Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour l'examen en séance publique de cette proposition de loi déposée par le groupe MODEM et notre collègue Patrick Mignola, après son rejet malheureux par la commission des affaires culturelles – espérons que nous serons plus convaincants aujourd'hui ! Quoi qu'il en soit, nous continuerons à militer pour la création d'un droit voisin au profit des éditeurs de presse et des agences de presse.

La presse doit faire face à de très nombreux défis dont le moindre n'est pas celui posé par la révolution numérique. À l'ère du digital, la principale difficulté à laquelle est confrontée la presse réside dans l'utilisation massive et systématique de contenus journalistiques par des tiers, notamment les fameux agrégateurs d'information, sans autorisation préalable et sans rémunération.

Cette situation a des conséquences graves sur l'audience de sites de presse, sur les revenus publicitaires ainsi que sur les ventes des contenus. C'est donc toute l'architecture du financement de nos titres de presse par les éditeurs – la réalisation des journaux et magazines, la formation et la rémunération des journalistes, l'innovation dans les nouvelles formes de distribution numérique – qui se trouve ainsi menacée.

Le groupe Les Républicains croit en une presse libre, indépendante, diversifiée, essentielle pour la démocratie. Or, la presse connaît de plus en plus de difficultés pour produire une information de qualité. On ne dira jamais assez le rôle clé d'une presse libre, indépendante, pluraliste et économiquement viable face à la prolifération de fausses nouvelles, à la manipulation massive d'informations, à la désinformation et aux autres menaces pesant sur notre démocratie.

Dans un paysage médiatique totalement révolutionné par l'irruption fracassante du numérique, de nouveaux acteurs – géants – d'internet, agrégateurs d'informations ou services de veille de presse, captent la valeur créée. À titre d'exemple, Facebook et Google ont capté, en 2017, 90 % de la croissance du marché de la publicité digitale, ne laissant que des miettes aux éditeurs de presse.

Dans ce contexte, l'initiative, en septembre 2016, d'une révision de la directive européenne sur le droit d'auteur datant de 2001 était bienvenue. Le projet de directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique prévoit dans son article 11 la création d'un droit voisin au profit des éditeurs de presse à l'ère numérique. L'objectif est de donner à ces derniers le droit de délivrer des licences et d'obtenir une rémunération pour l'utilisation des contenus qu'ils produisent, et cela sans porter atteinte au droit d'auteur. Je le répète, la création d'un droit voisin au profit des éditeurs de presse ne menace en rien le droit d'auteur reconnu aux journalistes, pas plus qu'il ne limite la liberté d'information.

Dans la version initiale de l'article 11 de la proposition de directive révisée sur le droit d'auteur, le droit voisin donnait la possibilité aux éditeurs de presse d'interdire ou d'autoriser la reproduction de tout ou partie de leurs publications, et ce pour une durée de vingt ans.

Comme cela a été dit précédemment, force est de constater que les négociations au sein des instances européennes sont laborieuses ; c'est même le moins que l'on puisse dire. Il faut également rappeler – je l'ai constaté en tant que membre du Parlement européen, où j'ai d'ailleurs eu la chance de siéger au sein de la commission des affaires juridiques, saisie au fond – que l'article 11 n'avait pas spontanément soulevé l'enthousiasme ni recueilli un assentiment majoritaire des États membres de l'Union.

Certes, un travail considérable a été effectué par les uns et les autres. La mobilisation d'un certain nombre d'acteurs et de gouvernements des États membres – nous reconnaissons tout à fait, madame la ministre, l'intensité de votre engagement, la qualité du combat que vous menez et la sincérité avec laquelle vous le faites – a commencé à faire bouger les lignes. Il semble désormais plus ou moins acquis que la création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse sera, vaille que vaille, maintenue dans la version finale de l'article 11 de la directive européenne. Rappelons qu'il y a eu, au tout début, des tentations de supprimer purement et simplement cet article 11.

