Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du mercredi 26 juillet 2017 à 15h00
Hommage à la mémoire de corinne erhel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy, président :

nous sommes réunis aujourd'hui pour rendre un hommage solennel à Corinne Erhel, députée des Côtes-d'Armor, dont le travail réalisé dans cette maison de la République demeurera un exemple, dont la présence militante continuera à marquer, je le sais, nombre d'entre vous qui avez eu l'occasion de croiser sa route.

Nul plus que Corinne Erhel n'aurait eu de légitimité à siéger dans cet hémicycle. Nul, sans doute, n'aurait eu plus sa place au sein de cette majorité parlementaire qu'elle avait tant appelée de ses voeux, qu'elle avait tant contribué à construire, par la pédagogie de ses choix, par son engagement inlassable aux côtés d'Emmanuel Macron, au cours de la campagne présidentielle du printemps dernier.

Cette campagne, Corinne lui a tout donné, tout sacrifié. Elle lui a donné son talent, son temps, sa force de travail – et elle était impressionnante, cette force ! Elle lui a sacrifié les moments intimes indispensables à la vie, les temps de respiration et de repos sur ses terres bretonnes. Elle y a consacré tant de forces, toutes ses forces. Jusqu'à ce 5 mai 2017, à Plouisy, près de Guingamp, dans les Côtes-d'Armor. Cette date, cette ville, resteront à jamais gravées dans ma mémoire.

Alors que nous vivions le dernier grand moment de la campagne présidentielle, que nous venions de vivre une aventure collective extraordinaire, notre collègue et amie Corinne Erhel nous quittait à tout juste cinquante ans. La cruauté du destin ne lui a pas permis de vivre une victoire qui lui doit, pourtant, tellement. Elle ne lui permet pas aujourd'hui de participer à la mise en oeuvre d'un projet qu'elle avait pourtant contribué à construire et à enrichir de son savoir et de son expérience. C'est donc désormais à nous qu'il revient d'être collectivement dignes de la mémoire de Corinne.

Pour celles et ceux qui n'ont pas eu la chance et l'honneur de la fréquenter, permettez-moi quelques rappels. Fille unique d'une famille finistérienne, Corinne est née le 3 février 1967 à Quimper. Diplômée de l'Institut des hautes études de droit rural et d'économie agricole, avec une spécialisation en aménagement du territoire, elle s'est immédiatement mise au service d'un pays qu'elle aimait tant, et qui lui a tant donné en retour. Son premier engagement professionnel s'est fait au sein des services de la Charte intercommunale du Trégor rural : elle y fut chargée de l'aménagement et du développement du territoire de l'un des neuf pays historiques de Bretagne – la Bretagne, qu'elle ne cessera de défendre tout au long de ses différents engagements.

Adhérente au Parti socialiste depuis 1997, elle s'engagera aux côtés d'Alain Gouriou, alors député-maire de la ville de Lannion, en devenant sa collaboratrice parlementaire. En 2004, elle sera élue pour la première fois aux élections régionales, sur la liste conduite par Jean-Yves Le Drian. En 2007, les électrices et les électeurs la choisissent pour succéder à Alain Gouriou : la 5e circonscription des Côtes-d'Armor envoie ainsi sa première femme députée à l'Assemblée nationale.

C'est à ce moment que j'ai connu Corinne : nous avions lié les liens si particuliers, dont beaucoup d'entre vous découvrent la singularité aujourd'hui, qui unissent celles et ceux qui deviennent, pour la première fois, des députés de la nation. Le hasard des implantations industrielles nous amènera, par ailleurs, à travailler rapidement et régulièrement ensemble à la préservation des intérêts des salariés des sites Alcatel de Lannion et Orvault, situés dans nos circonscriptions respectives.

Au sein de l'Assemblée nationale, Corinne est très vite devenue une experte dans les questions liées au numérique et aux télécommunications. Elle en maîtrisait les aspects techniques, la dimension technologique, non par formation scientifique, mais par goût. Le mot est trop faible : je crois qu'il conviendrait de dire par passion – par passion, oui, pour l'innovation.

Le numérique, Corinne en percevait les implications en termes de développement économique et d'emplois. Mais elle en mesurait également, d'un point de vue authentiquement politique, les enjeux en termes de pratiques sociales, de démocratie et d'éthique. Son expertise aura profondément marqué les deux législatures au cours desquelles elle a siégé dans cet hémicycle. Quiconque, parmi vous, aura à travailler sur le numérique pourra s'inspirer des travaux auxquels elle a contribué, dans une approche transpartisane.

