Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du lundi 14 mai 2018 à 21h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Discussion générale

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

… soit parce que le délai de procédure devant la cour d'assises est extrêmement long – ce qui tient à la procédure même diligentée devant la cour d'assises, – et que dans ce cas-là, nombre de victimes, voire d'auteurs de faits, préfèrent une correctionnalisation pour bénéficier d'un jugement plus rapide.

En facilitant la caractérisation d'un viol pour les moins de quinze ans, nous pourrons d'une part mieux sanctionner les viols en tant que crimes et, d'autre part, nous ferons en sorte, à travers diverses dispositions qui figureront dans la loi de programmation et de réforme pour la justice, que ces crimes de viol puissent être jugés plus rapidement par des tribunaux criminels départementaux. Il me semble que c'est très important.

Avec notre loi, dans l'affaire de Pontoise – puisque la question a été posée tout à l'heure – , le parquet aurait sans doute directement engagé une poursuite pour viol en estimant la contrainte morale caractérisée en raison du manque de discernement de la mineure lié à son jeune âge. On voit donc bien à quel point notre texte sera extrêmement utile, y compris pour les magistrats.

D'une certaine manière, j'ai répondu à Mme Taurine en répondant à Mme Autain, mais je lui dirai tout de même, puisqu'elle a évoqué un projet de loi médiatique, que ce dernier est tout sauf médiatique : il est centré sur des dispositions pénales visant à rendre plus efficace notre arsenal répressif. Voilà le seul objectif d'un projet qui est vraiment tout sauf médiatique ! Je crois que la médiatisation s'explique peut-être par la diffusion de propos erronés concernant ce texte.

Mme Faucillon, comme d'autres députés d'ailleurs, a mis l'accent sur les victimes. C'est l'une de nos préoccupations les plus fortes. Elle ne se retrouve pas nécessairement dans ce texte, encore que la répression accentuée de ces crimes soit favorable aux victimes. Bien d'autres dispositions sont aussi favorables aux victimes : je pense au rôle des associations, à l'amélioration des pratiques d'accueil dans les commissariats grâce à la formation, au développement des pratiques d'écoute – nous aurons l'occasion d'y revenir – , au Téléphone Grave Danger, dont Marlène Schiappa a parlé tout à l'heure. Tout cela vise à une meilleure prise en charge des victimes, laquelle est d'ailleurs largement animée par les procureurs et les présidents des tribunaux de grande instance en qualité de présidents des conseils départementaux de l'accès au droit, qui assument largement ces missions.

L'un ou l'une d'entre vous – peut-être est-ce vous, madame Bello, je ne sais plus… – a évoqué les ordonnances de protection. Je rappelle qu'elles sont mises en oeuvre par des associations après les décisions de magistrats – les juges aux affaires familiales – et, contrairement à ce que j'ai cru comprendre, qu'elles sont très nombreuses, notamment dans certaines juridictions comme par exemple le TGI de Bobigny. Je tiens simplement à dire que la question des victimes est pour nous centrale.

Madame Fontenel-Personne, vous avez raison de dire que la loi poursuivra mieux les différents crimes ou infractions tels que le cyber-harcèlement : en effet, ce texte s'adapte à la réalité du harcèlement aujourd'hui – c'est là l'une des caractéristiques de ce texte voulues par Marlène Schiappa.

Madame Anthoine, vous savez que nous ne pouvons pas partager votre sentiment. Vous avez cru devoir souligner le manque d'ambition de ce texte, notamment par rapport à la loi de 1998. Vous dites que l'on ne peut se satisfaire d'un texte si modeste alors même que les enjeux sont grands. Mais ce texte n'est pas modeste ! Il est centré sur le réel, il est centré sur l'efficacité, il est centré sur ce dont nous avons besoin ! Je me répète : il y a l'ambition de cette loi, et l'ambition des politiques publiques défendues par le secrétariat d'État à l'égalité femmes-hommes et par l'ensemble des ministères ! Cela forme un tout extrêmement cohérent.

Il y a aussi la politique pénale conduite par le ministère de la justice – lequel joue un rôle important dans ce domaine – et menée par les procureurs.

Je voudrais ainsi vous rappeler que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles fait partie des priorités de la politique pénale que j'ai définie dans mes circulaires depuis ma prise de fonction, et notamment dans la dernière circulaire de politique générale que j'ai adressée aux procureurs. Cette thématique y figure expressément.

