Intervention de Philippe Berta

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Désignation aléatoire des comités de protection des personnes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Berta, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, il y a dans nos hôpitaux des milliers de patients pour qui nous ne disposons pas de traitements sur le marché, des milliers de patients pour qui la performance de la recherche en santé de la France est une question vitale, des milliers de patients en soins palliatifs pour qui la participation à un essai clinique peut être un dernier espoir d'amélioration de leur santé, voire de rémission. C'est pour eux, avant tout pour eux, que nous ne pouvons tolérer que nos essais cliniques s'envolent vers d'autres pays.

Nous devons aussi préserver notre recherche. La recherche académique et industrielle en biologie et en santé constitue l'une des principales sources de publications et de brevets français ; elle a pour objet de mettre sur le marché de nouveaux médicaments, essentiellement aujourd'hui sous forme de bio-médicaments, mais aussi de nouveaux outils et biomarqueurs diagnostiques ou encore de nouveaux dispositifs médicaux, qu'ils soient implantables ou non. L'écosystème de cette recherche, fait d'alliances entre le public et le privé, est essentiel à la fois pour le progrès médical, le dynamisme de nos start-up et le financement de nos laboratoires et de nos hôpitaux – essentiel, mais fragile. Or les essais cliniques en sont un maillon essentiel.

C'est, enfin, pour l'économie et l'emploi que nous devons agir. Les innovations en santé contribuent pleinement, via les grandes entreprises pharmaceutiques, dites Big Pharma, mais aussi les biotechs, les medtechs et les centaines de TPE et PME du dispositif médical, à la richesse de notre pays. Le monde de la santé est des plus compétitifs. Tout retard pris met en péril la compétitivité et donc la pérennité de nos entreprises, ou encore notre pouvoir d'attraction d'entreprises étrangères sur notre territoire. Ce système va de la paillasse du chercheur au lit du patient, et si ce sont des centaines de milliers d'euros qui sont mis en jeu par le développement d'un dispositif médical, ce sont des millions d'euros qui le seront pour celui d'un médicament.

Or, plus de 60 % des essais ont quitté la France ces douze derniers mois. Que se passe-t-il ? Divers rapports ont révélé un important goulot d'étranglement lors de la procédure d'autorisation des essais sur le patient, dits essais cliniques ou thérapeutiques, source de retards dans la mise sur le marché.

Si la source de ces retards n'est pas unique, le tirage au sort des comités de protection des personnes, introduit par voie d'amendement dans la loi Jardé, et entré en vigueur en 2016, en est un facteur certain.

En effet, cette loterie ne permet pas d'assurer que le CPP saisi pour l'autorisation d'essai d'une innovation médicale dispose des compétences nécessaires, en interne ou en externe, pour garantir la qualité de l'évaluation menée. Il en résulte des dysfonctionnements, des dessaisissements, et, évidemment, des retards.

Soyons concrets : lorsqu'un promoteur, public ou privé, souhaite mettre un nouveau médicament, ou un nouveau dispositif médical, sur le marché, il doit au préalable réaliser trois phases d'essais cliniques pour s'assurer du bon fonctionnement de son innovation. Il doit préalablement obtenir le feu vert de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sur le plan scientifique, et d'un CPP, sur les aspects éthiques. Les deux instances instruisent les dossiers, éventuellement en parallèle, et autorisent ou non le lancement des essais.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi Jardé, l'un des 39 CPP est tiré au sort pour l'étude du protocole. Cette désignation aléatoire n'est pas sans incidence : le CPP désigné n'a pas toujours le temps nécessaire à l'examen du dossier dans les délais légaux, ni la possibilité de recourir à des compétences pour l'aider à prendre ses décisions. Je vous laisse apprécier les conséquences de ce dysfonctionnement majeur.

Le dispositif que propose aujourd'hui le groupe Mouvement démocrate et apparentés, tel qu'amendé en commission des affaires sociales, entend répondre à cette double problématique de la compétence et de la disponibilité.

J'ai déposé en commission un amendement visant à substituer le terme « compétence » à celui d' « expertise » qui figurait dans la rédaction initiale. Il ne s'agit pas ici de préjuger ou non de l'incompétence de tel ou tel CPP, mais plutôt de déterminer si le CPP est en mesure de mobiliser une spécialité requise parmi ses membres ou son réseau. C'est une condition fondamentale pour que les décisions prises soient non seulement rapides et efficaces, mais surtout pertinentes et adaptées au projet de recherche, et – ce qui nous intéresse au premier chef – protectrice du bien-être des patients.

J'aimerais citer un exemple, celui des 8 000 pathologies rares essentiellement génétiques, et donc pédiatriques, sur lesquelles nombre de start-up travaillent. L'avenir des enfants atteints dépend de leur accès à des thérapies innovantes. Et l'avenir des start-up qui les proposent est lui-même conditionné au délai de mise à disposition des enfants de leur innovation médicale. Dans cet exemple, l'incapacité du CPP retenu à mobiliser un pédiatre ralentira, souvent de façon dramatique, l'accès à la thérapie.

Enfin, j'insiste sur le fait que cette proposition de loi ne remet aucunement en question le tirage au sort, essentiel pour garantir l'absence de conflits d'intérêts. Elle vise uniquement à le rendre plus intelligent pour permettre aux membres des CPP, qui, rappelons-le, sont des bénévoles assumant une mission essentielle avec des moyens dérisoires – je tiens à saluer ici leur engagement – , de disposer de conditions plus favorables pour rendre leurs décisions. Par ricochet, elle cherche à rendre la procédure d'autorisation des essais cliniques efficace, et ainsi à conserver le déroulement de ces essais sur notre sol.

En conclusion, je souhaite vous rappeler les enjeux de cette proposition de loi : premièrement, permettre à nos patients de rester en première ligne pour bénéficier des innovations ; deuxièmement, permettre à des millions d'euros de continuer à être investis dans notre recherche clinique, et, par conséquent, dans nos hôpitaux, qui, me dit-on, en ont bien besoin ; troisièmement, permettre à l'écosystème de la recherche académique et industrielle en biologie et santé de se développer ; enfin, permettre à la France de conserver le contrôle de ses essais cliniques et de leur qualité.

Pour toutes ces raisons, le groupe Mouvement démocrate et apparentés a inscrit à l'ordre du jour de sa niche parlementaire cette proposition de loi.

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