Mais le combat est loin d'être terminé : la rédaction précise des dispositions relatives à la création de ce droit voisin ouvrant de nouvelles possibilités pour les éditeurs de presse fait toujours l'objet d'âpres tractations. Par exemple, une partie des États membres estime qu'il convient de protéger les contenus selon un critère d'originalité, tandis que d'autres, notamment la France, retiennent un critère de taille des extraits. Cela nous amène au sujet, certes un peu technique mais fondamental, des hyperliens et des extraits, les fameux snippets. La bataille fait véritablement rage à l'intérieur des différentes institutions européennes, tant au sein du Conseil des ministres qu'au sein du Parlement européen, sur l'opportunité d'assimiler ou non les hyperliens et les extraits. C'est sur ce point que se noue une partie du problème, comme certains orateurs précédents l'ont rappelé.

Les auteurs de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui ont fait un choix simple, celui non seulement de créer de manière explicite un droit voisin, mais aussi de protéger largement les contenus en visant tout ou partie des publications en ligne, ce qui inclut très clairement ces fameux snippets. Cela nous convient très bien. Dans leur proposition de loi, M. Patrick Mignola et ses collègues ont en outre fait le choix d'une gestion collective des droits afin d'éviter les écueils des législations espagnole et allemande, qui avaient amené les éditeurs de presse à capituler devant Google. Cela nous semble également tout à fait bienvenu. Enfin, autre point très important à nos yeux, la présente proposition de loi opte pour une durée longue de protection, vingt ans, comme la version initiale de l'article 11 de la proposition de directive européenne.

Nos collègues de La République en marche et vous-même, madame la ministre, posez la question suivante : pourquoi proposer un dispositif législatif franco-français alors que d'intéressantes négociations européennes sont en cours ? Parce que nous sommes prudents et que nous estimons qu'il existe toujours, à l'heure actuelle, une véritable incertitude quant au calendrier précis des discussions européennes et à leur aboutissement, quant au point d'arrivée et aux accords de compromis qui pourraient voir le jour, aussi bien, d'ailleurs, sur le contenu de l'article 11, dont nous débattons aujourd'hui, que sur d'autres sujets tout aussi cruciaux pour notre pays et pour les industries créatives et culturelles, par exemple la réduction du fameux value gap en vue d'un meilleur partage de la valeur.

Nous sommes prudents et vigilants. Nous n'avons cessé de voir les reports et les décalages se multiplier, tant au sein du Parlement européen – la commission des affaires juridiques ayant du mal à envisager de passer à l'acte – qu'au sein du Conseil des ministres et du Comité des représentants permanents, le COREPER.

Certains ici font preuve d'optimisme. Pour notre part, nous souhaitons être prudents et vigilants. Nous n'estimons nullement que l'émission d'un signal politique fort et une prise de position par l'Assemblée nationale française à travers le vote de la proposition de loi de M. Patrick Mignola seraient de nature à contrarier ou faire déraper la négociation européenne, à insérer un grain de sable dans cette subtile mécanique – négociation européenne dont nous, représentants de la nation, n'aurions guère à connaître ou ne devrions pas trop nous approcher.

Au contraire, nous proposons, par cet acte fort, de faire savoir à quel point nous sommes attachés collectivement, sur de nombreux bancs de cet hémicycle, à cette question. Nous souhaitons clairement marquer notre soutien à la position de la France et à vous-même, madame la ministre. Cela doit aussi être compris comme une volonté d'appuyer les nombreux parlementaires européens – venant de divers États membres, notamment de France et d'Allemagne, et appartenant à différents groupes politiques – qui se battent pour la création de ce droit voisin.

Parce que nous avons été instruits par l'expérience, nous resterons très prudents et vigilants quant aux éventuels épisodes de dernière minute au sein des institutions européennes, notamment à la rédaction des fameux amendements de compromis. Ils peuvent être à l'origine de quelques dégâts collatéraux et aboutir à une atténuation ou un affadissement, voire un affaiblissement, du résultat auquel nous souhaitons arriver. Voilà pourquoi nous, Les Républicains, soutenons cette proposition de loi et souhaitons ardemment la voter ici, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale française.

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