Intervention de Frédérique Vidal

Séance en hémicycle du jeudi 6 décembre 2018 à 21h30
Fonds spécifique destiné à la recherche oncologique pédiatrique — Discussion générale

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Permettez-moi avant toute chose de vous remercier de la qualité de vos interventions. Je me félicite que vous nous permettiez de revenir sur un enjeu qui nous mobilise tous : la lutte contre les cancers pédiatriques. Cette mobilisation, c'est évidemment celle de l'Assemblée nationale, mais aussi celle du Sénat et du Gouvernement.

Cela a été rappelé, chaque année, sur notre territoire, 1 700 nouveaux cas de cancers sont détectés, à l'origine de 500 décès par an. Quoi de plus injuste qu'un cancer chez un jeune enfant ? Ce sont autant de drames absolus qui nous frappent et nous touchent tous. Il n'y a pas de mots pour dire ce que les familles touchées par ces drames traversent. Accompagner ces familles, c'est rester marqué à jamais, vous l'avez rappelé, madame Fiat. Dans le cadre de mes recherches, j'ai accompagné des familles frappées par des maladies génétiques rares, et je ne l'oublierai jamais, pas plus, je le sais, que toutes celles et tous ceux qui travaillent avec de jeunes enfants et leurs familles, que ce soit dans les hôpitaux, les laboratoires de recherche ou les associations. Face à cette douleur et à cette injustice, il y aurait quelque chose de dérisoire à se perdre dans les chiffres. Nous voulons tous faire le maximum, en adoptant la bonne stratégie et en prenant les bonnes décisions : celles qui produiront des résultats et feront reculer la maladie.

Cela fait plusieurs mois que vous avez décidé de vous emparer à bras-le-corps du défi constitué par les cancers pédiatriques. Cet engagement collectif s'est traduit, à l'Assemblée nationale, par l'adoption de la proposition de loi de votre collègue Nathalie Elimas, mais également, en loi de finances, par l'adoption d'un amendement que j'ai porté personnellement, qui permettra de consacrer 5 millions d'euros supplémentaires par an à la mobilisation contre les cancers pédiatriques les plus résistants. Votre travail, au plus près des associations et de nos concitoyens, nous a permis collectivement, ces dernières semaines, de jeter les fondations d'une réponse globale à ce défi, tant en matière de recherche que d'accueil et de prise en charge des enfants frappés par le cancer ainsi que de leurs familles.

La résolution proposée par le groupe UDI, Agir et indépendants, à l'initiative de son président, Jean-Christophe Lagarde, entend conduire à la création d'un fonds dédié au financement de la recherche sur le cancer pédiatrique, alimenté à hauteur de 20 millions d'euros par an.

Les cancers de l'enfant présentent des taux de guérison actuellement évalués à 80 %, en amélioration de 20 % depuis une quinzaine d'années. Il y a encore quelques décennies, on ne savait pas guérir ces cancers. Les progrès sont venus du développement de la chimiothérapie et de la radiothérapie ; nous les devons à la mobilisation des scientifiques et des médecins, soutenus par l'ensemble de la société, dans le cadre des plans cancer successifs.

Si les progrès accomplis sont considérables, l'enjeu, aujourd'hui, pour les cancers de l'enfant, est de faire reculer ceux d'entre eux qui résistent aux stratégies thérapeutiques construites au cours des dernières années. Je pense notamment à certaines formes de tumeurs du tronc cérébral ou à certains sarcomes touchant les enfants, mais également aux séquelles consécutives à leur traitement.

Cela ne vient pas, comme j'ai pu l'entendre, d'un sous-financement chronique. Je ne me lancerai pas dans une comptabilité du malheur, car cela n'aurait aucun sens, mais je voudrais rappeler que les moyens du plan cancer sont là, depuis des années, et qu'ils bénéficient largement à la recherche sur le cancer pédiatrique. Chaque année, l'INCa finance des projets et des actions à hauteur de 64 millions d'euros. La recherche sur le cancer pédiatrique représente environ 12 % de cette somme, sans compter les ressources du CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – , de l'INSERM, de l'ensemble des CHU – les centres hospitaliers universitaires – , des universités et des acteurs, qui, au travers du programme 172 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » de la loi de finances, en augmentation de 2,53 % cette année, permettent de consacrer de très nombreux financements à ces sujets.

Je peux vous assurer qu'aucun projet de recherche proposé à l'INCa en matière pédiatrique n'a été laissé de côté pour un motif financier. Les équipes de chercheurs qui souhaitent s'investir dans les enjeux de l'oncologie pédiatrique, quel que soit leur champ disciplinaire, ont la possibilité de le faire.

C'est ce qu'explicite clairement le dispositif de la résolution. Le nombre de patients bénéficiaires d'essais cliniques a triplé ces dernières années, sans que cela ne se traduise immédiatement par une progression des taux de guérison. Cela prouve bien que le sujet n'est pas financier mais scientifique. Vous comprendrez que, si le défi des cancers pédiatriques n'était qu'une question de moyens, il serait réglé depuis longtemps, mais ce n'est pas ainsi que fonctionnent la recherche et le progrès scientifique.

