Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du mardi 13 mars 2018 à 15h00
Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuel Valls, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, madame la présidente de la commission des lois, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie, c'est d'abord, bien sûr, l'histoire d'un peuple, le peuple premier, le peuple kanak, qui a sa source dans la nuit des temps. C'est aussi notre histoire, tumultueuse, l'histoire de la France : le début de la colonisation en 1853, et le bagne pour les prisonniers de droit commun et pour les déportés de la Commune, dont les noms nous sont connus : Louise Michel, Jean Allemane et Henri Rochefort, entre autres. Ce sont 20 000 déportés, qui changeront totalement l'histoire de ce territoire ; ce sont les grandes révoltes des Kanaks, dans les années 1870 – notamment sous la conduite du grand chef Ataï – , contre l'invasion de leurs terres par les colons et leur bétail. C'est l'homme kanak, qui a failli disparaître dans les années 1900, par découragement ou désespoir. C'est, en 1917, la participation volontaire, ou forcée, des Calédoniens – parmi lesquels des Kanaks – au premier conflit mondial. C'est le bataillon du Pacifique, qui s'est engagé aux côtés des forces libres au cours du deuxième conflit mondial. C'est la montée en puissance, après guerre, de la revendication indépendantiste dans les organisations syndicales et les partis politiques, avec la création du FLNKS, le Front de libération nationale kanak et socialiste. C'est le rôle, ne l'oublions pas, des églises, catholique et protestante. Ce sont les événements des années quatre-vingts, les morts et la violence, jusqu'en mai 1988, entre les deux tours de l'élection présidentielle, avec la prise d'otages d'Ouvéa, qui fit vingt et un morts, dont deux militaires et dix-neuf Kanaks. Ce sont aussi les accords de Matignon-Oudinot en 1988, sous l'impulsion de Michel Rocard, au terme d'une mission animée par Christian Blanc, qui s'était rendue en Nouvelle-Calédonie, et c'est la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. C'est enfin l'assassinat, un an plus tard, de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné.

Tout cela fait partie de notre histoire : certains d'entre nous l'ont vécue, à commencer par celui qui fut collaborateur de Michel Rocard puis de Lionel Jospin, lequel signa les accords de Nouméa dix ans plus tard, en 1998. Chacun d'entre nous est tenu par cette histoire. Le préambule de l'Accord de Nouméa demeure, et ses mots, forts, doivent être rappelés en permanence : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun. »

Chacun d'entre nous, disais-je, est tenu par cette histoire et par ces accords, que tous les présidents de la République et tous les chefs de Gouvernement sont tenus de les mettre en oeuvre ; aussi nous vous remercions, monsieur le Premier ministre, de le faire brillamment et avec engagement. Ces trente ans de paix, de développement et de rééquilibrage, il faut en permanence les rappeler. Bien sûr, beaucoup reste à faire face aux inégalités et à l'insécurité, comme le rappelait Philippe Dunnoyer cet après-midi lors des questions au Gouvernement, de même que sur les questions d'économie et sur l'avenir du nickel. Mais je veux citer ces mots forts, que Philippe Gomès rappelle lui-même souvent, d'Élie Poigoune : « Nous, Kanaks, nous avons retrouvé notre dignité. Nous avons retrouvé la plus grande partie de nos terres volées. [… ] Des progrès extraordinaires ont été réalisés pour nous rendre notre dignité [… ]. »

La France doit être fière de ce qui a été accompli. D'ailleurs, le regard que l'on porte sur elle en Océanie a changé : il y a trente ans, c'étaient les essais nucléaires dans le Pacifique et l'épisode funeste du Rainbow Warrior. On voulait alors voir partir la France. Aujourd'hui il y a une demande de France, sous une forme ou sous une autre, dans cette région.

Il a fallu vingt ans pour préparer un référendum ; nous y sommes. Le contexte général ayant été posé par M. le Premier ministre, je veux évoquer le projet de loi organique que nous sommes appelés à examiner. Je tiens à remercier Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, qui reviendront sur le contexte : représentants de ce territoire, ils incarnent tous deux la volonté de dialogue et de paix indispensable à son avenir. Le présent texte participe de la volonté forte de toutes les parties, partisans de l'indépendance ou tenants du lien avec la France, de faire en sorte que la consultation soit claire, ouverte et sincère, à travers une question dont vous avez rappelé, monsieur le Premier ministre, le caractère binaire. Aucune contestation, aucun doute ne doit pouvoir s'exprimer au soir des résultats : la responsabilité en incombera à l'État et au Haut-commissaire qui est sur sur place, Thierry Lataste, dont nous connaissons l'engagement pour la Nouvelle-Calédonie.

