Intervention de Didier Paris

Séance en hémicycle du jeudi 6 juillet 2017 à 9h30
Prorogation de l'état d'urgence — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, ministre de l'intérieur, madame la présidente de la commission des lois, chers collègues, la France vit sous le régime de l'état d'urgence depuis les attentats qui l'ont frappée le 13 novembre 2015 et qui sont encore très présents dans nos mémoires. C'est le huitième état d'urgence que la France a à connaître, puisque c'est durant les événements d'Algérie que les premiers ont été adoptés.

La menace est persistante, elle reste réelle. La liste des attentats qui se sont régulièrement déroulés depuis maintenant vingt mois sur notre sol prouve, s'il en était besoin, son ampleur. Je ne rappellerai pas, monsieur le ministre, les éléments auxquels vous avez fait référence. Je tiens toutefois à évoquer plusieurs points.

Premier point : les agressions du 18 mars à Orly, du 20 avril sur les Champs-Élysées, du 6 juin à Notre-Dame ou du 19 juin à Paris ont systématiquement visé les forces de police ou de gendarmerie. Deuxième point : l'action des terroristes se caractérise par une économie de moyens, ce qui les rend a priori très difficilement décelables. Troisième et dernier point : nous avons souvent affaire à une radicalisation récente et donc à des phases de préparation relativement courtes, ce qui rend encore plus difficile et complexe l'action des forces de sécurité sur notre territoire.

Notre pays n'est malheureusement pas le seul à être victime du terrorisme. Le Royaume-Uni en a encore été récemment la cible à Londres. Je citerai également l'Allemagne, la Russie, la Suède ou la Belgique, notre proche voisine : les attentats de la gare de Bruxelles sont encore dans toutes les mémoires.

C'est au lendemain même de l'attentat de Manchester que le Président de la République a décidé, après avoir réuni le Conseil de défense et de sécurité intérieure, de saisir le Parlement d'un projet de loi de prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 1er novembre 2017. C'est le texte que nous examinons aujourd'hui.

S'il s'agit, vous le savez, de la sixième prorogation, elle est toutefois d'essence différente puisqu'elle vise à assurer la transition vers un régime de protection renforcé, certes, mais de droit commun.

Quel bilan pouvons-nous tirer de l'actuelle phase de l'état d'urgence ? Je ne ferai référence qu'au tout dernier bilan chiffré de la cinquième prorogation, depuis le 19 décembre 2016 – date de promulgation de la dernière loi. Je ne reprendrai pas les chiffres donnés par le ministre de l'intérieur : ils sont suffisamment éloquents. La loi de 1955 prévoit onze mesures ou catégories de mesures. Elles ont été régulièrement améliorées, complétées et modifiées, y compris dans le cadre des débats qui ont précédé les cinq périodes d'état d'urgence précédentes. Parmi les plus emblématiques, retenons, depuis le 19 décembre 2016, 62 assignations à résidence, 161 perquisitions administratives, 48 interdictions de séjour, des fermetures de sites ou de lieux de réunion, 2 148 contrôles d'identité, fouilles de bagages et visites de véhicules – sur un total de 4 000 depuis l'adoption de cette mesure –, ainsi que des interdictions de manifestation et l'institution de zones de protection ou de sécurité.

Les rassemblements populaires doivent impérativement se dérouler dans la sécurité : la liberté de rassemblement est une liberté fondamentale qui doit être couverte par des mesures de protection particulières mises en place par les services de sécurité dans le cadre de l'état d'urgence.

Ces chiffres ont, à l'état brut, une signification réduite. Ils ne rendent en effet qu'imparfaitement compte de l'efficacité réelle des mesures déployées. Combien d'attentats ou de commencements d'exécution ont pu être déjoués ? Nul ne le sait précisément, même si M. le ministre a cité quelques chiffres qui ont leur pleine valeur. Au-delà, il convient toutefois de prendre en considération la réalité de chaque terroriste, de chaque être qui commet des actes aussi abjects.

Ce régime de pouvoirs exceptionnels doit avoir, selon la formule du Conseil d'État, des effets limités dans le temps et dans l'espace. Il a été accompagné, dès sa mise en oeuvre en 2015, par l'institution d'un contrôle parlementaire, que nous avons opéré à de nombreuses reprises. Il permet au Parlement d'être informé sans délai sur la mise en oeuvre et le bilan des mesures prises, voire de requérir l'information, si jamais celle-ci ne lui parvenait pas avec une rapidité suffisante – cela ne s'est pas produit.

