Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du lundi 14 mai 2018 à 21h30
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Nos institutions sont, de ce point de vue, le reflet d'un sexisme et d'une méconnaissance de ces violences, même si le mouvement #MeToo a permis une forme de bond en avant – les plaintes pour viols et agressions sexuelles ont augmenté de 11 % en 2017 par rapport à 2016, ce qui est considérable. La difficulté, voire l'incapacité à entendre, se retrouve partout. Je ne prendrai qu'un exemple, que je crois assez frappant, celui d'Évelyne, violée par son père, et qui décide de consulter un psychanalyste. Elle raconte le viol qu'elle a subi et le psy conclut la séance ainsi : « Il faut maintenant comprendre pourquoi vous fantasmez que votre père vous a violée. » Évelyne n'a pas franchi le seuil du commissariat, mais celui de l'hôpital psychiatrique après une tentative de suicide.

Je veux ici rendre hommage, par contraste, aux personnels et aux personnes, quels qu'ils soient, qui ont su trouver les mots et tendre la main. Les paroles des personnes auxquelles se confient les victimes, notamment les premières d'entre elles, sont décisives. C'est pourquoi la lutte contre les violences sexistes et sexuelles doit impliquer et irriguer un maillage large, et non se réduire à un enjeu de réglementation.

Dans ce maillage, le tissu associatif est décisif. Or, il subit partout des coupes budgétaires drastiques. Je pense bien sûr aux associations féministes et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui ne voient pas le soutien sonnant et trébuchant de l'État se développer à l'heure de #MeToo, tant s'en faut. L'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail – AVFT – n'a pas connu une baisse de subventions, mais n'a pas non plus bénéficié d'une hausse de celles-ci au moment où les appels ont explosé – du fait d'un mouvement salutaire de la société – , ce qui l'a empêché de continuer à assurer sa permanence téléphonique. Mais je pense aussi à tant d'associations locales, de quartiers, de villes qui font vivre la solidarité entre femmes et qui sont des lieux où la parole émerge et peut être accompagnée. Or ce tissu associatif de proximité est aujourd'hui en danger en raison de votre choix de l'austérité pour les comptes publics.

De la même manière, les femmes victimes de violences conjugales sont confrontées au défaut de places en hébergement d'urgence. En Seine-Saint-Denis, je viens de l'apprendre, l'État a annoncé, pour 2018, une coupe sèche de 9 % du budget réservé à l'hébergement d'urgence. Pourtant, nous ne cessons – en tout cas, tel est mon cas – de recevoir des femmes qui ont besoin d'un logement, qui nous supplient parfois de les aider, parce qu'elles sont menacées très concrètement par leur ex-conjoint, et auxquelles nous ne sommes pas toujours capables d'apporter une réponse. Ce projet de loi non plus ne leur apporte aucune réponse.

Naturellement, la prévention doit s'accompagner d'une action résolue pour l'égalité au travail. À cet égard, votre gouvernement a fait de nouvelles annonces. Si certaines vont dans le bon sens – transparence et pénalité – , ces efforts sont modestes et massivement éclipsés par le reste de votre politique. En effet, l'autonomie des femmes ne peut pas advenir si pèsent sur elles les temps partiels imposés, les CDD en chaîne, les emplois toujours plus précaires et flexibles. Par ailleurs, la suppression des CHSCT – comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – dans la loi travail restreint encore la possibilité pour les femmes de témoigner, de trouver une écoute dans leur entreprise. Pour favoriser l'égalité professionnelle, il faudrait aussi investir dans un service public de la petite enfance, pour tout le monde, et allonger le congé de paternité. Mais voilà qui ne rentre sûrement pas dans votre maudite règle d'or.

Un autre chantier décisif est totalement absent de votre projet de loi : comment mieux prendre en charge les violeurs quand ils sont en prison pour préparer leur sortie et prévenir la récidive ? Ce texte n'en dit strictement rien. Le sujet est épineux, difficile, mais cela ne dispense pas de s'y atteler et de commencer à rechercher les solutions. Mais la recherche et l'expérimentation exigent des moyens, qui restent introuvables.

Au fond, votre projet de loi n'offre que quelques ajustements législatifs. Il comporte, il est vrai, une bonne nouvelle : l'allongement du délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur des mineurs. Ces traumatismes sont d'une telle violence qu'ils peuvent être enfouis par la mémoire pendant des années avant de revenir hanter les victimes à l'âge adulte. Mais cet allongement se limite malheureusement aux viols commis sur mineurs, et ne concerne pas l'âge adulte. De la même manière, vous prévoyez des sanctions pour les cyber-harceleurs, ce qui n'est pas du luxe, mais – nous le regrettons – les femmes auront toujours l'obligation de dénoncer les parfois très nombreux messages sexistes ou d'incitation à la haine et à la violence à leur encontre. Il eût fallu, là aussi, donner des directives aux GAFA et de nouveaux pouvoirs au CSA, qui n'a pas les attributions pour superviser les contenus numériques.

Les deux autres articles nourrissent le grave danger d'une détérioration de la qualification juridique de violences sexuelles. L'article 2 retient particulièrement notre attention. Depuis ce matin circule une pétition de 250 personnalités, parmi lesquelles l'actrice Karine Viard, la féministe Caroline De Haas, l'ancienne ministre Yvette Roudy ou la spécialiste des violences sexistes et sexuelles Muriel Salmona.

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