Intervention de Nadine Rauch

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Nadine Rauch, présidente du GIT :

Mesdames et messieurs les députés, je suis la présidente du Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT), association qui a été créée en 1987 dans le but de fédérer et de promouvoir la santé au travail, et, surtout, de briser l'isolement de nombreux infirmiers, qui étaient un peu éloignés dans leurs entreprises et ne savaient pas ce qui se passait au niveau de la santé au travail.

De fait, tout au début, les infirmiers n'exerçaient que dans les entreprises. Ce n'est que vers 2008 que les services interentreprises ont commencé à en recruter massivement. Comme l'a dit le docteur Ménétrier, depuis la réforme de la santé au travail, nous avons été mis devant le fait accompli : malgré la pénurie de médecins, il a fallu suivre la réglementation et assurer le suivi de santé des salariés. On a donc demandé aux infirmiers d'assurer des visites.

Au début, il s'agissait d'entretiens infirmiers. Toutefois, après des essais dans de nombreux services interentreprises, on s'est rendu compte qu'il fallait aller plus loin. Par le biais des visites d'information et de prévention, nous faisons désormais ce que font les médecins : de la visite.

Aujourd'hui, beaucoup d'infirmiers sont souvent seuls dans les entreprises et ne voient le médecin du travail qu'une ou deux fois par mois. Il est donc important que celui-ci puisse s'appuyer sur les compétences de cet infirmier, pour suivre les salariés, évaluer les risques chimiques, faire de la traçabilité ou participer à des enquêtes. Cela suppose que les infirmiers aient les compétences requises. Or, malheureusement, tout cela s'est fait de façon un peu précipitée et on en voit déjà les conséquences. On nous demande souvent de faire de la rentabilité. Comme le disait le docteur Ménétrier, surtout dans les services interentreprises, les infirmiers font dix ou douze vacations par matinée, ce qui représente près de vingt salariés à voir par jour. On ne comprend pas vraiment l'intérêt de travailler de cette manière.

Autre problématique : dans les entreprises qui emploient un infirmier, les moyens sont souvent assez importants, avec des services d'hygiène et de sécurité, et l'on peut travailler en amont à la prévention primaire et aux préventions collectives. On se demande donc pourquoi des infirmiers des services interentreprises se rendent dans les entreprises pour faire de visites d'information et de prévention, alors qu'il existe déjà un infirmier sur place.

Pour nous, les infirmiers des services interentreprises seraient beaucoup plus utiles s'ils allaient dans les PME et les TPE, où il y a vraiment des actions de prévention à mener. Je pense plus particulièrement aux boulangeries et aux pressings, où les risques chimiques sont réels. Or, personne ne veut aller y voir. Vous savez très bien que certains petits employeurs ne prennent pas d'adhésion pour leurs salariés parce que cela coûte cher. Souvent, ils reçoivent une notification de l'inspection du travail leur demandant pourquoi leurs salariés ne sont pas inscrits dans ces services interentreprises. Mais une année passe, puis une deuxième, parfois une troisième. Pendant ce temps, de nombreux salariés ne sont absolument pas suivis. Je pense vraiment qu'il faudrait rediriger ces infirmiers vers les petites entreprises et non pas vers les grands groupes.

Il ne faut pas négliger l'aspect économique de la question : les services interentreprises savent qu'en passant des contrats avec de grandes entreprises, ils seront payés rubis sur l'ongle alors qu'il est beaucoup plus compliqué de se faire payer par de petits pressings ou de petites boulangeries.

Ce qui est important pour les infirmiers, c'est de travailler en étroite collaboration avec le médecin, y compris sur les risques psychosociaux, qui sont devenus beaucoup plus importants ces dernières années. On observe la multiplication des types de contrat, avec des contrats très précaires. De très nombreuses entreprises font des plans sociaux et réorganisent régulièrement leur façon de travailler. Cela explique que les salariés soient un peu déboussolés. L'infirmier qui est là, toujours présent, doit pouvoir recevoir ces nombreux salariés, les suivre et les orienter correctement.

J'en reviens à la formation : pour disposer des compétences nécessaires pour travailler avec le médecin, nous avons besoin d'avoir une formation non seulement diplômante mais aussi universitaire. On ne peut pas se satisfaire des formations de trois semaines, qui ont été malheureusement préconisées par Présanse, qui ne voyait pas l'intérêt que les infirmiers soient plus qualifiés et plus diplômés.

Nous sommes conscients qu'il y a un enjeu économique très important, et que, dans les années à venir, la santé en général – et pas uniquement au travail – va surtout viser la prévention. Pour éviter que les gens ne développent des pathologies – et pas seulement dans le domaine professionnel – il faut privilégier la prévention primaire, en amont. Or, aujourd'hui, malheureusement, dans les entreprises, les infirmiers travaillent surtout à la prévention tertiaire, c'est-à-dire une fois que les problèmes sont advenus. Nous ne sommes là que pour « calfeutrer » et on ne peut continuer car cela n'a plus de sens. Il faut vraiment développer la prévention primaire.

Le groupement des infirmiers de santé au travail a réalisé en 2015 une enquête que je vous ferai parvenir et qui dresse un état des lieux de la manière dont travaillent les infirmiers, que ce soit en service autonome ou interentreprises, avec un médecin salarié… Les conclusions sont très intéressantes sur la formation des infirmiers, leur degré d'autonomie, mais aussi les éventuels conflits d'intérêts qui peuvent les concerner – les infirmiers en service autonome sont en effet salariés de l'entreprise tout en dépendant techniquement du médecin du travail. Nous avons eu de nombreuses « remontées », au sein du GIT, d'infirmiers vivant des situations dramatiques : dans des entreprises, les dossiers médicaux leur ont été complètement retirés et confiés aux services interentreprises ; il est donc impossible pour l'infirmier d'assurer un suivi correct et, en cas d'urgence, il ne peut pas consulter de dossier !

Comment protéger au mieux les infirmiers ? Nous avons déjà discuté du statut avec les représentants de l'ordre national des infirmiers : de la même manière que le médecin a un statut de salarié protégé, il faudra envisager de créer un statut particulier pour l'infirmier qui exerce en entreprise ou en service interentreprises – le GIT n'entend pas faire de différence.

Ces derniers temps, nous avons beaucoup évoqué les pratiques avancées que nous tâchons de développer quotidiennement. Pour nous, infirmiers, la santé au travail s'y intègre totalement.

Pour ce qui est de la formation, pendant longtemps les contenus ont été définis par les médecins. Or il est important que les infirmiers participent également à leur élaboration. C'est pourquoi nous avons développé des formations universitaires avec la création d'une licence à Lille et à Paris. J'enseigne moi-même au sein d'un master de Paris XIII – nous y avons créé un parcours particulier pour les infirmiers – ainsi qu'à l'université Paris-Descartes avec le professeur Perron. Il faut donc vraiment, j'y insiste, que les infirmiers travaillent eux aussi à ces contenus et enseignent dans les universités.

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