L'Accord de Nouméa dispose, noir sur blanc, que les populations intéressées à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie doivent décider de son avenir. Pour cela, il faut que chaque Calédonien admis à voter soit en mesure de le faire. Depuis plusieurs années, les forces politiques locales réunies au sein du Comité des signataires, sous l'égide du Premier ministre, s'y attachent. C'était déjà le sens de la loi organique du 5 août 2015, qui a ouvert la voie à l'inscription d'office de plusieurs catégories de non-inscrits sur la liste électorale spéciale à la consultation.

Comme vous le savez, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie se singularise, au sein de la République française, par la coexistence de trois listes électorales dont le contenu varie, aux termes de la Constitution et de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : la liste électorale générale, dressée conformément aux règles de droit commun et utilisée pour les référendums et les élections à caractère national – municipales, législatives et européennes – ; la liste électorale spéciale qui, formée pour l'élection du Congrès et des assemblées de province, rassemble les détenteurs de la citoyenneté calédonienne – conformément à l'Accord de Nouméa, lequel reconnaît un peuple premier et une citoyenneté calédonienne – ; la liste électorale spéciale à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté, enfin, qui accueille les « populations intéressées » à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie dans la perspective d'une indépendance du territoire. Le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est aussi sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du Congrès et des assemblées de province.

Lors du XVIe Comité des signataires en novembre dernier, il a été décidé, sous votre responsabilité, monsieur le Premier ministre, de poursuivre et de parfaire les inscriptions d'office. Que personne ne soit écarté : telle est la volonté des signataires. Nous pouvons nous féliciter de cet esprit de responsabilité, et devons le transcrire en droit. Tel est le sens du projet de loi organique qu'examine aujourd'hui, après le Sénat, l'Assemblée nationale.

Vous avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la teneur de chacun des articles de ce texte. J'y reviens d'un mot. L'article 1er crée une procédure exceptionnelle d'inscription d'office sur les listes électorales générales de Nouvelle-Calédonie pour tout Français majeur domicilié depuis au moins six mois dans une commune de ce territoire, mais encore non-inscrit. Cette mesure exceptionnelle concourt, in fine, à l'exhaustivité de la liste électorale spéciale à la consultation, pour partie constituée à partir des listes générales.

L'article 2 crée un nouveau cas d'inscription d'office sur la liste électorale spéciale à la consultation. Il bénéficie aux natifs de Nouvelle-Calédonie qui, dès lors qu'ils y ont été domiciliés de manière continue pendant trois ans au moins, bénéficieraient d'une présomption simple de détention sur le territoire du centre de leurs intérêts matériels et moraux.

L'article 3, sur lequel je veux insister, prend en considération la situation des électeurs résidant sur la Grande Terre et inscrits sur les listes électorales des communes insulaires de Bélep, de l'île des Pins, de Lifou, de Maré et d'Ouvéa ; il leur permet de prendre part plus facilement à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté en ouvrant, de manière dérogatoire au droit commun, des bureaux de vote délocalisés sur le territoire de la commune de Nouméa. Comme je l'indiquais en commission des lois, la démographie calédonienne a fortement évolué au cours des trente dernières années. La province Sud rassemble désormais 74 % de la population, contre 19 % pour la province Nord et 7 % pour les îles Loyauté.

Sur ces questions, la mesure proposée est une bonne solution. Le Sénat a bien agi en encadrant en contrepartie, à l'article 3 bis, les possibilités de procuration : comme je l'ai constaté avec Christian Jacob, la présidente de la commission des lois Yaël Braun-Pivet, Naïma Moutchou et David Habib lors de notre déplacement Nouvelle-Calédonie, les procurations, auxquelles on pouvait avoir recours, sont aujourd'hui encadrées pour éviter les risques de fraude. D'autres articles, enfin, traitent du temps d'antenne, afin d'en assurer la juste répartition à l'occasion de cette consultation qui doit être une réussite.

Mes chers collègues, la commission des lois s'est unanimement prononcée en faveur de ce projet de loi organique. J'aime à croire que nous en ferons de même dans l'hémicycle. La Calédonie construit son avenir : il y va aussi d'une passion française qui ne doit jamais oublier que ce territoire porte des valeurs. Celles-ci sont océaniennes, mélanésiennes, kanak, françaises, républicaines, européennes. Nous avons le devoir de prolonger ce qui a été engagé il y a trente ans, et d'assurer la réussite de la consultation du 4 novembre prochain.

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