Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du mardi 3 octobre 2017 à 21h30
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, derrière des ambitions partagées de réduction de notre consommation en énergies fossiles se cache une loi témoignage, que les associations de protection de l'environnement n'hésitent pas à qualifier de « symbole » et dont on ne voit pas comment elle pourrait, au regard de son impact minime sur notre empreinte carbone, s'ériger en exemple sur la scène internationale.

Plus grave, dans son entreprise de communication à bas coût, le Gouvernement revient ici, sans aucune concertation, sur une compétence octroyée depuis dix-sept ans à la collectivité régionale de Guyane, aujourd'hui collectivité territoriale de Guyane. Il est vrai que les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, se sont toujours refusés à rendre ce transfert effectif, et ce, en dépit de multiples condamnations prononcées par le Conseil d'État.

Aussi, quel message le Gouvernement souhaite-t-il envoyer aux Guyanais qui sont massivement descendus dans la rue en mars dernier pour crier leur ras-le-bol face à un projet qui les dépossède purement et simplement de leur droit de décider par eux-mêmes s'ils souhaitent ou non exploiter leurs ressources, ces mêmes ressources qu'ils voient inlassablement piller depuis des décennies, qu'il s'agisse d'or noir, jaune, vert ou bleu ? Le Conseil d'État souligne d'ailleurs le mépris de ce projet de loi pour la Guyane et les outre-mer en général, qui sont condamnés à porter seuls le poids des engagements pris par le Président de la République, sans aucun égard pour leur moindre développement économique ainsi que pour leur très faible contribution au réchauffement climatique.

L'incompréhension est de mise, alors même que va entrer en vigueur le CETA, l'Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada, qui va encourager l'importation d'hydrocarbures produits au Canada, d'une part, et maintenir, d'autre part, la dépendance de notre système énergétique aux énergies fossiles. Incompréhension, toujours, quand Total, fleuron de l'industrie française, annonce le rachat de 25 % d'un consortium menant des recherches d'hydrocarbures au large du Guyana, où le géant Exxon Mobil vient d'annoncer l'une des plus importantes découvertes d'hydrocarbures des dix dernières années et le lancement d'une première phase d'investissement pour 4,4 milliards de dollars. Incompréhension, encore, quand la même entreprise française, Total, débourse 200 millions de dollars pour cinq permis d'exploration à proximité immédiate de la frontière franco-brésilienne.

Irrémédiablement, les Guyanais vont donc souffrir des externalités négatives de l'exploitation des hydrocarbures par des Français chez leurs voisins, sans jamais voir la couleur des retombées économiques pour leur territoire. Contrairement au nuage de Tchernobyl, les marées noires ne s'arrêtent malheureusement pas aux frontières politiques. C'est là que réside tout le cynisme d'un tel projet de loi, qui permet à notre gouvernement de se racheter à bas prix une conscience écologique tout en continuant à polluer impunément chez nos voisins du Sud et en leur demandant, par-dessus le marché, de renoncer à leurs velléités de développement, s'érigeant, fort de son petit confort, en exemple vertueux.

Quelle cohérence quand, au même moment, on annonce la suppression de certaines normes environnementales et sociales dans le BTP, la suppression des aides au maintien de l'agriculture bio et qu'on recule encore sur l'interdiction des néonicotinoïdes ou du glyphosate ? Pourtant, au lieu d'un « coup de com' », il y avait là une occasion de sortir la Guyane de sa situation économique dramatique, tout en renforçant nos exigences en matière de protection de l'environnement.

Plutôt que d'interdire chez nous et d'aller polluer ailleurs, ne fallait-il pas améliorer, voire renforcer, notre cadre normatif environnemental, déjà parmi les plus stricts, et permettre ainsi aux Guyanais d'être acteurs de leur destin commun, tout en apportant des garanties quant à nos intérêts environnementaux ? Pour cela, il aurait fallu s'inscrire dans un exercice de large concertation, alors que c'est le seul fait du prince qui décide aujourd'hui. C'est d'ailleurs le sens de la proposition de loi qui met en conformité le code minier avec le droit de l'environnement, que nous avions adoptée en première lecture dans cet hémicycle en février dernier et dont la mise en oeuvre semble désormais renvoyée aux calendes grecques.

Monsieur le ministre d'État, chers collègues, les Guyanais ont dit au monde entier qu'ils n'admettront plus de ne plus être écoutés, de ne plus être entendus et, somme toute, d'être méprisés par des décideurs enfermés dans des tours d'ivoire à 7 000 kilomètres de leur réalité. Je vous invite solennellement, monsieur le ministre, à les écouter, à les entendre et surtout à leur envoyer un signal fort, en leur permettant d'être pleinement acteurs de leur développement. Car, pendant qu'à Paris nous votons des voeux pieux et des lois symboles, en Guyane, on continue à faire décoller des fusées sur fond de bidonvilles et de misère humaine, et la température de la marmite guyanaise continue d'augmenter. Monsieur le ministre d'État, vous comprendrez que, sans une sérieuse remise en cause de certains aspects de cette loi, je ne pourrai pas voter en sa faveur. Je vous remercie d'avance.

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