Intervention de Alexandra Louis

Séance en hémicycle du mardi 15 mai 2018 à 21h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Article 2

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Les amendements qui ont été présentés en discussion commune proposent deux voies distinctes. La première consiste à établir des présomptions, pour la plupart irréfragables. Je rappelle qu'est dite irréfragable toute présomption définie de telle sorte qu'on ne peut la lever par une preuve. Lorsqu'il s'agit simplement de renverser la charge de la preuve, on parle de présomption simple.

Les présomptions irréfragables de culpabilité sont inconstitutionnelles : nous le savons, ce point est acquis. Quant aux présomptions simples, le Conseil d'État a formulé de sérieuses objections en la matière. De nombreux spécialistes nous ont en outre mis en garde quant au risque d'inconstitutionnalité qu'elles présentent. Je réitère donc l'avis défavorable de la commission concernant tous les amendements visant à instituer une présomption de culpabilité.

En outre, à supposer même qu'une présomption simple soit instituée sans être censurée par le Conseil constitutionnel, les conditions de menace, violence, contrainte ou surprise seront toujours examinées à l'audience, car la défense essaiera toujours de montrer qu'il n'y avait ni menace, ni violence, ni contrainte, ni surprise, afin de renverser la présomption.

Nombre d'entre vous, ayant bien compris ce risque d'inconstitutionnalité, tentent de le contourner en proposant de créer une infraction spéciale. La plupart des amendements en ce sens visent soit à assimiler à une agression sexuelle toute atteinte commise par un majeur sur la personne d'un mineur d'un certain âge, soit à créer des infractions spécifiques d'agression sexuelle sur mineur. Pour simplifier, cela reviendrait à criminaliser tout acte de pénétration sexuelle par un majeur sur un mineur.

Je ne peux être favorable à ces propositions, pour plusieurs raisons. D'abord, il faut respecter le principe de proportionnalité : un tel dispositif ne saurait s'appliquer indistinctement à tous les mineurs de moins de quinze ans. Se pose alors la question de l'âge : pourquoi ne pas baisser ce seuil ? Mais cela aboutirait à la coexistence de plusieurs infractions réprimées très différemment selon l'âge de la victime : en raison de cet effet de seuil de treize et de quinze ans, le coupable encourrait cinq ans ou vingt ans d'emprisonnement pour des infractions très proches. Une telle évolution serait ainsi source de complexité – et donc de contestations.

Elle est en outre incompatible avec les exigences propres à la matière pénale, notamment eu égard aux peines encourues. Au surplus, la modification des éléments constitutifs d'une infraction ou la création d'une nouvelle incrimination pénale ne s'appliqueraient qu'aux faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Or – nous ne l'avons pas assez répété au cours de nos débats – la rédaction de ce projet de loi a le mérite de s'appliquer aux faits antérieurs à son entrée en vigueur.

J'ajoute que dans son avis sur ce projet de loi, le Défenseur des droits se satisfait de la portée de cet article.

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