendements examinés par la commission, en cas d'absence d'accord final, est la bienvenue.

Par extension, la situation des Britanniques exerçant une activité professionnelle salariée en France comme des personnes physiques ou morales britanniques ayant une activité ou une profession réglementée a été examinée par la commission spéciale de notre Assemblée et, auparavant, par le Sénat. Nous resterons toutefois vigilants sur ce que le Gouvernement proposera concrètement dans les futures ordonnances – si ordonnances il doit y avoir – pour les modalités de droit d'entrée et de séjour des ressortissants britanniques en France.

En effet, qu'il s'agisse de ceux actuellement présents sur le territoire national ou de ceux qui souhaiteraient y séjourner pour une durée supérieure à trois mois, le droit actuel devra être adapté, au risque de placer les ressortissants britanniques en infraction avec le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

D'autres sujets n'ont pas encore trouvé de solutions consensuelles ou suscitent toujours inquiétudes et incertitudes. Ainsi, dans le cas où il n'y aurait pas d'accord, la situation des ressortissants français est renvoyée aux ordonnances sans beaucoup de précisions supplémentaires. Nous ne pouvons que vous alerter sur le sujet, en soulignant le caractère extrêmement sensible de la situation de ressortissants français qui quitteraient le Royaume-Uni pour s'établir en France et qui ne pourraient plus se voir ouvrir de droits à l'assurance chômage en France tenant compte de leur période d'activité au Royaume-Uni, comme c'est le cas actuellement dès lors qu'ils travaillent au moins un jour en France.

Le calcul des prestations contributives françaises – vieillesse, invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles – impliquant des périodes d'assurance au Royaume-Uni et en France ne pourrait reposer que sur la période nationale. Donc, sans un dispositif plus fouillé, plus clair, plus travaillé, la sécurité sociale française ne pourrait pas prendre en compte les périodes britanniques et serait donc amenée à verser une prestation d'un moindre montant. Dans le contexte actuel, les députés Les Républicains estiment qu'il faut davantage de débat, de travail, donc de temps, pour approfondir ces sujets et établir avec certitude les garanties qui seront apportées pour préserver les intérêts des ressortissants français particulièrement concernés.

Il en va de même pour les diplômes, qualifications et expériences professionnelles acquis ou en cours d'acquisition au Royaume-Uni avant la date du Brexit. L'objectif affiché du Gouvernement d'identifier d'une part l'ensemble des professions concernées par un retrait du Royaume-Uni sans accord, d'autre part de prendre les mesures législatives nécessaires pour tenir compte des conséquences qu'un retrait sans accord aurait sur elles, mérite également que nous revenions en commission pour approfondir le débat.

J'observe avec satisfaction que le président Bourlanges a prononcé tout à l'heure une appréciation flatteuse sur l'intérêt du travail parlementaire effectué par la commission spéciale, et qu'il a souligné l'apport bénéfique des amendements déposés par les députés du groupe Les Républicains. Il ne tient qu'à nous de poursuivre cet enrichissement, en nous donnant davantage de temps pour travailler en commission.

Un autre sujet majeur pour la France, l'agriculture et la pêche, mérite lui aussi davantage de considération. Nous en avons parlé, bien évidemment. Nous avons des propositions à formuler, que nous souhaiterions retravailler. Alors que les débats sur le cadre financier pluriannuel dureront plusieurs mois et traîneront vraisemblablement en longueur tout au long de l'année 2019, les inquiétudes sont vives quant aux baisses des fonds de la politique agricole commune et du FEADER – fonds européen agricole pour le développement rural – , sur lesquelles Les Républicains auraient voulu pouvoir revenir.

Last but not least, la gestion des flux migratoires, qui a déjà donné lieu à des discussions animées en commission spéciale, ne peut être évacuée aussi rapidement qu'elle l'a été. Les fortes tensions migratoires connues en 2015, dont nous connaissons une petite réplique au sud de l'Espagne depuis quelques mois, constituent une réalité que le Gouvernement et la représentation nationale doivent prendre en compte intégralement et porter publiquement dans le débat.

Vous n'ignorez pas à quel point ce sujet est sensible. Pour Les Républicains, la gestion des flux migratoires doit toujours être débattue publiquement et si possible dans l'enceinte des assemblées parlementaires, au coeur de la démocratie représentative.

Je le dis particulièrement en ce jour où un secrétaire d'État va signer au nom de la France le Pacte mondial sur les migrations à Marrakech sans qu'aucun débat ait eu lieu au Parlement français, contrairement à ce qui s'est passé dans les parlements d'autres grands pays européens.

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