Intervention de Sacha Houlié

Séance en hémicycle du mardi 13 mars 2018 à 15h00
Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne prétendrai pas avoir une connaissance aussi aigüe du dossier néo-calédonien que l'ensemble des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune. Pour tout vous dire, le 26 juin 1988, je n'étais pas né !

Ce que je vous dirai, c'est ce qui m'a été raconté par les Premiers ministres qui se sont succédé sur ce dossier, et par leurs collaborateurs. C'est là en effet une histoire de Premiers ministres. Deux d'entre eux viennent de s'exprimer à cette tribune, mais il convient de les citer tous : Édouard Philippe, Manuel Valls, Lionel Jospin et surtout Michel Rocard.

L'importance de ce dernier dans ce dossier m'a été racontée par son ami, le président de la région Île-de-France Jean-Paul Huchon. Je le dis par respect pour lui autant que par souci de la réalité. C'était un matin de novembre, nous étudiions, au sein de la mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, la situation néo-calédonienne ; il m'a alors raconté quelques anecdotes que je voudrais partager avec vous, car elles disent beaucoup d'un élément capital : la confiance.

Je veux parler de la confiance entre les adversaires d'hier, pour rétablir la paix civile, la confiance dans le présent, pour parvenir à des accords : ceux de Matignon puis celui de Nouméa. Ce projet de loi organique, qui permettra d'organiser le scrutin et de tenir compte de son résultat, en est le prolongement. Il s'agit avant tout de la confiance entre des hommes, de grands hommes, née de longues nuits de discussion, dans la situation confuse et dramatique de 1988. Il s'agit d'une confiance construite pas à pas sur les braises de douleurs et de réconciliations, à la faveur d'une trêve marquée par la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

Ces nuits, il y était question de sortir de la guerre civile, d'assurer la gouvernance de la Nouvelle-Calédonie et de relancer son développement sans pour autant perdre le lien avec ce que nous appelons « la métropole » mais que, outre-mer, on nomme plus souvent « la France hexagonale ». Ces nuits de palabre, celui qui était le directeur de cabinet du premier ministre – d'autres les ont vécues comme conseiller – y a vu des leaders indépendantistes et loyalistes quitter leurs chaussures pour escalader un canapé, établir une carte sommaire sur un papier à peine accroché et y dessiner les contours du futur, les prémices d'une prospérité qui demeure encore à garantir.

Cette confiance s'est traduite par les premiers accords, ceux de Matignon en juin 1988, prescrivant un référendum, posant la question des listes électorales et inscrivant la nécessité du partage des richesses, au premier rang desquelles l'exploitation du nickel mais également l'administration de la Nouvelle-Calédonie et la présence des Kanaks en son sein – des points de négociation difficiles sur lesquels le Premier ministre doit parfois convaincre le Président et obtenir des arbitrages de sa part.

Dix ans plus tard, une autre étape était franchie : c'était l'Accord de Nouméa. Dans un préambule devenu un grand texte, nous y reconnaissions ensemble les ombres et les lumières de la période coloniale. Ces accords, toujours bâtis sur la confiance entre les hommes, permettaient, entre autres, de jeter les fondements d'une citoyenneté calédonienne au sein de la nationalité française. J'ai dit « entre autres », mais c'est essentiel : ce fut d'abord la double reconnaissance du peuple kanak et des populations d'Asie, du Pacifique et de France hexagonale arrivées en Calédonie lors de la période coloniale ; ce fut l'établissement d'une organisation politique et territoriale propre à la Nouvelle-Calédonie et inscrite dans notre Constitution, composée de provinces, d'un congrès, d'un sénat coutumier, d'un gouvernement et de communes ; ce fut l'occasion d'organiser le transfert de la plupart des compétences autres que régaliennes – la question qui nous occupe aujourd'hui ; et ce fut enfin l'étape pour sonder l'avancement de la paix et de la construction d'une société commune.

Un nouveau rendez-vous fut pris : au terme d'une période de vingt ans – nous y arrivons cette année – il faudrait sortir de l'Accord de Nouméa, sortir du passé pour entrer dans l'avenir et interroger les Néo-Calédoniens sur « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité », leur approbation emportant l'accès à la pleine souveraineté.

Bien sûr, et cela été dit, notamment par les collègues qui viennent de cette région du monde, ce beau récit ne cache pas les dures réalités. Elles sont souvent, même exacerbées, similaires à celles que nous connaissons en France hexagonale, qu'il s'agisse des difficultés d'urbanisation, des problèmes de sécurité ou d'aménagement des quartiers, des inégalités criantes en matière d'éducation ou d'accès aux métiers, aux savoirs, à la culture – et je n'oublie pas les différences de revenus, la pauvreté et la misère sociale qui ont aussi été évoquées.

Les chantiers en cours sont nombreux. Ils ont été évoqués, tant dans cet hémicycle qu'en commission. Les difficultés que j'ai évoquées rendent la tâche ardue, à l'heure où il nous appartient de nous assurer du bon déroulement de la consultation. Celle-ci sera scrutée, parce que d'aucuns voudraient la dupliquer. Ils voudraient calquer la situation néo-calédonienne sur des situations plus proches ou plus lointaines, qu'ils voudraient croire identiques alors qu'elles ne le sont pas. Le statut de la Nouvelle-Calédonie est unique, les dispositions constitutionnelles dont elle bénéficie en attestent.

La question qui se pose est donc celle de l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Sa particularité est de jouir à ce stade d'une autonomie inégalée en république française. Nous avons ainsi évoqué en commission la non-application de la loi de 1905, l'existence d'un droit coutumier et la reconnaissance de compétences diplomatiques. Mais deux autres particularités sont notables : faut-il encore rappeler que la Nouvelle-Calédonie fut l'une des seules colonies de peuplement français ou encore qu'elle est le seul territoire ultramarin où la population d'origine n'est pas majoritaire ? Ces caractéristiques justifient à elles seules un traitement spécifique et une attention particulière.

J'en reviens à la confiance, puisque j'ai dit qu'elle était indispensable. Elle est l'expression même du XVIe Comité des signataires du 2 novembre 2017 réuni par M. le Premier ministre à Matignon. C'est là qu'ils ont exprimé leur « volonté de régler la problématique de l'absence de Calédoniens relevant du corps référendaire sur la liste électorale pour la consultation » et convenu « que le règlement de cette question permettra de garantir la légitimité et la sincérité du résultat du scrutin ». C'est là qu'a été réglé le sort de 10 900 électeurs qui, natifs, n'auraient sans notre intervention pas pu participer au scrutin – je dis « notre intervention » alors que c'est avant tout la conséquence de l'accord conclu à Matignon.

Tous s'accordent sur la nécessité de modifier la loi organique pour y inscrire cet accord politique qui implique la coexistence de trois corps électoraux : la liste électorale générale, la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province, et la liste électorale spéciale à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté.

Je ne crois pas utile de revenir sur les mesures techniques qui ont déjà été évoquées. Elles sont l'expression de la confiance dont je vous parle et la traduction de cet accord politique. Je souhaite que nous soyons nous, collectivement, à la hauteur de cette confiance pour participer, à notre niveau, à cette chaîne tressée comme un long fil d'Ariane depuis maintenant trente ans.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.