Corinne Erhel fut ainsi l'auteure de nombreux rapports d'information. Dès 2008, elle travailla avec Jean Dionis du Séjour sur la mise en application de la loi sur la confiance dans l'économie numérique. En avril 2011, elle collabora avec Laure de La Raudière sur la question de la neutralité de l'internet et des réseaux. En décembre 2011, elle appela l'attention sur la question de la fracture numérique, question essentielle pour la cohésion sociale comme pour la cohésion territoriale. Réélue en 2012, elle poursuivit son travail en devenant rapporteure pour avis sur les crédits relatifs aux communications électroniques et à l'économie numérique dans le projet de loi de finances.

Elle rédigera encore, lors de son second mandat, de nombreux rapports : en février 2013, sur la régulation de la filière télécom, puis en mai 2014, sur le développement de l'économie numérique française. En 2015, elle avait participé à la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l'âge du numérique. Corinne puisait, en effet, dans son engagement une conviction démocratique sans faille et un sens aigu de l'égalité. Elle voulait contribuer à faire bénéficier l'ensemble de la société des opportunités de développement offertes par le numérique.

Européenne convaincue, elle s'est battue sans relâche en faveur des dossiers du numérique et des télécommunications à l'échelon de l'Union européenne afin de permettre à notre continent de se saisir de ces enjeux et d'en tirer profit. Réformiste assumée, elle a toujours privilégié l'intérêt collectif et ses valeurs aux structures partisanes. Véritable sociale-démocrate, elle a toujours privilégié le consensus et le dialogue social pour convaincre, sans jamais tomber dans le monde de l'inertie, des conservatismes et encore moins de l'impuissance. Et pour cela, en sociale-démocrate assumée, elle portait la conscience de la nécessité de réformer, d'adapter, d'innover – l'innovation, encore et toujours !

En 2015, Corinne Erhel sera logiquement nommée vice-présidente de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. C'est à l'occasion de ces débats qu'elle nouera une relation de travail, de confiance et d'amitié avec Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie. Dès le mois d'avril 2016, elle le soutiendra, à l'occasion du lancement du mouvement En Marche ! Avec Richard Ferrand, Christophe Castaner, Arnaud Leroy, Stéphane Travert et Jean-Jacques Bridey, elle fit partie des premiers députés à s'engager aux côtés du ministre de l'économie de l'époque.

C'est ainsi qu'elle consacra son énergie à la recomposition politique dont notre assemblée est aujourd'hui l'illustration. Elle l'a fait à sa manière : sans se mettre en avant, sans compter sa peine, jusqu'au bout. Mais aussi avec une gentillesse, une humanité qui ont marqué, je le sais, toutes celles et tous ceux qui l'ont côtoyée.

Nous étions, comme beaucoup sur ces bancs, tous deux amoureux et défenseurs de la Bretagne. Corinne illustrait la complémentarité qui contribue à un équilibre personnel, entre un profond attachement à la France et une fidélité à ses racines. Elle savait, elle démontrait que la richesse de notre pays tient aussi dans le respect et la capacité à cultiver des identités régionales fortes et ouvertes.

Je ne peux évidemment oublier cet autre combat qui nous rapprochait et que beaucoup d'entre vous partagent : celui de l'environnement. Corinne Erhel était en première ligne sur la question de l'extraction des sables marins, interpellant régulièrement les pouvoirs publics, y compris le ministre de l'économie de l'époque, sur ses dangers pour l'environnement, la biodiversité et la préservation du littoral. Elle connaissait et défendait ce joyau naturel qu'est la Côte de granit rose, cette roche si particulière, si unique, dont elle symbolisait si fidèlement, en définitive, par son travail, sa manière d'être et sa présence, à la fois la force et la fragilité.

Intègre, pragmatique, forte de ses convictions, bienveillante, volontaire, passionnée et attentive aux autres, Corinne restera à jamais un exemple pour nous tous. Il nous incombe désormais de préserver son héritage et de poursuivre son action. À vous sa famille, mais aussi à ses proches, ses amis et ses anciens collègues qui se joignent à nous par la pensée, je veux témoigner au nom de tous les membres de l'Assemblée nationale comme en mon nom personnel solidarité, amitié et profonde sympathie.

La parole est à M. le Premier ministre.

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