Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du mardi 27 mars 2018 à 15h00
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour débattre de la proposition de loi transposant la directive européenne relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, souvent appelée, de façon très réductrice à mes yeux, « directive secret des affaires ».

Qu'il me soit permis ici de revenir, après M. le rapporteur Raphaël Gauvain, par ailleurs auteur de la proposition de loi, et Mme la rapporteure pour avis Christine Hennion, dont je salue le travail, sur le contexte qui a vu naître la directive européenne susmentionnée et sur les raisons de son élaboration.

Au mois de novembre 2013, Michel Barnier, alors commissaire européen en charge du marché intérieur, des services financiers et de la propriété intellectuelle, présente un projet de directive – ce sera d'ailleurs le dernier texte législatif qu'il présentera. Ce faisant, il agit dans la continuité de ce qu'il a déjà accompli en faveur de l'innovation ainsi que de la recherche et développement au sein des entreprises européennes, par exemple en parachevant la mise en place du brevet unitaire européen, en proposant des mesures de lutte contre la contrefaçon et en présentant un plan de défense et de promotion de la propriété intellectuelle.

Parce que ce commissaire européen sait que, dans les processus de recherche, d'innovation et de création, de très nombreuses informations émergent et circulent avant d'être compilées et développées, que les connaissances doivent circuler dans un cadre de confidentialité et de confiance – qui est ici le maître mot – et qu'introduire un climat de confiance entre entreprises, entre centres de recherche, entre universités et entre laboratoires suppose de disposer d'un cadre juridique global, commun et harmonisé, il propose un instrument européen législatif d'identification et de protection des savoir-faire professionnels.

Pourquoi protéger les savoir-faire professionnels et autres informations commerciales non divulguées dans le cadre d'un plan européen ? Parce que le morcellement juridique européen a eu, pour les entreprises européennes, des effets pervers tels que des distorsions de concurrence et une instabilité juridique, ce qui nuit au bon fonctionnement du marché intérieur ainsi qu'à la capacité de recherche, d'innovation et de compétitivité de nos entreprises.

Il s'agit de proposer un socle de confiance et de sécurisation des échanges d'informations confidentielles et de savoir-faire, afin d'améliorer la coopération intra-européenne et d'assurer son bon fonctionnement. L'Union européenne ne pouvait pas demeurer plus longtemps le seul espace économique régional dépourvu d'une convergence juridique minimale et d'une protection juridique uniforme. Les grands acteurs concurrentiels qui nous entourent, tels que la Chine, les États-Unis et le Japon, disposent de cadres législatifs spécifiques permettant de parer aux atteintes portées aux savoir-faire professionnels et aux autres informations sensibles.

Le texte qui nous est soumis définit bien – je n'y reviendrai pas en détail – les cas où l'obtention, l'utilisation et la divulgation de telles informations sont considérées comme illicites. Corrélativement, il définit des comportements qui devront toujours être considérés comme licites. Ce point a été abondamment développé par Mme la garde des sceaux, M. le rapporteur et Mme la rapporteure pour avis.

Mais revenons à l'essentiel. Il s'agit d'un texte qui vise à protéger les entreprises européennes, nos entreprises françaises, en particulier leur patrimoine immatériel, c'est-à-dire ce qui a de la valeur, le fruit de leurs recherches, de leurs innovations, de leurs inventions et de leurs savoir-faire, bref, tout ce qui leur permet d'avancer en étant innovantes et toujours plus compétitives.

Certains de ces savoir-faire, de ces compétences et de ces découvertes pourront faire l'objet d'un dépôt de brevet – beaucoup, certainement. Néanmoins – telle est la réalité du monde de l'entreprise à notre époque, il faut en être conscient – , beaucoup de ces connaissances, de ces savoir-faire n'ont pas vocation à être brevetés et introduits dans le domaine public.

Comme vous l'avez indiqué, madame la garde des sceaux, ce sont avant tout nos PME, nos start-up et nos entreprises extraordinairement innovantes dont il faut en priorité préserver les processus de recherche et de création de toute appropriation illicite, de tout vol, de tout pillage et de tout agissement illégal, afin de construire ce socle de confiance dont l'économie de la connaissance a tant besoin.

