Intervention de Sacha Houlié

Séance en hémicycle du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord saluer la qualité des travaux menés avec le rapporteur du Sénat, François Pillet. L'état d'esprit positif dans lequel ils se sont déroulés nous permet aujourd'hui de vous proposer un texte équilibré.

La commission mixte paritaire est en effet parvenue à une solution de compromis sur les trois points – en dehors des aspects rédactionnels – qui restaient en discussion : la caducité de l'offre à la suite du décès de son destinataire, la définition des clauses abusives dans un contrat d'adhésion, et, enfin, l'une des dispositions les plus emblématiques du projet de loi dont nous avons débattu, à savoir la révision judiciaire en cas d'imprévision.

Sur la caducité de l'offre, tout d'abord, un accord a été trouvé entre les deux chambres – vous le savez déjà, puisque la commission mixte paritaire a été un succès. À l'article 4, le Sénat souhaitait rendre l'offre caduque en cas de décès de son destinataire, tandis que l'Assemblée nationale préférait limiter la caducité au décès de son auteur. Considérant que le maintien de l'offre pourrait porter préjudice à son auteur, qui ne l'aurait pas forcément maintenue dans les mêmes conditions pour les héritiers que pour le destinataire initial, et que les parties seraient obligées de s'en remettre aux tribunaux en cas de litige ; compte tenu par ailleurs de l'incertitude entourant le statut juridique de l'offre, nous vous proposons, chers collègues, par souci de parvenir à à un compromis et suivant ainsi l'appréciation de nos collègues sénateurs, de prévoir également la caducité de l'offre en cas de décès de son destinataire.

S'agissant, ensuite, des contrats d'adhésion, le Sénat souhaitait, à l'article 7, limiter l'application du dispositif des clauses abusives aux seules clauses non négociables. Pour sa part, l'Assemblée nationale, désireuse de protéger les parties les plus faibles, proposait, en première comme en deuxième lecture, d'étendre cette possibilité à toutes les clauses du contrat.

Toutefois, dans la mesure où l'article 2 – sur lequel les deux chambres étaient parvenues à un vote conforme dès la première lecture – fait de l'absence de négociabilité le critère essentiel de la définition du contrat d'adhésion, il nous apparaît possible de limiter l'application du dispositif des clauses abusives aux seules clauses non négociables. On peut d'ailleurs anticiper que les juges en auraient ainsi décidé, ce qui est argument supplémentaire pour que l'Assemblée nationale, par pragmatisme, consente à ce nouveau compromis.

En revanche, c'est le texte de l'Assemblée qui a été retenu pour l'article 8, relatif au régime de l'imprévision, l'une des trois difficultés majeures que posaient initialement l'ordonnance, avec l'abus de dépendance – qu'il ne fallait pas limiter à la seule dépendance économique – et le champ de l'obligation d'information pré-contractuelle.

L'introduction de l'imprévision dans notre droit est en effet un gros morceau, une véritable novation désormais inscrite à l'article 1195 de notre code civil. Or sur l'opportunité de conférer au juge le pouvoir de révision du contrat à la demande d'une ou de deux des parties, le désaccord a été – pourquoi le cacher ? – majeur. Nous avons négocié des versions successives sans parvenir immédiatement à trouver un compromis avec le Sénat. Cependant, comme pour les clauses abusives ou la caducité de l'offre, la réunion de la CMP a permis de tracer un chemin, de co-construire une solution équilibrée.

Le Sénat jugeait le pouvoir de révision judiciaire à la demande d'une seule des parties contraire à la sécurité juridique et estimait qu'il serait source d'un nouveau contentieux. Il souhaitait donc qu'un tel pouvoir soit limité au seul cas où les parties tomberaient toutes deux d'accord pour en faire la commune demande au juge. Nous considérions pour notre part que donner à une seule des deux parties le droit d'en faire la demande est justement ce qui garantirait l'efficacité du régime d'imprévision.

En outre, nous estimions qu'il fallait relativiser l'atteinte portée à la force obligatoire du contrat. D'abord, l'article 1195 du code civil, comme de nombreuses autres dispositions de cette réforme, est supplétif de volonté, c'est-à-dire que les parties sont libre d'en écarter l'application, totalement ou partiellement. Ensuite, les pouvoirs du juge sont strictement encadrés par les principes de la procédure civile : il ne peut procéder d'office à la révision du contrat et doit attendre que l'une des parties le sollicite. Enfin, le risque de révision du contrat par le juge constitue un levier pour inciter les parties à renégocier le contrat entre elles, ce qui était un objectif poursuivi par le projet de loi. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons écarté la solution de compromis consistant à rendre la négociation préalable obligatoire et nous n'avons pas cherché à définir les contours de cette négociation.

Par ailleurs, conditionner la révision judiciaire à l'accord des deux parties pourrait aboutir à bloquer toute tentative de renégociation, la partie « gagnante », celle qui bénéficie de l'imprévision, n'ayant pas forcément intérêt à négocier.

Au vu des difficultés à conduire de façon loyale, et dans des conditions incontestables, la négociation préalable, nous avons donc jugé préférable qu'une seule des parties puisse saisir le juge. C'est même la seule sanction de l'incitation à la négociation posée à l'article 1195. La rédaction retenue pour l'article 8 est donc celle que l'Assemblée nationale avait adoptée en deuxième lecture.

Au total, le texte issu de la commission mixte paritaire a permis de confirmer les objectifs de l'Assemblée nationale : défendre les parties les plus faibles et affermir la justice contractuelle, tout en garantissant l'attractivité du droit des contrats, ce qui faisait partie des intentions initiales du projet de loi. Vous l'aurez donc compris : en tant que rapporteur, les conclusions de la commission mixte paritaire me satisfont pleinement, et c'est la raison pour laquelle je vous invite à voter ce texte.

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