Intervention de Albert Lautman

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 11h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Albert Lautman, directeur général de la Mutualité française :

Je ne suis pas certain d'avoir des réponses à toutes ces questions. S'agissant de l'investissement dans les nouvelles technologies, nous nous sommes attachés depuis cinq ans au moins à être des pionniers en matière de télémédecine en EHPAD. L'accès à un médecin spécialiste, un dermatologue par exemple, est compliqué pour des patients difficilement transportables qui résident dans des EHPAD situés dans des zones où il est malaisé de trouver un spécialiste à proximité. En ce cas, la télémédecine permet une prise en charge avec une qualité des soins élevée. Nous l'utilisons beaucoup, notamment en cas de difficultés de cicatrisation. Tant que les modalités de financement n'étaient pas pérennes et que nous dépendions d'un petit bout de budget pour une expérimentation dirigée par un chef de projet dans un sous-service d'ARS appelé à changer de poste tous les deux ans, c'était épuisant : il fallait à chaque fois tout réexpliquer et convaincre, et les financements n'étaient jamais acquis. On ne peut mobiliser une équipe médicale, ni dans l'établissement ni dans un centre de santé ni en médecine libérale, pour faire fonctionner un dispositif dont on se demande chaque année si l'on parviendra à reconduire le financement. Aussi, ce qui a été introduit à ce sujet dans la loi de financement de la sécurité sociale l'année dernière et qui se traduit par une négociation conventionnelle en passe d'aboutir sur le financement pérenne de la télémédecine nous permettra de poursuivre notre fort investissement sur ce plan. Il est encore un peu tôt pour évaluer le dispositif, mais la mesure nous paraît utile.

D'autre part, en notre qualité d'assureur santé, nous faisons face à une très forte demande des entreprises. C'est avec elles que nous négocions désormais les contrats collectifs et elles nous transmettent les attentes des salariés. Nous constatons, non seulement pour les cadres supérieurs des grandes agglomérations mais aussi dans les zones sous-denses où l'accès au cabinet médical pose un problème, une demande très forte de financement de service de téléconsultations comme accès de premier niveau. Cette option n'entrant pas dans le périmètre de l'accord en cours de négociation à la Caisse nationale d'assurance maladie, aucun financement n'est prévu. Il reviendra donc aux assurances complémentaires de financer entièrement ces dispositifs, si bien que cette possibilité ne pourra être incluse que dans des contrats assez haut de gamme, réservés de facto à certaines catégories de la population.

Nous voudrions pouvoir développer la télémédecine parce qu'il y a une demande et un besoin mais, sur ce point, les pouvoirs publics, les syndicats médicaux et l'Ordre des médecins nous paraissent frileux et en retrait au regard des attentes de la population qui, elle, voit bien l'utilité de pouvoir ainsi consulter un médecin – et pas seulement, comme il est parfois dit de manière caricaturale, pour se rassurer. Quand on discute de l'encombrement des services d'urgence, les médecins urgentistes décrivent par exemple l'arrivée de nombreux parents qu'inquiètent la plaie d'un enfant ou un symptôme un peu effrayant. À défaut de parvenir à organiser la permanence des soins de façon entièrement satisfaisante, donner accès à un service pendant des plages horaires très étendues et à un premier avis médical rendu par télémédecine ne remplacera pas le besoin de proximité physique mais offrira un service qui, de notre point de vue, correspond à l'intérêt général.

Il y a donc là un axe de progrès et nous sommes convaincus qu'il faut aller plus loin en matière de télémédecine – dont j'ajoute que ce n'est pas un dispositif inflationniste. Favoriser le développement de la télémédecine n'est pas encourager une consommation. Cette vision restrictive, celle-là même qui a conduit à la politique assez absurde du numerus clausus, avec l'idée qu'il fallait fermer le robinet pour réduire la consommation médicale, finit toujours par se retourner contre les pouvoirs publics et nous mettre en difficulté.

Pour nous, l'urgence est de donner les moyens permettant d'organiser l'exercice mixte sur les territoires, c'est-à-dire de construire des plateformes réunissant les médecins et les professionnels de santé libéraux qui en ont envie, parce que l'exercice pluridisciplinaire est aujourd'hui vraiment nécessaire. L'urgence est aussi de sortir d'une forme de féodalité dans laquelle le rôle de certains professionnels de santé n'est pas celui qu'il devrait être dans la coordination du parcours de soins. L'idée selon laquelle seul le médecin peut-être le coordonnateur du parcours de soins est un mythe, et ce mythe nous a fait achopper, si bien que depuis des années nous avons échoué sur ce plan. Il faut faciliter le regroupement des professionnels de santé libéraux, des professionnels de santé salariés d'un centre de santé, par exemple mutualiste, et éventuellement des professionnels de santé hospitaliers. Nous creusons certaines pistes.

Je vous ai parlé, par exemple, de créer dans les EHPAD un cabinet médical comprenant médecins, infirmières, aides-soignantes et éventuellement d'autres types de professionnels. On n'a pas besoin, dans certaines zones sous-denses, d'un cardiologue, d'un dermatologue ou d'un dentiste à temps plein toute la semaine. Mais le cabinet secondaire est une affaire compliquée, et l'on nous parle vite de « médecine foraine » quand nous disons qu'il leur suffirait de venir une demi-journée par semaine pour répondre au besoin.

Nous essayons d'être pragmatiques. La Mutualité française peut mettre à disposition le foncier, le secrétariat pour prendre des rendez-vous, la salle d'attente, et permettre à des médecins hospitaliers, libéraux ou salariés, de venir assurer des consultations. Nous venons d'inaugurer dans un quartier de la politique de la ville de Clermont-Ferrand une maison pluridisciplinaire de santé (MPS). Le projet a été entièrement porté par des praticiens libéraux, qui ont investi leurs économies pour construire le bâtiment, dont ils louent des espaces à plusieurs professionnels de santé. Parce qu'ils n'avaient pas trouvé de dentistes libéraux qui acceptent de les rejoindre, la Mutualité a décidé d'utiliser une partie du local, et donc de payer un loyer, pour installer deux fauteuils ; viennent travailler dans ce cabinet des chirurgiens-dentistes de la mutualité. Ma priorité, c'est celle-là : la souplesse. Il faut accélérer les projets de ce type.

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