Le rapporteur Raphaël Gauvain l'a dit, la directive européenne relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites a été très largement approuvée au Parlement européen, par une majorité de plus de 80 % – donc nettement transpartisane. Vous permettrez à la rapporteure du projet de directive que je fus au Parlement européen, qui travailla dessus pendant plus de dix-huit mois, de tirer cette conclusion d'une si large, et donc transpartisane, majorité d'approbation : nous sommes parvenus à un texte équilibré après avoir substantiellement travaillé le projet de directive et l'avoir à certains égards réécrit, modifié, enrichi et amélioré par notre travail collectif.

Le texte ne menace en rien – il s'agit de préoccupations fort légitimes qui ont souvent été entendues et relayées au Parlement européen – la liberté d'expression ni la liberté d'information et celle des médias. Il ne menace en rien le travail des journalistes, et plus particulièrement celui des journalistes d'investigation, ni l'exercice de la mission – ô combien importante dans nos sociétés démocratiques – des lanceurs d'alerte.

Si l'article 1er de la directive européenne fait très précisément référence, à la suite de plusieurs considérants, à l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, c'est grâce au Parlement européen. Ces précisions, cette mise en lumière dans l'article 1er, donc dès le début du texte de la directive européenne, a semblé aux membres du Parlement européen constituer une bonne réponse aux inquiétudes exprimées, dont certaines étaient légitimes et d'autres le fruit de quelques incompréhensions, voire de manipulations.

Je livrerai même un secret de fabrication qui n'a pas davantage vocation à être protégé : j'ai moi-même, en qualité de rapporteure du Parlement européen, écrit le nouvel article 1er, qui consacre de façon fort précise et tout à fait solennelle la référence à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à l'exercice du droit à la liberté d'information et d'expression.

C'est également à l'initiative d'un collègue parlementaire italien, membre du groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, avec lequel j'ai très étroitement collaboré, que l'article 1er de la directive comporte des dispositions préservant les droits des travailleurs, par exemple en termes de mobilité, à faire valoir leur expérience et leurs compétences acquises dans le cadre de leurs fonctions.

Toutes ces dispositions fort importantes ont été, encore une fois, massivement approuvées par une large majorité des membres du Parlement de Strasbourg, attestant bien, loin de toutes les soi-disant connivences et complicités avec je ne sais quelles puissances d'argent, que le co-législateur européen a su trouver le juste équilibre entre la préservation des intérêts économiques de nos entreprises – qui impose de leur permettre de poursuivre et même d'amplifier leurs recherches, leurs innovations et leurs créations dans un cadre sécurisé et de confiance – et celle des libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d'information et d'expression, si chère à nos coeurs.

La volonté de préserver cet équilibre subtil mais néanmoins solidement écrit dans le texte européen a également amené à réécrire substantiellement les articles 4 et 5 du projet initial de directive européenne. Les parlementaires européens ont souhaité l'améliorer, s'agissant notamment des journalistes, des lanceurs d'alerte mais également des travailleurs et de leurs représentants, afin de protéger l'intérêt général.

La proposition de loi présentée par le rapporteur Raphaël Gauvain est fidèle à l'esprit et à la lettre de la directive européenne. Le travail des deux commissions de l'Assemblée saisies est venu préciser et améliorer, à certains égards, le dispositif proposé. Il nous semble que le texte va dans le bon sens. Il est juste et équilibré. Il concilie des intérêts et des préoccupations qui peuvent sembler de prime abord contradictoires, mais dont je suis certaine qu'ils peuvent être appréhendés de façon complémentaire, car une société qui veut créer et innover et une économie de la connaissance qui veut produire toujours plus de création et d'innovation, donc de fruits au profit du bien-être collectif, doivent également assurer le plein épanouissement de la liberté d'information et d'expression.

Rien de tout cela n'est incompatible. On peut très bien, dans un texte législatif européen et français, introduire cette complémentarité. C'est la raison pour laquelle les membres du groupe Les Républicains voteront la proposition de loi.

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