Intervention de François Blanchard

Réunion du mercredi 18 avril 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

François Blanchard, ingénieur-conseil régional de la CRAMIF :

En effet, en voyant son taux de cotisation augmenter, une entreprise sera incitée à mettre en place des mesures afin de limiter les situations dangereuses qui génèrent ces TMS. En revanche, cela n'aura aucun effet sur l'entreprise qui, par exemple, faisait de la projection d'amiante plus de vingt ans auparavant. Peut-être cette entreprise existe-t-elle encore, peut-être a-t-elle disparu… Les situations dangereuses remontent aux années 1970 et 1980. Ce sont les limites du modèle.

Des débats ont eu lieu sur l'intérêt de mutualiser ou pas le coût des risques professionnels. Il est essentiel de réussir à maintenir le coût des maladies professionnelles sur le compte AT-MP de l'entreprise.

C'est vrai, la disponibilité des données est un problème. Certaines données sont propres à l'entreprise, leur appartiennent, et nous ne pouvons effectivement pas les divulguer – nous prêtons serment. Mais il y a les statistiques collectives. Nous pouvons donc analyser les statistiques issues des « données CNAM », qui nous permettent ensuite d'orienter notre action ou l'action d'autres acteurs.

Nous mettons à disposition des entreprises, sur le site de la CRAMIF, un guide très riche, qui permet aux entreprises de se situer par rapport à leur coverage, par rapport à leur code APE, et de connaître les évolutions.

Nous sommes également capables de travailler avec les services interentreprises de santé au travail et, sur la base des entreprises adhérentes qu'ils nous indiquent, de leur fournir des éléments statistiques et de les aider dans leur diagnostic par rapport à ces entreprises. Bien entendu, s'il est possible d'identifier une entreprise parce qu'elle est seule sur le secteur, on ne donne pas de statistiques. On met en place des verrous pour ne pas divulguer des informations. Si le médecin du travail veut avoir des informations, on lui dit que nous ne sommes pas à même de les lui fournir par ce biais-là, et qu'il doit s'adresser à l'entreprise.

Nous essayons donc d'exploiter les données statistiques. Cela nous aide dans le ciblage des entreprises.

Tout à l'heure, je vous ai parlé des limites par rapport aux risques chimiques, dont les effets sont différés et que l'on ne retrouve pas à travers les statistiques. Depuis une petite dizaine d'années, des tentatives ont été faites pour essayer de voir comment tracer l'exposition des salariés à des situations dangereuses. Une démarche avait notamment été engagée par la branche, pour amener les entreprises à déclarer volontairement les postes de travail et les produits cancérogènes concernés. Cette démarche a été arrêtée.

Il y a eu ensuite le volet « pénibilité » – avec ses dix facteurs, dont les risques chimiques, les situations de travail répété, etc. – qui a été bouleversé par les ordonnances de la fin de l'année 2017. C'était une façon de tracer des situations de travail pour lesquelles les salariés pouvaient déclencher des maladies professionnelles à plus long terme.

Aujourd'hui, le dossier détenu par le médecin du travail joue un rôle essentiel dans cette démarche de traçabilité des expositions des salariés.

Mais avant de continuer, il me semble important de vous préciser la façon dont nous travaillons. Nous intervenons en Île-de-France dans à peu près 2 % des établissements. Sur les 500 000 établissements, nous en voyons donc un peu moins de 10 000 par an. Cela nous permet malgré tout de toucher de l'ordre de 22 à 23 % des salariés, et de l'ordre de 33 à 34 % des accidents du travail – nous allons là où il y a du grain à moudre.

Nous ne touchons que 2 % des entreprises, alors que la médecine du travail et les services de santé au travail voient l'ensemble des salariés – même si, aujourd'hui, ils ne les voient plus tous les ans – et ils sont capables de suivre les situations de travail susceptibles de générer des maladies professionnelles.

