Intervention de Alexandra Louis

Séance en hémicycle du lundi 14 mai 2018 à 16h00
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, je ne puis aborder ce texte sans penser aux multiples témoignages poignants que j'ai pu entendre pendant sa préparation puis son examen en commission. Ces victimes ont été confrontées à la cruauté, à l'innommable puis au silence qui s'abat. Beaucoup ont mis du temps avant de se faire entendre et de dénoncer leurs bourreaux.

Toutefois, derrière ces témoignages, cette libération de la parole et surtout de l'écoute, se cache un chiffre noir, un chiffre terrible, celui des trop nombreuses victimes, mineures pour beaucoup, qui ne parlent pas, qui ne parleront peut-être jamais. Un autre chiffre noir est celui, bien trop élevé, des auteurs de ces exactions qui ne sont pas suffisamment poursuivis. Un troisième chiffre noir est enfin celui de toutes ces violences qui font irruption dans le quotidien de trop de nos concitoyens, et surtout de nos concitoyennes, et qui demeurent impunies.

Ces violences ont mille visages, elles ne connaissent aucune limite géographique, elles n'ont pas d'âge, elles n'ont pas de religion, elles n'épargnent aucune sphère de la société. Elles s'immiscent dans les familles, au travail, à l'école, dans les espaces publics et sur internet. Nous les retrouvons dans tous les secteurs, dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Elles ont traversé les siècles mais ne sont pas pour autant une fatalité. C'est au moins l'enseignement qu'il faut tirer de l'engagement de ceux qui ont fait de cette noble cause, celle de l'égalité et de la dignité, un combat de chaque instant, même à des périodes où leur parole ne trouvait aucun écho.

Grande cause du quinquennat, l'égalité femme-homme est incarnée par une volonté indéfectible du Gouvernement, et je tiens à saluer l'engagement sans faille de Mme la garde des sceaux et de Mme la secrétaire d'État. Cet engagement consiste avant tout à lutter contre les violences et à faire changer de camp la honte et la peur.

Ce texte, amélioré et affiné en commission des lois, se découpe en quatre axes ayant trait principalement au droit pénal. Chacun d'entre eux apporte des réponses à des violences que l'arsenal législatif actuel, quoique déjà très vaste, peine à réprimer efficacement.

Le premier axe permet de donner du temps : le temps nécessaire à ces enfants devenus adultes de se souvenir, de poser des paroles sur des actes puis de choisir d'engager des poursuites judiciaires en déposant plainte contre leurs agresseurs. C'est pourquoi il est prévu d'allonger la durée de la prescription de vingt à trente ans à compter de la majorité pour les crimes commis sur les mineurs. Cet allongement, qui permet d'engager l'action publique jusqu'aux quarante-huit ans de la victime, est la concrétisation de l'une des propositions émanant de la mission de consensus présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes.

Nous le savons aujourd'hui, des mécanismes psychologiques complexes sont parfois à l'oeuvre en cas d'agression sexuelle, comme l'amnésie post-traumatique ou des troubles dissociatifs. Ils entraînent une anesthésie émotionnelle qui empêche à la victime de savoir immédiatement qu'elle a subi un crime. Nous devons laisser le temps nécessaire aux victimes blessées au coeur de leur enfance. L'âge de trente-huit ans, parce qu'il correspond à la période de la vie des femmes – et aussi des hommes – où l'on supporte généralement d'importantes contraintes familiales et personnelles, peut représenter, pour les victimes, un empêchement au dépôt de plainte.

L'adoption de l'article 1er constituerait un signal fort pour graver dans le marbre de la loi la spécificité des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, du fait de l'allongement du délai de prescription.

Le second axe consiste à mieux protéger les enfants, eux qui sont les plus ciblés par les violences sexuelles. Il est temps de fixer dans le code pénal un âge que le juge doit prendre en considération dans l'appréciation des infractions d'agressions sexuelles et de viols : cet âge sera quinze ans. Prévu dans le code pénal comme celui de la majorité sexuelle, il constitue un repère de puberté. Il est en outre avéré que les traumatismes subis avant cet âge sont beaucoup plus prégnants et provoquent des atteintes profondes à la structure et au développement du cerveau. En d'autres termes, nous souhaitons acter dans ce texte la particulière vulnérabilité des mineurs de moins de quinze ans.

Je sais que, sur ces bancs, certains souhaitent proposer d'autres rédactions restreignant beaucoup plus l'office du juge. L'émotion inhérente à ce sujet ne doit pas nous engager dans une démarche hasardeuse, voire de surenchère. « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. » Ces mots de Portalis doivent nous inviter à faire preuve d'un esprit de responsabilité, d'autant que le sujet est particulièrement grave.