La sortie de l'état d'urgence, dans des délais raisonnables, est un des objectifs de sécurité mis en oeuvre dans notre pays. Mais il s'agit d'une sortie maîtrisée, d'une forme de passage de relais, en tout état de cause d'une transition. La sécurité du sol français ne peut tolérer de vides juridiques ou de vides opérationnels. Aucune rupture dans la protection de nos concitoyens ou de notre sol ne saurait être acceptée. Cependant, la protection des libertés individuelles suppose, en même temps, de transférer en droit commun certains outils inspirés de la loi du 3 avril 1955, mais entourés de garanties renforcées. Ils devront, de plus, s'appliquer uniquement lorsque « l'exposition particulière à un risque de terrorisme le requiert ».

C'est toute la cohérence du schéma juridique que vous avez rappelé, monsieur le ministre d'État, et qui nous est proposé : une première loi courte, dont nous avons à connaître aujourd'hui, qui ne comporte que trois articles et proroge l'état d'urgence jusqu'au 1er novembre prochain, et une seconde loi de fond « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », qui mettra en place un régime juridique de droit commun renforcé.

Les deux textes ont été déposés sur le bureau du Sénat le 22 juin dernier. La loi de prorogation votée par le Sénat fait l'objet de nos travaux aujourd'hui. La loi de fond est en cours d'examen par le Sénat qui doit l'adopter en première lecture à la fin du mois de juillet. Cela nous permettra de commencer à travailler sur ce texte sans attendre, en nommant rapidement un rapporteur et en examinant le projet de loi dès la reprise de nos travaux début septembre.

Je l'ai dit, le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence est court.

L'article 1er proroge l'état d'urgence jusqu'au 1er novembre prochain, étant précisé qu'il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l'expiration même de ce délai. Cet élément est important compte tenu du calendrier dans lequel se tiennent nos discussions. Dans cette hypothèse, il en sera bien évidemment rendu compte au Parlement – c'est l'un des éléments du contrôle parlementaire dont nous avons parlé précédemment.

L'article 1er autorise expressément les perquisitions administratives, dans la mesure où la loi du 3 avril 1955 exige que chaque prorogation de l'état d'urgence confirme l'autorisation de perquisition administrative accordée dès le 13 novembre 2015. À cet égard, le Sénat a précisé que la prorogation s'opérera à partir du 16 juillet à zéro heure, afin de lever une petite incertitude tenant à l'enchaînement précis des phases de l'état d'urgence.

L'article 2, issu d'un amendement adopté par le Sénat mais résultant d'une initiative du Gouvernement lui-même, tire les conséquences de la récente décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2017. Cette décision a été rendue dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité – QPC –, ce qui montre d'ailleurs combien cette procédure a fortement renforcé le rôle particulier et effectif du Conseil constitutionnel, tant dans les phases d'élaboration que d'application de la loi.

Ainsi, le Conseil constitutionnel a censuré les interdictions de séjour dans la mesure où ces dernières étaient susceptibles de s'appliquer à toute personne entravant l'action des pouvoirs publics dans un périmètre pouvant inclure le domicile et le lieu de travail. Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel a considéré que l'équilibre entre l'objectif de sauvegarde de l'ordre public et le droit à une vie familiale et professionnelle normale n'était pas suffisant. Cet équilibre constitue bien sûr l'un des socles de la loi de sécurité intérieure que nous examinerons dans quelques semaines.

Le nouveau dispositif de l'article 2 répond point par point aux critiques de la haute juridiction, sans chercher en aucune manière à s'y dérober. Il restreint le champ de l'interdiction de séjour à « toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». De la même façon, les mesures doivent tenir compte de la vie familiale et professionnelle des personnes concernées. Nous avons en quelque sorte intégré dans le droit positif les recommandations dont la mise en oeuvre avait été différée au 15 juillet pour éviter le vide juridique ou opérationnel auquel j'ai déjà fait référence et permettre que la loi nouvelle les prenne en considération.

L'article 3 procède à l'extension de ces mesures aux collectivités régies par le principe de spécialité législative, c'est-à-dire aux îles Wallis et Futuna, à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux Terres australes et antarctiques françaises.

Mes chers collègues, je n'ai pas déposé d'amendements de fond car ce n'est pas l'objet de ce projet de loi – la commission des lois n'en a donc adopté aucun. Je donnerai un avis défavorable aux amendements de fond portant sur un sujet excédant le champ du présent projet de loi, lequel se limite à proroger l'état d'urgence jusqu'au 1er novembre 2017.

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