Intervention de Pierre Vatin

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 22h00
Création d'un répertoire des maladies rares ou orphelines — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Vatin, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre des solidarités et de la santé, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous ce soir vise à soulager les familles des complications administratives et sociales qui s'ajoutent trop souvent aux difficultés médicales liées à la maladie rare ou orpheline, mais également à toute autre situation de handicap.

Permettez-moi tout d'abord de rappeler ce que sont les maladies rares ou orphelines : selon la définition retenue par les institutions européennes, une maladie rare est une maladie chronique ou potentiellement mortelle dont la prévalence est inférieure à un cas pour 2 000 personnes et qui nécessite un effort particulier pour développer un traitement ; une maladie orpheline est une pathologie rare ne bénéficiant pas de traitement efficace.

Orphanet, un organisme créé au sein de l'INSERM – l'Institut national de la santé et de la recherche médicale – , est désormais la référence internationale en matière de répertoire et de classification des maladies rares et orphelines. Il a une vocation exclusivement médicale. Je salue son travail : à ce jour, il a identifié et répertorié entre 7 000 et 8 000 maladies.

En France, ces maladies représentent un enjeu majeur de santé publique car 3 millions de nos concitoyens, soit 4,5 % de la population, en sont atteints. Elles concernent, dans la moitié des cas, des enfants de moins cinq ans et sont responsables de 10 % des décès entre un et cinq ans. Quelque 80 % des maladies rares sont d'origine génétique. Le plus souvent, elles sont sévères ou chroniques, d'évolution progressive, et affectent considérablement la qualité de vie des personnes malades. Les maladies rares entraînent un déficit moteur, sensoriel ou intellectuel dans 50 % des cas et une perte totale d'autonomie dans 9 % des cas.

Seule une personne atteinte d'une maladie rare sur deux dispose d'un diagnostic précis. Pour plus d'un quart des patients, ce diagnostic met en moyenne cinq ans à être posé. Cette impasse – ou errance – diagnostique résulte de l'échec à définir la cause précise d'une maladie après avoir mis en oeuvre l'ensemble des investigations disponibles.

Depuis une vingtaine d'années, la France a mis en place une politique ambitieuse pour recenser et identifier les maladies rares et orphelines et pour accompagner le diagnostic et la prise en charge des personnes atteintes. Dès 1995, Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales, a créé la mission des médicaments orphelins. En 2003, le programme a été poursuivi et le premier plan national maladies rares a été mis en place. Le deuxième plan, couvrant la période 2011-2014, a été lancé dès 2009 par le Président Sarkozy pour amplifier les mesures adoptées et renforcer la qualité de la prise en charge des personnes malades, la recherche sur les maladies rares et la coopération européenne. Grâce à ces plans, 109 centres de référence pour la prise en charge des maladies rares ont été labellisés. Pour développer la recherche et les traitements, vingt-trois filières de santé maladies rares sont également actives depuis 2015. L'impasse et l'errance diagnostiques se réduisent.

Madame la ministre, le troisième plan national que vous avez lancé récemment est en cours jusqu'à 2022. Il porte, bien entendu, sur la réduction de l'errance et de l'impasse diagnostiques, sur la prévention élargie, sur le rôle accru des filières de santé consacrées aux maladies rares, sur un parcours plus lisible pour les personnes malades et leur entourage, sur le partage des données pour renforcer la recherche et l'accès à l'innovation, et sur un accompagnement plus étroit des personnes atteintes de handicaps liés à une maladie rare et de leurs aidants ou accompagnants.

Néanmoins, l'accompagnement dans les démarches administratives et la vie sociale en reste le parent pauvre. Si, pour les maladies rares et orphelines, il y a un enjeu en matière de prise en charge médicale, c'est aussi le cas en matière d'accueil et d'accompagnement des personnes atteintes. Tel est l'objet de cette proposition de loi : la création d'une base de données des dérogations pour les personnes atteintes par une maladie rare, dérogations prévues par la réglementation ou pouvant être accordées par les administrations.

Il est évidemment impossible de connaître, comprendre et prendre en compte les problèmes spécifiques des personnes atteintes par chacune des 7 000 à 8 000 maladies rares répertoriées et de leurs sous-ensembles. Trop souvent, les personnes atteintes qui demandent l'application d'une réglementation prévue pour quelques dizaines de malades se trouvent confrontées à un véritable parcours du combattant : il faut prouver l'existence de la dérogation, le diagnostic médical et la nécessité d'avoir recours à cette règle dérogatoire ; il faut affronter les difficultés administratives et sociales, après avoir affronté et en continuant d'affronter la maladie et toutes les souffrances qu'elle entraîne.

