Intervention de Marlène Schiappa

Séance en hémicycle du lundi 14 mai 2018 à 16h00
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Présentation

Marlène Schiappa, secrétaire d'état chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes :

En créant – c'est une grande nouveauté – une plateforme en ligne de contact entre les victimes de violences et les policiers, qui sera intégralement financée par le ministère de l'intérieur. C'est en effet le rôle de l'État, en tant que chef de file des politiques publiques des droits des femmes, de reprendre la main pour ne plus laisser des victimes seules. C'est notre rôle et nous entendons le jouer pleinement.

Désormais, nous dépisterons mieux ces violences, grâce à la création des contrats locaux de prévention des violences sexistes et sexuelles qui permettront, autour de chaque préfet, d'articuler police, justice, urgentistes et travailleurs sociaux, afin d'agir avant qu'il ne soit trop tard. De même, des plateformes de géolocalisation des hébergements d'urgence, uniquement accessibles aux professionnels, permettront de sortir les femmes de situations inextricables dès les premières menaces, dès le premier coup.

Nous éduquerons davantage les jeunes générations, en faisant appliquer à l'école, dès la rentrée prochaine, les trois séances annuelles obligatoires d'éducation à la vie affective et sexuelle, qui devront permettre d'aborder la notion de consentement.

Le service civil universel, conformément à l'engagement de campagne du Président de la République, pourra également former toute une classe d'âge à lutter contre les stéréotypes de genre et pour le respect de l'intégrité de chacune et de chacun.

Nous communiquerons aussi car un combat culturel se gagne par le changement des mentalités, et c'est aussi en communiquant que l'on change ces mentalités. Le Gouvernement – c'est inédit – investit 4 millions d'euros dans une grande campagne de communication, en plus de celles que nous avons déjà diffusées massivement, dans le but d'interpeller les témoins sur leur pouvoir et leur devoir d'action contre les violences sexistes et sexuelles.

C'est également dans cet esprit que nous avons lancé deux grands plans, avec le ministère de l'action et des comptes publics et avec le ministère du travail, pour mieux prévenir, alerter, sanctionner les violences sexistes et sexuelles commises sur le lieu de travail.

Ces politiques publiques, qui ne relèvent pas toutes de la loi, nous les menons depuis des mois. Aucune d'entre elles n'est suffisante à elle seule, prise isolément ; elles forment un tout, avec l'ensemble des actions qui sont menées par le Gouvernement. Si j'en mentionne certaines ici, c'est pour que chacun et chacune puisse avoir une compréhension claire de l'approche globale adoptée par le Gouvernement pour lutter efficacement contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles, en tout champ, en tout lieu, en tout temps.

Reste donc la question de la condamnation en justice de ces violences sexistes et sexuelles. C'est sur cette question que porte le texte que nous vous présentons maintenant avec la garde des sceaux. Le moment qui nous réunit est l'aboutissement d'un intense et long travail collectif, engagé depuis de nombreux mois et même, oserais-je dire, depuis de nombreuses années.

Celles et ceux d'entre vous qui, comme moi, travaillent de longue date sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes le savent bien : jusqu'à très récemment, ce n'était ni le domaine de spécialité le plus visible ni, au demeurant, le mieux considéré, y compris par les pouvoirs publics. J'ai encore le net souvenir du scepticisme manifesté collectivement lorsque nous entendions affronter le sujet dans une note d'analyse, un livre ou via une politique publique, locale ou nationale.

La question du harcèlement de rue, notamment, qui fait partie du quotidien de nombreuses femmes et jeunes filles, passait sous les radars des politiques publiques jusqu'à ce que, lors de sa campagne, en meeting au Mans en 2016, Emmanuel Macron aborde avec précision la question de ce qu'il a alors appelé « l'insécurité spécifique » vécue par les femmes dans l'espace public. Il avait pris l'engagement de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat, et cet engagement a été tenu, avec notamment un hommage national rendu aux femmes mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint et aux victimes de violences sexistes ou sexuelles, marqué par une minute de silence à l'Élysée. C'est un événement marquant et proprement historique dans notre République, et même dans le monde.

Fidèle à la fois aux engagements de campagne du Président de la République et à la méthode qui a caractérisé la constitution de son programme, j'ai décidé de lancer un grand tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je veux ici remercier les 55 000 participantes et participants, qui ont permis d'en tirer de nombreux enseignements. Les attentes exprimées lors de ce tour de France de l'égalité, plus grande consultation citoyenne jamais organisée, sont venues confirmer ce que nos concitoyens et nos concitoyennes nous avaient dit pendant la campagne : l'égalité réelle sera impossible tant que la société continuera de tolérer que s'exercent, de manière aussi massive, des violences sexistes et sexuelles.

C'est d'ailleurs pour rendre visible le système des violences et non les victimes que le Gouvernement a décidé, il y a un près d'un an, de remplacer l'appellation institutionnelle de « violences faites aux femmes », utilisée jusque-là, par celle de « violences sexistes et sexuelles ». Les violences sexistes et sexuelles peuvent aussi toucher des enfants, voire des hommes, et c'est là un autre tabou que nous n'omettrons pas de lever. Je vous remercie d'avoir adopté cette appellation.

Le projet de loi dont nous allons débattre vient compléter cet arsenal. Son élaboration, vous le savez, s'est fondée sur les travaux de nombreux experts. Ce texte s'est aussi nourri des propositions issues du tour de France de l'égalité, que j'ai déjà évoqué, ce qui en fait la première grande loi citoyenne du quinquennat. Bien sûr, comme en atteste la présence engagée de la garde des sceaux, c'est en étroite collaboration avec la chancellerie, et avec l'éclairage indispensable du Conseil d'État, que la rédaction de notre texte a été finalisée. Il vous appartient désormais de l'amender pour l'enrichir, dans ce même esprit de concertation et de coopération, je l'espère.

