Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 23 mai 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

je voudrais vous parler d'un homme qui s'appelle Bernard Njonga.

En 1994 sont signés les accords du cycle d'Uruguay, qui font entrer l'agriculture dans un grand marché dérégulé et mondialisé. Quelles en sont les conséquences pour le poulet au Cameroun ? Dès 1999, alors que le Cameroun comptait d'importants élevages de poulets grâce à la construction de puits, 90 % de la production de poulet disparaît. Le poulet « bicyclette » – ainsi nommé car on l'apporte de la ferme jusqu'au marché à bicyclette, même si, parfois, on utilise aussi des camions – est anéanti. Par milliers, les agriculteurs désespérés mettent la clé sous la porte. La messe est dite : le poulet camerounais est mort.

Mais un homme, Bernard Njonga, qui est ingénieur agronome, décide de tenter de ressusciter la filière du poulet. Dans un premier temps, il mène une enquête dans laquelle il montre le désespoir des paysans, les poulets congelés venant de chez nous mais aussi du Brésil – les analyses faites par l'Institut Pasteur révèlent les bactéries que contiennent ces poulets. Dans un deuxième temps, il organise la mobilisation : José Bové est invité à Yaoundé mais l'accès à la ville lui est interdit, il est cantonné à l'aéroport où des milliers de personnes viennent le soutenir. L'événement ainsi créé dans le pays contribue à instaurer un rapport de forces. Dans un troisième temps, Bernard Njonga entreprend une négociation : il rend visite à Pascal Lamy à Genève, au siège de l'OMC, à qui il demande que les poulets camerounais soient exemptés des accords de l'OMC ; il obtient en 2006 l'interdiction d'importation de poulets ; dans les années qui suivent, la filière du poulet camerounais renaît – la production est même supérieure à ce qu'elle était avant le cycle d'Uruguay.

C'est une leçon pour le Cameroun, pour les pays du Sud mais aussi pour nous : si nous voulons une agriculture vivante, nous devons la réguler par des protections douanières et des quotas d'importation. Mais l'enjeu dépasse aujourd'hui largement le cadre de l'agriculture. On ne peut pas parler d'agriculture un jour et d'immigration un autre sans lier les deux sujets. Pour que les flux de personnes soient régulés, l'agriculture doit l'être aussi. Les pays du Sud ne peuvent pas être les lieux où nous venons déverser nos surplus. En poursuivant dans la voie de l'exportation agricole, nous alimentons une machine à fabriquer des réfugiés. Ce n'est pas ce que nous voulons.

Je regrette l'absence dans ce projet de loi d'un volet consacré à la coopération avec les pays du Sud et au développement d'une co-agriculture.

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