La proposition de loi vise donc à simplifier la vie des personnes atteintes de maladies rares ou orphelines, mais aussi des administrations auxquelles elles doivent s'adresser, en créant le répertoire des maladies rares et orphelines à destination des organismes publics et parapublics. Ce répertoire pourrait s'appuyer sur Orphanet – qui, je le rappelle, a une vocation purement médicale, alors que le fichier que je vous propose de créer aurait une vocation sociale. Il énumérerait, pour chaque maladie, les dérogations à la réglementation du fait des effets de ces affections à jour des connaissances de la science. Il s'agirait donc d'un répertoire évolutif.

Le traitement automatisé ne recenserait que des pathologies ou des groupes de pathologies et des références juridiques, à l'exclusion de toute donnée à caractère personnel. En application de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, les données de cette base seraient librement accessibles, communicables et réutilisables par tout un chacun.

À l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi par la commission des affaires sociales, la semaine dernière, plusieurs observations se sont concentrées sur le fait que le répertoire proposé se fondait sur les pathologies rares et orphelines auxquelles la personne était confrontée, et sur leurs conséquences dans sa vie quotidienne, et non sur les handicaps et leurs conséquences fonctionnelles pour l'intéressé. Afin de prendre en compte ces suggestions, je vous propose, avec une série d'amendements, d'élargir le champ de la proposition de loi à l'ensemble des handicaps pouvant justifier une adaptation ou une dérogation à une norme générale, au vu des conséquences qu'elle peut avoir pour les personnes concernées. Le répertoire aurait ainsi vocation à recenser toutes les dérogations et adaptations normatives applicables aux personnes handicapées ou atteintes de maladies rares ou orphelines.

Comme je l'ai dit, le dispositif serait évolutif, c'est-à-dire enrichi de l'expérimentation scientifique et de l'adaptation des normes aux situations de la vie quotidienne soumises par les patients eux-mêmes ou leurs proches.

Après avoir auditionné les représentants des associations de personnes atteintes de maladies rares, j'ai constaté que de nombreuses normes réglementaires ou formalités administratives aboutissaient à des conséquences disproportionnées pour les quelques personnes atteintes d'une certaine maladie rare. Il est illusoire d'espérer que le pouvoir réglementaire puisse, de sa propre initiative, prendre en compte ces 7 000 à 8 000 maladies – qui concernent tout de même, je le rappelle, près de trois millions de Français – , dont la connaissance est évolutive.

Ainsi, comme me le confiait la présidente de l'Association des sclérodermiques de France, à titre d'exemple et d'illustration des difficultés rencontrées dans le quotidien, alors que les malades atteints de cette maladie auto-immune souffrent parfois d'autres affections rendant la luminosité insupportable et provoquant une sécheresse oculaire, leur pathologie n'est pas prévue par l'arrêté qui autorise à installer des vitres surteintées sur un véhicule, pris en complément de l'interdiction générale des vitres surteintées. Faire reconnaître la nécessité d'une adaptation de la norme leur est encore plus compliqué aujourd'hui.

Je vous propose donc de mettre en place à titre expérimental, au plan national et pour une durée de cinq ans, un dispositif permettant de créer les dérogations nécessaires lorsque l'application d'une norme aurait des effets disproportionnés pour les malades ou les personnes handicapées. Cette proposition s'inspire du décret du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale. La personne concernée pourrait saisir une commission nationale regroupant des représentants du corps médical, des personnes atteintes et de l'administration, qui serait chargée de proposer au ministre compétent des adaptations de la réglementation applicable. Le ministre chargé de l'application de ladite norme pourrait approuver cette dérogation par arrêté.

En conclusion, cette proposition de loi cherche avant tout à soulager les familles de difficultés administratives inutiles. Elle vise donc bien à compléter d'un volet d'accompagnement social le troisième plan national que vous avez élaboré en faveur des patients et de leurs familles, pour leur vie quotidienne. Elle permettrait également de sensibiliser les rédacteurs de réglementations à la nécessité de prévoir ces dérogations ou, tout au moins, de les envisager plus naturellement.

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