Intervention de Jean-Dominique Dewitte

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 14h30
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Jean-Dominique Dewitte, professeur de médecine du travail au CHU de Brest et président de la Société française de médecine du travail :

Je suis non seulement président de la Société française de médecine du travail (SFMT), mais aussi président du comité de pilotage du réseau national de vigilance des pathologies professionnelles.

Permettez-moi tout d'abord de rappeler les objectifs de la Société française de médecine du travail. C'est une société savante qui diffuse les connaissances scientifiques dans tous les domaines de la santé au travail, notamment la toxicologie professionnelle, l'hygiène industrielle et l'ergonomie. Elle s'intéresse aussi aux évolutions de la législation du travail. Depuis une date plus récente, elle élabore des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Dans tous ces domaines, elle s'attache à une plus large diffusion des connaissances.

Au nombre des recommandations qu'elle a publiées, certaines peuvent vous intéresser plus particulièrement : la recommandation de juin 2016 sur la surveillance biologique des expositions professionnelles aux substances chimiques ; la recommandation de novembre 2015 relative à la surveillance médico-professionnelle des travailleurs exposés ou ayant été exposés à des agents cancérogènes pulmonaires, reprise par la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Institut national du cancer (INCa) ; la recommandation d'octobre 2013 relative à la surveillance médico-professionnelle du risque lombaire pour les travailleurs exposés à des manipulations de charge ; notre contribution à la recommandation de la HAS de mai 2013, intitulée « Syndrome du canal carpien : optimiser la pertinence du parcours patient » ; la recommandation de mars 2012 relative à la surveillance médico-professionnelle des travailleurs exposés ou ayant été exposés à des agents cancérogènes chimiques, en particulier leur application à la vessie.

Aujourd'hui, tout le monde s'appuie sur les maladies professionnelles indemnisables, tableau régulièrement publié par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM). Les dernières statistiques remontent à 2015. Mais chacun sait que ce prisme est trop réducteur.

Un autre prisme utilisé est celui des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). La documentation que j'ai recueillie fait bien apparaître un recours accru à ces comités. L'essentiel de leur activité se concentre sur les tableaux recouvrant les troubles musculo-squelettiques (TMS), pour les tableaux 57, 98 et 79, et les pathologies liées à l'amiante, pour les tableaux 30 et 30 bis.

Une publication assez récente a montré des disparités régionales entre les taux de reconnaissance. Traditionnellement, les comités régionaux fonctionnent en s'appuyant sur un trio de médecins constituant une commission devant laquelle vous devez passer quand votre pathologie n'entre pas dans les tableaux publiés par la Sécurité sociale. Il faut alors distinguer entre deux cas. Soit, pour des raisons administratives, vous entrez dans la « catégorie de l'alinéa 3 », parce que votre exposition au risque n'est pas d'une durée suffisante, que vous avez dépassé le délai de prise en charge ou que la pathologie reconnue ne l'est que pour une liste limitative de métiers, soit vous entrez dans la « catégorie de l'alinéa 4 », parce qu'il n'y a pas de tableau, comme c'est souvent le cas pour les cancers : peu de tableaux concernent les cancers.

À cet égard, j'ai vu que vous avez mis au nombre de vos priorités la reconnaissance des « cocktails » de facteurs, ou synergies entre différents cancérogènes, provoquant la maladie. Aujourd'hui, les cas correspondants relèvent de cet alinéa 4.

Comme je vous le disais, on constate des disparités dans les décisions des CRRMP, pour celles prises tant sous le régime de l'alinéa 3 que sous celui de l'alinéa 4.

Dans le premier cas, elles concernent les lombalgies ou les TMS. En Bretagne, d'où je viens, nous faisons partie de ceux qui en reconnaissent le plus, du fait notamment de l'activité dans l'industrie agro-alimentaire, mais pas seulement.

Dans le deuxième cas, l'exposition aux risques psychosociaux figure en bonne place. Jusqu'en 2011, il fallait présenter une incapacité de travail permanente d'au moins 66 %, mais, depuis cette date, la pathologie est susceptible d'être reconnue dès que l'incapacité s'élève à 25 %, ou encore dès qu'elle est prévisionnelle. Cette révision des critères a fait exploser le nombre des dossiers accédant jusqu'à nous.

Les statistiques continuent cependant de donner des maladies professionnelles une vision bien éloignée de la réalité. En 1996, la SFMT avait ainsi établi un observatoire des asthmes professionnels, en partenariat avec la Société de pneumologie de langue française et avec la Société d'allergologie. À cette époque, seuls 250 cas d'asthme professionnel par an étaient reconnus, alors que les statistiques internationales indiquent que 15 % des asthmes sont peu ou prou d'origine professionnelle – nous en étions donc très loin, puisqu'il s'agit de la première maladie chronique chez les jeunes. Grâce à cet observatoire, nous avons pu faire ressortir des chiffres autrement différents. Malheureusement, faute de financement, cet observatoire a disparu, ou du moins changé de fonctionnement.

La SFMT participe au réseau national de vigilance des pathologies professionnelles. Pour ce faire, elle s'appuie sur des centres de consultation de maladies professionnelles répartis dans 31 centres hospitaliers universitaires (CHU). En exerçant cette mission, ces centres appliquent leur vigilance à l'apparition de nouvelles maladies professionnelles. Car une explosion des cas s'observe parfois.

Les relations entre ces centres existaient auparavant, mais ont été formalisées et informatisées sous la forme d'un réseau créé en 2001 et placé sous la responsabilité de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). La SFMT est membre de son comité de pilotage, et j'en assume depuis cinq ans la présidence.

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