Intervention de Hervé Saulignac

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 15h00
Consolidation du modèle français du don du sang — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Saulignac :

Permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité du travail réalisé par notre collègue Damien Abad. Avec cette proposition de loi, il nous rappelle qu'il faut saluer les vertus du modèle français.

Anonyme, gratuit et largement mis en oeuvre par un réseau de bénévoles qui maille le territoire national et auquel je veux rendre un hommage appuyé, notre système de collecte du sang a inspiré et inspire encore de nombreux pays à travers le monde.

Or, ce modèle français n'est ni acquis, ni invulnérable, ni même parfait. Il n'est pas acquis, car le droit de l'Union européenne autorise l'indemnisation et que certains pays extérieurs à l'Union ont fait le choix de la rémunération. Il n'est pas invulnérable, dès lors que certains seraient tentés, par l'extension de la loi du marché à la santé publique, de remettre en cause l'éthique que vous évoquiez, madame la ministre, comme si la fin justifiait les moyens. Il n'est pas parfait, car certaines catégories de notre population sont exclues du droit de donner leur sang, pour des raisons de plus en plus contestées par nos concitoyens eux-mêmes.

Cette proposition de loi nous donne l'occasion de mettre en question ce modèle pour le conforter, l'améliorer et le faire évoluer : comment sécuriser le binôme donneur-receveur et, plus généralement, assurer une réponse à la hauteur de besoins sans cesse croissants ?

Chaque jour, en effet, des femmes et des hommes, dans un acte désintéressé et anonyme, donnent leur sang. À l'abri des regards et sans contrepartie, ils assurent des besoins pour la vie. Tous les bras tendus comptent et, sans remettre en cause des principes éthiques, pas plus que le niveau de sécurité, nous pouvons, par la loi, agrandir le cercle des donneurs.

Alors, mes chers collègues, si certains sujets nous divisent souvent dans cet hémicycle, je veux croire que celui-ci est capable de nous rassembler – ou plutôt, je voulais le croire. Cette proposition de loi ne porte en elle aucune idéologie de nature à cliver l'Assemblée. Comment peut-on s'opposer à l'élargissement du public des donneurs ? Comment peut-on désapprouver le renforcement des dispositifs de sensibilisation ? Comment peut-on contester des facilités accordées aux salariés pour mieux leur permettre de donner leur sang ? Comment peut-on refuser que l'on conforte des associations bénévoles sans lesquelles rien ne serait possible ? À cet égard, je regrette et je ne comprends pas le sort fait à la plupart des articles de cette proposition de loi en commission des affaires sociales.

Reste néanmoins un sujet, emblématique et central : l'article 2 bis du texte. En commission des affaires sociales, j'ai défendu, au nom du groupe Socialistes et apparentés, un amendement mettant fin à une discrimination qui n'a que trop duré et qui frappe les hommes homosexuels ou bisexuels autrement appelés HDH – homme ayant des rapports sexuels avec des hommes. Vous souhaitez, madame la ministre, ne pas faire droit à cet amendement redéposé en séance avec le député Damien Abad. Permettez-moi de penser qu'il s'agit là d'une erreur politique.

En 1983, la France a décidé que les homosexuels étaient exclus du droit de donner leur sang. C'était une exclusion définitive, sans appel, dans le contexte du traumatisme de la propagation du virus du SIDA, amplifié ensuite par l'affaire dite du sang contaminé. Cette exclusion perdure encore aujourd'hui, essentiellement sous l'effet de ce traumatisme et de son corollaire sécuritaire. Qu'avons-nous fait en trente-cinq ans pour ne pas parvenir à sortir de cette impasse sécuritaire ?

Le code de la santé a pourtant été modifié en 2016, sous l'impulsion de Marisol Touraine, pour affirmer, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, que nul ne peut être exclu du droit à donner son sang en raison de son orientation sexuelle. C'était sans compter sur un arrêté qui a introduit dans la foulée une période de douze mois d'abstinence sexuelle. Qui peut raisonnablement renoncer à tout rapport sexuel pendant un an pour donner son sang ? Il est temps de mettre fin à cette disposition cynique, qui est une façon détournée de dire aux hommes homosexuels qu'ils ne sont pas souhaités dans la communauté des donneurs de sang.

En d'autres termes, ce qui perdure, c'est une exclusion de fait, qui a surtout pour effet une mise au ban massive de certains donneurs, alors même que le besoin de sang et de plaquettes est immense. Ce qui perdure a un nom : cela s'appelle une discrimination. Au moment de vous prononcer, mes chers collègues, songez à cette discrimination, mais songez aussi à l'incohérence de notre droit.

En effet, notre pays a adopté le mariage pour tous. Aujourd'hui, un homme marié à une femme et qui atteste de comportements sexuels sans risques depuis quatre mois, peut faire don de son sang. Mais un homme marié à un homme et qui atteste du même comportement ne peut donner son sang, sauf à avoir renoncé à tout rapport sexuel avec son époux l'année précédant le don !

Ce faisant, et je pense que vous le savez, madame la ministre, nous avons créé des fraudeurs. Vous savez très bien, en effet, qu'il existe des donneurs masculins, homosexuels et responsables dans leurs pratiques, qui s'affranchissent de cette règle absurde. Ils savent, eux, que leur don est plus précieux que le respect d'une règle inopérante et on peut même se demander si le contournement de la mesure n'entraîne pas un risque plus important que le risque initial supposé.

Je connais certes l'argument qui consiste à pointer le risque d'un don effectué pendant la fenêtre sérologique de douze jours où l'infection du VIH, notamment, ne peut être détectée. Mais ce risque est valable pour tous les publics, quelle que soit leur orientation sexuelle ! C'est bien la raison pour laquelle l'arrêté du 5 avril 2016, en s'attachant à l'orientation sexuelle et non au comportement, doit être vu comme un arrêté qui vise un groupe donné. En l'espèce, il est donc discriminatoire.

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