Intervention de Alain Carré

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 14h30
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Alain Carré, vice-président délégué de l'Association Santé et Médecine du travail (a-SMT) :

Avec ce que vous dites, nous sommes au coeur du métier du médecin du travail. C'est une spécialité très particulière, qui fait le lien entre des éléments individuels et des éléments collectifs. Et donc, si l'un des deux pèche, on n'est plus à même de comprendre le travail et ce qu'il représente pour nos patients salariés.

Le système est désormais devenu complètement schizophrène. Il ne permet plus au médecin du travail d'avoir une activité clinique complète, en prévoyant des visites périodiques espacées de cinq ans pour les postes sans risques et de quatre ans pour les postes à risques. Quand on connaît le degré de précarité des emplois, on peut se demander comment le législateur a pu écrire cela… Il n'y a pas de continuité clinique individuelle. Et comme le médecin est submergé par des tâches annexes et par les tâches cliniques qui restent extrêmement importantes – on compte un médecin de service interentreprises pour 5 700 équivalents temps plein (ETP) et 450 entreprises –, il ne peut assurer son tiers temps, qui est pourtant indispensable.

Le législateur a mis en place des parades, avec les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) qui, théoriquement, participent de cette activité d'observation des lieux de travail et d'étude du travail réel sur le terrain. Mais eux-mêmes ont été détachés de la coopération avec le médecin pour se consacrer à l'aide aux entreprises. Si l'on séparait bien les deux secteurs, comme je le suggérais tout à l'heure, on pourrait « sectoriser » ces fameux IPRP : les uns aideraient le médecin à assurer son tiers temps ; les autres apporteraient leurs conseils aux employeurs, ce qui serait tout à fait légitime.

Le système actuel ne pourra plus fonctionner très longtemps, dans la mesure où on ne peut plus recruter de médecins. Le métier est devenu plus que difficile et ceux qui restent vivent un casse-tête quotidien pour arriver à l'exercer. Vous l'avez bien compris, le système va dans le mur.

Vous avez la chance de commencer une législature. On ne peut pas dire que, dans le domaine qui vous intéresse, les deux précédentes aient été particulièrement réussies. Il faut absolument que vous en soyez conscients, puisque, précisément, vous pouvez porter un regard nouveau sur la situation. Je le répète : le système court à sa perte, et il n'est pas possible de continuer comme cela. Évidemment, il y a toujours des démiurges. On peut toujours transformer le système en médecine de sélection médicale de la main d'oeuvre, comme je le disais tout à l'heure. Mais il n'y aura plus de relation de confiance avec le salarié et on ne verra plus rien. On peut aussi passer à une médecine qui ferait de la sélection dans une perspective assurantielle, dans un objectif d'économies de gestion.

Personnellement, je suis assez désespéré. Je suis en retraite, je suis assez âgé, et je vois ce système se déliter. Je tenais à le dire aujourd'hui, j'attends beaucoup de vous.

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