Pour finir de répondre à votre intervention, madame Anthoine, j'ajouterai, au sujet du renforcement des outils à la disposition des procureurs, que l'incrimination de violence ayant entraîné une mutilation permet déjà de punir de quinze ans de réclusion les auteurs d'excision. Il ne paraît donc pas utile de mentionner à nouveau, dans la loi que nous vous proposons actuellement, des infractions qui sont déjà largement punies par le code pénal.

Monsieur Dunoyer, je partage évidemment votre double assertion. Vous dites que le chemin qui mène à la condamnation est semé d'embûches : c'est vrai, nous le savons, et c'est bien pour cela que nous agissons, en pratique et à travers des articles de loi. Mais je pense que vous avez également raison, et je vous en remercie, de constater que ce texte représente une réelle avancée dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Madame Bello, vous avez posé deux questions auxquelles j'ai été très attentive, à propos de l'article 2. Je ne veux pas préempter le débat qui aura lieu demain, mais je souhaite tout de même dire un mot à ce sujet. Tout en reconnaissant que l'équilibre que nous recherchons est très difficile à atteindre, vous vous demandez si cette rédaction est suffisante pour protéger les jeunes que nous souhaitons protéger. Oui, je pense vraiment que la rédaction que nous vous proposons, qui est extrêmement ciselée et extrêmement adaptée à l'état de notre droit, est suffisante. Et c'est ce que nous nous efforcerons de vous démontrer demain.

Vous vous interrogez également, si j'ai bien compris, sur la possibilité que nous aurions eue de poser une présomption de non-consentement pour les mineurs de treize ans. Je crois que cette solution, à laquelle je reconnais que j'avais moi-même pensé un temps, n'eût pas été constitutionnellement satisfaisante.

Permettez-moi de vous lire un extrait de l'avis qui a été rendu par le Conseil d'État : « Une telle présomption aurait été très difficilement compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en dehors du champ contraventionnel [… ] n'admet qu' à titre exceptionnel l'existence d'une présomption de culpabilité en matière répressive. » Et le Conseil d'État ajoute : « Pour que celle-ci soit jugée constitutionnelle, il faut, d'une part, qu'elle ne revête pas de caractère irréfragable et, d'autre part, qu'elle assure le respect des droits de la défense. » Cet avis indique encore que, s'agissant d'un crime, la même présomption aurait « très certainement excédé les limites raisonnablesdans lesquelles la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales enserre les présomptions de droit ou de fait en matière pénale, compte tenu de la gravité de l'enjeu et de la difficulté en pratique pour le mis en cause de se défendre. »

Cet avis du Conseil d'État nous permet de penser que la seule solution envisageable est la solution juridique que nous avons retenue.

Monsieur Lassalle, au fond, votre intervention avait le mérite de montrer à quel point le souci de l'État de droit doit primer en toutes circonstances.

Madame Avia, je vous remercie pour votre intervention, et notamment pour vos dernières phrases qui, je trouve, font parfaitement écho à ce que nous essayons de faire. Vous avez dit que toute confusion nuisait aux victimes, et vous avez parfaitement raison. Je crois que nous devrons nous efforcer, les uns et les autres, dans ce débat qui n'est pas facile, qui n'est pas un débat de pure communication – et je sais que beaucoup d'entre vous partagent ce point de vue – , d'avoir l'honnêteté intellectuelle de présenter l'état du droit tel qu'il est, et non tel que nous le rêvons. Sinon, nous instaurerons de la confusion, et cette confusion nuit aux victimes. Vous avez eu raison aussi de dire que le courage politique, c'est d'accepter et de défendre cet État de droit.

Monsieur Huyghe, je ne vous répondrai pas au sujet de la campagne de communication et d'affichage que vous avez cru devoir dénoncer dans notre démarche. Je crois avoir déjà répondu à ce sujet : nous faisons ici tout, sauf une entreprise de communication et d'affichage. Nous tentons de construire une entreprise d'efficacité, de réalité, de pragmatisme et nous essayons de nous donner les moyens de pouvoir enfin rendre justice aux victimes. Vous évoquez une marche arrière à propos de l'article 2. Non, monsieur le député, ce n'est pas une marche arrière, mais une marche avant, vraiment, que nous construisons.

Monsieur Mesnier, enfin, je crois que vous avez parfaitement résumé l'objet de notre débat. Ce texte ne dit pas tout de la politique construite depuis un an en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. Ce texte en dit une partie, une partie indispensable, une partie sans laquelle le reste n'aurait peut-être pas tout le sens qu'il a. Mais tout ce reste existe, qui est construit par Mme la secrétaire d'État Marlène Schiappa.

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