Intervention de Sébastien Huyghe

Séance en hémicycle du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette réforme, on l'a dit bien avant moi, était indispensable. Il était nécessaire, pour la compétitivité de notre droit, de mettre la jurisprudence en adéquation avec des textes qui ont bien vieilli et, finalement, avec notre pratique. Il y allait de la défense de notre système de droit continental, plus protecteur que les autres systèmes, notamment celui du droit anglo-saxon.

Pour ma part, je regrette que le texte accorde une place trop grande à la jurisprudence, et nous aurions préféré qu'un certain nombre de dispositions soient plus précises. Le droit continental repose en effet sur trois piliers : la loi, démocratiquement votée par le Parlement ; le juge, qui tranche les conflits entre les parties – et il me semble très important de limiter son rôle à cette tâche – ; l'acte authentique, enfin, qui scelle l'accord entre les parties par l'apposition du sceau de l'État.

Le projet de loi nous inspire plusieurs regrets. Le premier, évoqué par certains orateurs avant moi, concerne le recours aux ordonnances. Comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux, les dispositions de ce texte sont déjà appliquées depuis un an et demi, ce qui laisse très peu de marges de manoeuvre au Parlement : comment modifier des dispositions déjà appliquées depuis quelque temps ? Les professionnels du droit, notamment les magistrats, s'en sont emparés, et elles sont enseignées dans nos universités. Dans ces conditions, le Parlement n'a pu modifier le texte qu'à la marge.

Cela me permet de vous faire part, madame la garde des sceaux, de notre inquiétude quant au recours fréquent du Gouvernement aux ordonnances. On nous annonce que le droit des transports sera lui aussi modifié par ordonnances, et une habilitation à légiférer par cette voie a été donnée au Gouvernement pour réformer un droit fondamental, celui de l'informatique et des libertés, lequel nécessitait à mon sens, compte tenu de l'importance qu'il revêt pour les libertés individuelles, un débat parlementaire. Malheureusement, nous n'aurons que le droit de ratifier des ordonnances qui, lorsque nous aurons à le faire, seront déjà appliquées depuis un certain temps.

Ces choix participent aussi de l'affaiblissement du Parlement, et vos déclarations hier, lors des questions au Gouvernement, ne sont pas de nature à nous rassurer quant au respect que vous avez pour lui. Vous avez en effet distingué entre les amendements de qualité et ceux qui, à vos yeux, ne le seraient pas. C'est, là aussi, un motif d'inquiétude pour nous, relativement à la considération et à la place reconnue au Parlement démocratiquement élu.

Sur le fond du présent texte, nous nous réjouissons de l'accord trouvé en commission mixte paritaire, notamment sur notre proposition de rendre caduque l'offre contractuelle en cas de décès de son destinataire ; mais, comme dans toute négociation, il faut faire des compromis. Ce compromis a été fait, puisqu'il était nécessaire pour aboutir à un accord, mais nous regrettons qu'il soit intervenu sur le maintien du pouvoir de révision du contrat confié au juge dans le cadre du nouveau régime de l'imprévision. Cette disposition constitue, à nos yeux, une atteinte trop importante au principe de force obligatoire des contrats ainsi qu'à celui de la liberté contractuelle ; elle donne trop de pouvoir au juge au sein d'une relation strictement contractuelle entre les parties. De ce fait, elle constitue une concession bien trop importante au droit anglo-saxon, puisque trop de latitude sera laissée au magistrat, donc à la jurisprudence, laquelle prendra le pas sur le droit positif.

Nous regrettons donc ce choix, mais comme le présent texte est, dans sa quasi-globalité, nécessaire et indispensable pour le fonctionnement juridique des obligations, nous le voterons bien évidemment avec enthousiasme, …

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