À travers ce débat, l'essentiel est que nous ayons tous une vision claire et partagée de ce que nous pouvons attendre de la recherche. La réalité, c'est qu'il y a non pas un cancer, mais des cancers. Certains mécanismes leur sont communs, mais pas tous. Si nous voulons faire reculer les cancers les plus résistants, nous devons changer d'approche et comprendre ce qui les rend singuliers et résistants, afin d'imaginer des stratégies thérapeutiques nouvelles. Et, pour inventer ces nouvelles approches, nous avons besoin de nous appuyer sur la recherche afin de comprendre les mécanismes à l'oeuvre dans le développement de ces cancers et de faire bouger les lignes.

Il y a quelques jours, je me suis rendue, avec certains d'entre vous, à l'Institut Curie, à la rencontre du professeur Delattre et de son équipe, qui travaillent depuis des années sur ces questions. J'ai écouté les doctorants exposer leurs projets de recherche. De quoi parlent-ils ? De génétique, de différenciation cellulaire et de nouvelles connaissances en embryologie ou en immunologie, nécessaires à la compréhension des cancers pédiatriques. Qu'attendent-ils ? Avant tout, une meilleure coordination européenne, afin d'intégrer plus de jeunes patients dans les études de cohortes et dans les essais cliniques, pour leur donner un impact maximal. Mais ils parlent aussi d'intelligence artificielle, de big data, de séquençage d'ADN, d'analyse de cohortes, et veulent attirer des talents du monde scientifique dans des disciplines différentes, car là est l'enjeu.

Pour prendre un seul exemple, celui des tumeurs infiltrantes du tronc cérébral, nous ne savons pas encore d'où viendra l'espoir. Il pourra venir de techniques de radiochirurgie pointues et améliorées, issues du champ de la recherche en physique ; il pourra venir d'une meilleure connaissance des caractéristiques fondamentales de ces tissus, de la compréhension de la biologie du développement du système nerveux, de la génétique ou de l'immunologie fondamentale ; il pourra venir de l'intelligence artificielle et du big data, qui exploiteront mieux les données issues des corps de jeunes patients en France ou en Europe.

En effet, cet enjeu est actuellement évoqué au niveau européen, et nous cherchons, en France comme en Europe, à élargir considérablement le champ des possibles en matière de coopération internationale – là encore, je songe principalement aux essais cliniques qui rassembleront plus de patients.

Cet enjeu se trouve également au coeur de l'amendement, proposé le 14 novembre dernier, que vous avez adopté à l'unanimité. Nous disposons désormais d'un outil financier qui nous permettra de consacrer, en plus des projets portés par l'INCa et par les associations, près de 5 millions d'euros par an à la recherche contre le cancer pédiatrique.

Cet engagement, que nous partageons, s'entend évidemment à long terme. Mais la stratégie de financement de long terme doit également être pensée dans le cadre des suites du plan cancer. Cela concernera aussi bien la recherche de base que la recherche translationnelle, ou encore les essais cliniques prévus dans le PHRC – le programme hospitalier de recherche clinique – et, bien évidemment, les soins. C'est dans ce cadre qu'avec Agnès Buzyn, nous pourrons engager un effort budgétaire pluriannuel sur fonds publics, qui est essentiel, comme vous l'avez rappelé.

Nous mènerons ce travail dans une large concertation, et vous serez, bien sûr, associés à la réflexion. Les outils de l'évaluation parlementaire sont en cours d'élaboration, mon ministère comme celui d'Agnès Buzyn travaillant d'ores et déjà avec les fédérations d'associations les plus engagées.

Au-delà du renforcement de l'effort budgétaire, vous avez élaboré un volet législatif, en votant la proposition de loi de Nathalie Elimas, que je salue. Ce texte contient des mesures capitales, très attendues par les associations, les familles et les jeunes patients eux-mêmes. Bien évidemment, cette initiative doit encore être inscrite à l'ordre du jour puis examinée par le Sénat, mais, à ce stade de la navette parlementaire, nous pouvons déjà collectivement nous féliciter des avancées de ce texte.

Ainsi, tant en loi de finances qu'à travers les travaux de Nathalie Elimas, notre engagement collectif pour relever ce défi nous a mobilisés, sur tous les bancs, ces dernières semaines et ces derniers mois. Vous comprendrez, mesdames et messieurs les députés, que le texte de la proposition de résolution qui vous est présentée ce soir, parce qu'il a été déposé avant que vous ne votiez ces avancées, n'est plus à jour au regard du travail réalisé par le Parlement. Cette proposition de résolution ne prend en compte ni les amendements que vous avez adoptés en loi de finances ni vos votes sur la proposition de loi de Nathalie Elimas.

Il ne me revient pas, en tant que membre du Gouvernement, de me prononcer pour ou contre une résolution, car il s'agit d'une prise de position propre à l'Assemblée nationale. Pour autant, à la lumière des travaux que vous avez réalisés, il me semble plus opportun que nous puissions poursuivre ce débat, lors du printemps de l'évaluation le cas échéant, au moyen d'une nouvelle résolution, mieux articulée avec les travaux récents de l'Assemblée nationale et allant dans le même sens.

C'est aujourd'hui que le travail commence. Le débat se poursuivra évidemment en séance publique, mais c'est avec les chercheurs, les associations et les laboratoires que nous devons le prolonger. Vous y avez toute votre place, et je suis prête à ce que nous travaillions ensemble sur ce sujet et que nous ayons l'occasion d'en débattre de nouveau, autour d'une nouvelle proposition de résolution.

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