Intervention de Gérard Lasfargues

Réunion du mercredi 4 avril 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Gérard Lasfargues, directeur général délégué de l'ANSES :

Le RNV3P étant un réseau qui regroupe les centres de consultation pour pathologies professionnelles et environnementales, leurs bases portent sur les deux champs. Les patients que leurs cliniciens examinent leur sont adressés pour 70 % par la médecine du travail et pour 20 % environ par des médecins généralistes ou spécialistes, voire par des médecins conseils de la sécurité sociale. Le réseau centralise les données avec des codifications selon les pathologies, les secteurs d'activité, les métiers. On peut ensuite repérer et extraire les signaux intéressants à partir de cette base centrale. On y trouve bien sûr immédiatement ce qui relève de pathologies connues, comme les cancers du poumon ou les mésothéliomes dus à l'amiante, mais aussi des signaux émergents. Je mentionnais l'exposition à la silice pour les gens qui font les plans de travail ; un médecin ne va pas forcément penser à signaler ce fait, mais nous avons des méthodes de fouille statistique, comme dans la pharmacovigilance ou la toxicovigilance, et nous avons un groupe d'experts chargé d'analyser ces signaux, composé de médecins, d'hygiénistes industriels, d'ingénieurs de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS) ou des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT). Tout signal pertinent, sur lequel des observations concordent et qui présente une certaine gravité, permet de lancer des actions de prévention. On diffuse ce signal aux agences régionales de santé (ARS), aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et, à l'échelon national, à nos partenaires du réseau – la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Mutualité sociale agricole (MSA), l'INRS, Santé publique France et, si nécessaire, le ministère de la santé et le ministère du travail – pour prendre des mesures immédiates sur certains risques. Le réseau travaille de façon très étroite avec les CARSAT et la CNAMTS, car cela permet le lien avec les entreprises.

Sur le plan européen, nous travaillons en coordination avec des agences ou équipes universitaires en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, et nous partageons sur un site internet les observations inhabituelles. Nous avons aussi des échanges soutenus, aux États-Unis, avec le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH), notamment sur les valeurs limites d'exposition et les nanomatériaux.

Cela dit, le réseau RNV3P, très utile, n'est pas un réseau de surveillance épidémiologique. Cela, c'est la mission de Santé publique France. Il s'en tient à la vigilance – y compris, désormais, la toxicovigilance, la nutrivigilance et les pesticides.

L'interopérabilité entre les bases de données est essentielle. S'il est illusoire de penser à une base de données universelle, comparer les données de santé de la CNAMTS et les données sur l'exposition aux risques d'une même personne est très utile. Pour cela, il faut disposer d'un identifiant personnel – le numéro d'inscription au répertoire (NIR) de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) – ou d'un identifiant d'entreprise pour regrouper des données sur lesquelles les agences et les chercheurs pourront travailler. C'est un sujet majeur pour les cancers, les maladies chroniques, cardiovasculaires ou respiratoires, surtout dans le secteur de l'industrie. On sait que l'écart, important, dans l'état de santé entre les cadres et les ouvriers, surtout non qualifiés, ne se réduit pas. Cela traduit un problème dans la détection et la prévention des maladies professionnelles.

Celles-ci font l'objet d'une sous-déclaration, mais aussi d'une sous-estimation, certainement. La déclaration et la reconnaissance des maladies professionnelles sont complexes et il faut prévoir des évolutions. D'où l'utilité d'autres systèmes de surveillance et de vigilance pour rendre compte de la réalité des maladies et des risques professionnels. C'est la mission de Santé publique France, dont les représentants aborderont sans doute le sujet. Santé publique France fait des estimations régulières du nombre de cancers professionnels. La commission Bonin, dont nous sommes membres, évalue chaque année la charge que la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ne supporte pas en raison de la sous-estimation des maladies professionnelles, et la branche AT-MP verse la somme correspondante à l'assurance maladie.

Je comprends bien votre question sur la confusion entre les risques liés à l'environnement et les risques liés au travail. Il est très utile pour nous d'avoir cette double approche, car les gens dont la santé est plus exposée au travail sont aussi ceux qui subissent le plus les facteurs liés à l'environnement. Ainsi, l'exposition professionnelle dans l'industrie va souvent avec l'exposition plus grande à la pollution de l'air et les travailleurs les moins qualifiés sont les plus susceptibles d'être exposés à la pollution de l'air dans des logements près du périphérique. Il est donc bon de pouvoir aborder le risque général et le risque professionnel, mais il faut bien sûr que cela ne masque pas le problème propre à la santé au travail, d'où l'importance de disposer de systèmes spécifiques pour évaluer ces risques et surveiller ces populations. L'Agence y est très attachée et est très ouverte dans sa gouvernance, grâce à un conseil d'administration composé sur le modèle du Grenelle de l'environnement, qui associe dans ses cinq collèges, outre les tutelles, la société civile, les élus, des associations de défense, tous les partenaires sociaux. C'est avec eux que nous discutons de notre programme de travail annuel, dans nos comités d'orientation thématiques. Il en existe un, spécifique à la santé au travail, où l'on retrouve le ministère, les partenaires sociaux, les associations de victimes comme celles de l'amiante, la fédération nationale des accidentés du travail, les travailleurs handicapés. On y discute du programme, mais aussi des demandes de saisine. Ainsi avons-nous produit un rapport sur le travail de nuit à la demande de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), relayée par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Nous sommes donc attachés à la plus grande lisibilité de ce qui ressort de la santé au travail, même si l'évaluation des risques liés à l'environnement est également très utile.

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