On peut s'interroger sur la traçabilité et sur l'enregistrement – ou pas – des situations de travail. Car on voit bien qu'il y a des difficultés, des appréhensions de part et d'autre, des tensions avec les partenaires sociaux. On s'en aperçoit à travers les discussions que l'on peut avoir avec le collège employeur et le collège salarié. J'ai tendance à dire qu'il y aurait peut-être une réflexion à mener pour essayer de se dégager de la situation actuelle.

On devrait peut-être se remémorer le compromis social de 1898 : un accord avait été passé entre le collège patronal et le collège des salariés pour dire qu'on ne discuterait pas la responsabilité de l'employeur, mais qu'en revanche, la réparation serait forfaitaire. Cela évite que le salarié ne soit amené à contester devant les tribunaux et à rechercher la responsabilité de l'employeur.

Je me pose la question de savoir si aujourd'hui, on ne devrait pas rechercher un compromis social autour de la pénibilité, de la retraite, des produits cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR). Il serait peut-être intéressant de voir comment lever l'obstacle de la responsabilité qui, aujourd'hui, bloque tout et finit par s'opposer à la transformation des situations dangereuses. Je rappelle que notre métier est de transformer les situations dangereuses. On peut en effet se poser la question lorsque l'on discute avec les partenaires sociaux, et lorsque l'on constate que la déclaration par l'employeur de situations dangereuses, pourtant prévue de longue date dans le code de la sécurité sociale, n'a jamais véritablement rempli ses objectifs.

Vous parlez des failles sur l'organisation. Je pense qu'indirectement, vous vous interrogez sur les troubles musculo-squelettiques et les risques psychosociaux.

La direction des services techniques de la CRAMIF regroupe sept services techniques, dont les trois laboratoires dont je parlais tout à l'heure. La prévention des TMS et des risques psychosociaux est traitée par le service technique « risques organisationnels », qui emploie des ergonomes, des psychologues, des ingénieurs et des formateurs.

L'idée est bien de lier la prévention des TMS et des risques psychosociaux à l'organisation du travail. Compte tenu des ressources et du temps dont on dispose, on ne peut pas amener l'entreprise à faire directement de la prévention comme on peut le faire sur les risques chimiques, mécaniques, les risques de chute de hauteurs, etc. Il est toutefois important que l'entreprise sorte du déni, qu'une véritable analyse soit faite, qu'un diagnostic puisse être porté et qu'un plan d'action soit mis en place.

Il ne suffit pas de faire un diagnostic, il faut construire un plan d'action. Là, le rôle des partenaires sociaux et des représentants du personnel au sein de l'entreprise est essentiel. Le dialogue social est indispensable si l'on veut que les entreprises construisent par elles-mêmes, avec leurs propres ressources – éventuellement en se faisant appuyer par des consultants – une véritable politique de prévention des TMS et des risques psychosociaux, qui tourne autour de l'organisation et des moyens matériels qui peuvent être proposés.

L'organisation du travail joue un rôle essentiel dans la prévention des TMS. Cela m'amène à faire le lien avec le programme national de prévention, TMS Pros dont vous avez probablement entendu parler : en 2014, on a identifié 8 000 entreprises au niveau national. Sur 2 millions d'entreprises, c'est à la fois peu et beaucoup. Mais cela représentait à peu près un tiers des maladies professionnelles et un tiers des indemnités journalières payées par la sécurité sociale. On avait donc bien ciblé ce 0,4 % d'entreprises. À travers ce programme que nous avons conduit pendant quatre ans, nous avons amené une majorité d'entreprises à mettre en place une politique de prévention du risque de TMS, selon une méthodologie éprouvée, proposée, construite avec l'INRS.

L'ambition d'une telle action n'était pas de faire à la place de l'entreprise, mais d'amener l'entreprise – en y associant le CHSCT et les partenaires sociaux à l'intérieur de l'entreprise – à transformer son organisation et les moyens qui peuvent être mis en oeuvre, et donc à réduire les situations dangereuses, afin de réduire, à terme, le nombre de maladies professionnelles reconnues au titre des TMS.

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