À cet égard, je tiens à saluer le travail colossal mené par la commission des lois, sous la houlette de sa présidente, Yaël Braun-Pivet, et de sa rapporteure, Alexandra Louis, et par la délégation aux droits des femmes, dont je salue les rapporteurs, Marie-Pierre Rixain et Erwan Balanant. Je veux également remercier les députés du groupe de travail transpartisan sur la verbalisation du harcèlement de rue et tous les députés de tous les groupes qui ont défendu des amendements pour améliorer ce texte.

Plus de 270 amendements ont été étudiés en commission. Je veux y voir une marque d'intérêt et d'engagement de la part de tous les députés, car la grande majorité de ces amendements ont été proposés dans un état d'esprit constructif, quelle que soit l'opinion ou l'appartenance politique de leurs auteurs.

C'est avec fierté que nous avons pu, au nom du Gouvernement, donner un avis favorable à plusieurs de ces amendements, y compris à certains venant de l'opposition. Nous avons ainsi pu avancer dans un état d'esprit constructif, en dehors des clivages habituels, avec un but limpide et unique : lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Je crois pouvoir dire que nous en partageons toutes et tous l'objectif principal : renforcer la protection des victimes de violences sexistes et sexuelles, notamment lorsque ceux-ci sont des mineurs, et renforcer les sanctions à l'égard des auteurs de ces violences.

L'article 1er du projet de loi a pour objet d'allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, qui pourra donc désormais porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans. Cette évolution répond à une nécessité : mieux prendre en compte la difficulté qu'ont les victimes à signaler les faits, explicable notamment par les mécanismes de la mémoire traumatique. Cette évolution donnera davantage de temps à la victime pour surmonter le traumatisme avant d'engager une action en justice. C'est donc bien la traduction concrète des conclusions de la mission de consensus présidée par Flavie Flament et Jacques Calmettes, commandée sous la précédente législature et que le Président de la République, au cours de la campagne présidentielle, s'était engagé à mettre en oeuvre. La garde des sceaux ayant largement développé cette question et je n'y reviens pas davantage.

L'article 2 de notre projet de loi est la traduction de cet objectif commun : mieux protéger les enfants des violences sexuelles. Pour atteindre cet objectif, nous ne sommes pas tous d'accord sur les propositions, les formulations et les solutions à mettre en oeuvre, mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un objectif commun. La volonté du Gouvernement, c'est de poser clairement une limite d'âge à quinze ans. Pourquoi l'option de cet âge a-t-elle été choisie par le Gouvernement et par le Président de la République ?

D'abord, parce que c'est ce seuil qui a été systématiquement retenu lors des consultations citoyennes, mais aussi par la mission pluridisciplinaire installée par le Premier ministre. Ce groupe d'experts a souligné, dans son avis, que les neurosciences prouvent la fragilité psychique de l'enfant de moins de quinze ans et les dommages qui sont causés par les violences sexuelles. C'est aussi un repère pour les praticiens – je citerai, par exemple, l'âge d'hospitalisation dans les services d'adultes. Dans la loi, ensuite, le seuil de quinze ans est déjà reconnu comme une référence en matière de protection pénale des mineurs. Pour terminer, quinze ans, cela correspond à l'âge médian retenu dans les autres pays européens – quatorze ans en Allemagne ou seize ans en Espagne. Il ne serait pas tolérable, pas compréhensible non plus par l'opinion publique, que l'on choisisse de protéger les mineurs de moins de treize ans et qu'on laisse les enfants âgés de treize à quinze ans dépourvus de cette protection.

L'article 2 a donc pour objet de renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur mineurs de quinze ans. Je me réjouis de pouvoir apporter aujourd'hui plusieurs éléments de clarification. Il s'agit, pour le Gouvernement, d'un enjeu de civilisation, ni plus ni moins. L'article 2 du projet de loi en est donc la traduction juridique, en des termes qui respectent l'architecture de notre droit et les principes constitutionnels. Le Gouvernement a décidé de traduire en droit le principe de présomption et a retenu la seule solution juridiquement acceptable pour améliorer la lutte contre les infractions sexuelles commises sur des mineurs.

Nous ajoutons à l'article 222-22-1 du code pénal, relatif aux agressions sexuelles, la phrase suivante : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. » La force de cette proposition réside aussi dans son applicabilité immédiate, dès promulgation de la loi, comme la garde des sceaux l'a très bien expliqué.

Par ailleurs, cet article permet de mieux sanctionner le délit d'atteinte sexuelle, en portant les peines de cinq à sept ou dix ans d'emprisonnement, selon les cas. Là encore, je tiens à lever les interrogations que cette disposition a pu susciter : elle ne doit pas être tronquée de la partie précédente ; seule, elle n'aurait aucun sens. Non seulement elle ne conduira pas à la déqualification des viols commis sur mineurs de moins de quinze ans mais, bien au contraire, elle aura pour effet d'éviter le recours à la correctionnalisation grâce, d'une part, à la facilitation de l'établissement de la contrainte ou de la surprise par le nouvel article 222-22-1 du code pénal, et, d'autre part, au principe de la question subsidiaire obligatoire sur la qualification d'atteinte sexuelle prévue par l'article 351 du code de procédure pénal. Au cours d'un procès pour viol aggravé, s'il n'a pas été possible d'établir l'existence des éléments constitutifs de l'infraction, malgré les améliorations précitées, le juge devra désormais obligatoirement poser la question de la requalification, afin d'éviter un acquittement. Notre objectif est bien là : éviter les acquittements d'agresseurs sexuels ; trouver, par tous les moyens, une manière de les faire condamner à chaque fois.

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