Le Conseil d'État et les spécialistes auditionnés dans le cadre de la préparation de ces débats nous ont nettement mis en garde contre le risque avéré d'inconstitutionnalité des présomptions qui seront proposées lors de nos débats, je le sais.

Le souvenir de l'invalidation par le Conseil constitutionnel, en 2012, de l'infraction de harcèlement sexuel doit renforcer notre vigilance eu égard aux graves conséquences pour des milliers de victimes, privées de la possibilité de voir poursuivre et condamner leurs harceleurs.

Surtout, le présent texte satisfait l'exigence de mieux protéger nos enfants puisque le juge sera désormais tenu de prendre en compte, dans la caractérisation du viol comme de l'agression sexuelle, la vulnérabilité particulière et le manque de discernement des mineurs de quinze ans. Au surplus, cette rédaction a le mérite de trouver une application pour des faits antérieurs à la promulgation de ce texte, qui, je l'espère, sera voté.

Enfin, pour tenir compte de toutes les situations, le projet renforce la répression des atteintes sexuelles. Il est prévu d'aggraver les sanctions en portant la peine d'emprisonnement de cinq à dix ans et l'amende de 75 000 à 150 000 euros lorsqu'un acte de pénétration sexuelle sur un mineur aura été commis sans violence, contrainte, menace ou surprise.

L'intérêt supérieur de l'enfant doit également nous amener à mieux réprimer toutes les autres formes de violence. Parce qu'un enfant témoin de violences est un enfant victime, nous avons introduit, en commission des lois, la création d'une nouvelle circonstance aggravante afin que les violences commises en présence de mineurs soient plus sévèrement réprimées. Cette disposition répond à l'invitation formulée par le Conseil de l'Europe dans la convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, ratifiée en 2014. Les enfants sont les premiers spectateurs des violences conjugales et en restent marqués à vie. La peine prononcée doit intégrer cette réalité.

Le troisième axe du texte s'attaque au cyber-harcèlement, qui prend la forme de raids numériques. La victime, seule derrière son écran de téléphone ou d'ordinateur, se trouve face à un déferlement de messages haineux ou humiliants. Elle est comme prise au piège. Les cibles de raids numériques témoignent régulièrement qu'il y a pour elles un avant et un après. Plus de 10 % des collégiens sont visés par ces assauts numériques.

La législation actuelle n'est pas adaptée pour répondre à ces comportements et propos violents. Les délits de harcèlement sexuel ou moral ne trouvent pas, en pareils cas, à s'appliquer puisque les victimes ne sont pas harcelées par une seule personne mais par une pluralité d'auteurs. Pour pallier ce vide, devront être réprimés les propos ou comportements imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles. Tels sont les apports effectués en commission des lois.

Le dernier axe du projet de loi porte sur une mesure très attendue par nos concitoyens, qui répond à une préoccupation du quotidien : le harcèlement de rue. Un véritable malaise s'est installé, il s'est même banalisé. Les comportements de ceux qui harcèlent portent atteinte à la liberté d'aller et venir de leurs victimes. La création de l'infraction d'outrage sexiste pose donc un interdit ferme. Il sanctionne le fait d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à sa dignité ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Parce qu'il ne suffit pas de créer une nouvelle infraction pour enrailler un comportement, l'article 4 prévoit également l'instauration d'une contravention de quatrième classe et de cinquième classe en cas de circonstances aggravantes. Cette peine pourra se voir compléter par des stages de sensibilisation.

Par ce texte, nous renforçons notre arsenal législatif pour mieux lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Nous permettons à davantage de victimes d'être entendues et nous ferons condamner davantage d'auteurs coupables de ces actes qui détruisent celles et ceux qui les subissent. Nous contribuons à faire de notre société un espace plus ouvert et moins discriminant.

Cependant, pour aboutir, notre travail ne doit pas s'intéresser qu'à la sanction pénale aux violences sexistes et sexuelles. Car, si sanction il y a, c'est qu'agression il y a eu. Nous allons maintenant devoir, autour de Mme la secrétaire d'État Marlène Schiappa, travailler à la prévention de ces violences. Si la première éducation doit se faire dans les familles, l'État doit jouer son rôle. À la crèche, à l'école et dans l'espace public, un seul message doit être martelé : non, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas tolérables ! Ceux qui en sont les auteurs brisent des vies et se mettent hors la loi.

Il faudra, en la matière, se montrer réactif et inventif. Ce texte est la première pierre d'un travail que nous poursuivrons en ces lieux et que nous ne mènerons pas seuls. Nous devrons utiliser tous les moyens à notre disposition, en partenariat avec tous les acteurs. Associations de victimes, structures éducatives, audiovisuel public, société civile dans son ensemble : toute la société doit participer. C'est un combat politique dans lequel nous nous engagerons avec courage et fermeté.

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