Intervention de François Cochet

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

François Cochet, président de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (FIRPS) :

Il y a un élément que j'ai oublié d'évoquer au sujet de Solvay : l'étude a conclu que cette entreprise connaît deux fois plus de cas d'épuisement professionnel que d'accidents du travail de nature physique et que la durée d'arrêt est trois fois plus longue. On compte les accidents physiques, y compris dans des entreprises où ce sujet peut être devenu marginal, soit parce que beaucoup de prévention a été faite, soit parce que l'on a externalisé, alors que paradoxalement le vrai sujet n'est plus toujours celui-là. Si l'on s'en tient aux chiffres que je viens de citer, l'enjeu de l'épuisement professionnel est six fois plus important que celui du risque physique dans le cas de Solvay – c'est une entreprise chimique qui a réalisé beaucoup d'efforts de prévention.

Autre donnée intéressante, Solvay souligne qu'un point sur les accidents du travail est régulièrement inscrit à l'ordre du jour du comité exécutif et que, pour la première fois, il a ainsi été question des cas d'épuisement. Autrement dit, l'entreprise travaille sur la culture des dirigeants, ce qui constitue un vrai levier. Le professeur Dab a produit sur ce sujet, il y a quelques années, un rapport qui n'a pas pris une seule ride – c'est d'ailleurs très grave, car cela signifie que l'on n'a pas tellement avancé sur la formation des dirigeants aux sciences humaines du travail et à la connaissance du travail.

La prévention du burn-out est très compliquée. J'ai en tête de nombreuses situations : quand on commence à se dire qu'un collègue est au bord du burn-out, il est très difficile de le rattraper. Si l'on aborde le sujet avec lui, il y a une chance sur deux qu'il s'effondre, car on l'aide à constater la situation dans laquelle il se trouve. À ce stade, c'est très difficile. Dans le domaine de la prévention, en revanche, on peut faire beaucoup de choses qui renvoient au management du travail et à des questions de culture qui sont fondamentales.

Par exemple, je pense que de nombreux projets devraient être confiés à un binôme plutôt qu'à une seule personne. Le chef ou la cheffe de projet est, en effet, particulièrement exposé : il a des enjeux importants, des délais à tenir et des moyens toujours contraints. On pourrait donc proposer à des entreprises de confier des projets à des binômes – il faut bien sûr que ce soit des gens qui s'entendent bien et qui soient complémentaires. Je suis convaincu que c'est une mesure efficace de prévention du burn-out. Quand on est deux sur un projet, celui qui a un coup de pompe peut faire une pause, en sachant que l'autre va assurer ; on est complémentaire et cela aide aussi à prendre du recul. C'est un modèle qui présente donc de nombreux avantages, mais il est incompréhensible pour les dirigeants, car on est dans une culture bonapartiste : un chef est forcément tout seul et la décision se prend dans ce cadre.

Il y a pourtant des contre-exemples. J'ai vu récemment le cas d'un poste partagé entre deux femmes – comme par hasard, ce sont plutôt des femmes qui arrivent à le faire. Elles sont chacune à mi-temps, ou plus exactement à 60 % car elles ont besoin que leur temps de travail se recoupe un peu. Elles n'ont qu'une seule adresse mail, avec un libellé bizarre qui combine leurs prénoms. Elles ont « fait leur trou » dans l'entreprise. Tout le monde sait que le poste est tenu par deux personnes, du lundi au mercredi pour l'une, du mercredi au vendredi pour l'autre. Cela entre dans les moeurs, mais c'est un changement culturel énorme : on change un peu d'univers… Il me semble que ces deux personnes, qui occupent un poste à responsabilité, sont particulièrement protégées du burn-out.

Il existe beaucoup d'autres possibilités, qui renvoient notamment à la question de la reconnaissance. Dire que l'on ne met pas de pression n'est pas une bonne idée. Il y a des gens qui adorent être « charrette », mais on doit vérifier qu'ils sont en état de le faire, cela ne doit pas durer pas trop longtemps et il faut aussi qu'il y ait des remerciements, même quand on n'atteint pas l'objectif. C'est la culture du management et la manière de travailler qui sont en jeu. Globalement, plus on coopère, mieux c'est.

Dernier exemple, même les directeurs des ressources humaines commencent à s'apercevoir qu'on est allé beaucoup trop loin sur les entretiens annuels d'évaluation. Quand un métier repose sur la coopération, de tels entretiens individuels n'ont aucun sens : il faudrait plutôt un entretien annuel d'équipe. Sinon, on exacerbe la contradiction entre le travail fait en coopération et la reconnaissance que l'on veut, d'une manière tout à fait artificielle, assurer dans un cadre strictement individuel. Cela implique des changements importants : si on les réalise, on changera de monde, et les entreprises seront plus efficaces et plus coopératives. Certains modèles innovants peuvent, paradoxalement, contribuer à prévenir le burn-out et les risques psychosociaux.

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