Intervention de Jean-Louis Bricout

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Liste française des paradis fiscaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bricout :

De la pédagogie, il en faut, j'en suis plus que jamais convaincu. Nous vivons en effet un moment pour le moins particulier. Alors que l'imagination de véritables spécialistes de l'évasion fiscale, passés maîtres dans l'art d'échafauder des stratégies d'optimisation et de contournement fiscal, ne faiblit pas, on assiste dans le même temps à la propagation d'un discours méthodiquement organisé, visant à mettre à mal le principe même de l'impôt et son caractère redistributif. Si certains médias, dans lesquels de soi-disant « spécialistes » et « économistes » interviennent en ce sens, y contribuent, les effets de vos choix politiques commencent aussi à se faire sentir et ils ne sont pas pour rien dans le sentiment qui s'empare de nos concitoyens. Nos retraités, touchés de plein fouet par la hausse de la contribution sociale généralisée, peuvent en témoigner. En conséquence, l'incompréhension face au système d'imposition s'accroît et le niveau du consentement à l'impôt diminue. Pourtant, chacun a pu constater ces derniers temps, sous l'influence maligne de la neige et des différentes intempéries, que nos services publics sont plus que jamais nécessaires.

Or, sans pédagogie de l'impôt, on ne peut avoir des services publics forts pour nos concitoyens, surtout les plus fragiles d'entre eux, lorsqu'ils en ont besoin.

Bref, pour qui en douterait, l'actualité est là pour rappeler la pertinence de la démarche qui nous est présentée cet après-midi. Et les chiffres, implacables, résonnent comme une sentence ; ils révèlent une forme d'échec de la puissance publique à agir, et ce faisant nous invitent à réagir. D'après plusieurs études, les montants cachés dans les paradis fiscaux atteignent, selon les estimations, entre 5 000 et 10 000 milliards de dollars. Non moins de 50 % des transactions mondiales transiteraient par des paradis fiscaux, lesquels compteraient 4 000 banques et 2 millions de sociétés-écrans.

Par ailleurs, selon l'économiste Gabriel Zucman, 6 000 milliards de dollars seraient détenus par les ménages sur des comptes offshore, dont 200 milliards par des résidents français. Quant aux entreprises françaises, elles détiendraient 370 milliards d'euros sur de tels comptes. Enfin, et pour achever de faire chauffer nos calculatrices, chaque année, l'évasion et la fraude fiscales en France représenteraient un montant compris entre 60 et 80 milliards d'euros.

Ainsi le contexte, tout comme le constat que nous faisons sur nos territoires, suffiraient à eux seuls. À cet égard, la proposition de loi vient utilement renforcer les diverses dispositions qui ont été prises ces dernières années en matière de transparence et de lutte contre les paradis fiscaux : je pense notamment à la création de listes noires de paradis fiscaux dans plusieurs pays. À l'échelon européen, si les critères sont au nombre de trois – transparence, équité fiscale et adhésion aux mesures internationalement reconnues contre l'optimisation fiscale agressive – , on retient surtout que plusieurs exemptions sont prévues et que la liste noire entre en concurrence directe avec une liste grise moins contraignante.

Sur le fond, l'article 1er a plusieurs mérites, outre celui de proposer des critères plus larges et plus qualitatifs pour la définition des paradis fiscaux. La rédaction actuelle de l'article 238-0 A du code général des impôts comporte en effet une fâcheuse lacune, en ce qu'elle ne tient pas compte de la qualité de la coopération fiscale. L'article 1er, lui, n'exclut pas automatiquement les pays membres de l'Union européenne de la liste des États et territoires non coopératifs – ETNC. En revanche, il exclut automatiquement les États et territoires les moins avancés, qui ne disposent pas de centres financiers, et fixe un calendrier précis pour la mise à jour de la liste chaque année. Il oblige enfin le Gouvernement à justifier ses choix tous les ans devant le Parlement – ce serait une bonne nouvelle – , à travers la remise d'un rapport.

Quant à l'article 2, il est pertinent à double titre. Toutes les enquêtes relatives aux paradis fiscaux mettent en avant le rôle des banques en matière d'évitement fiscal. La lutte contre les paradis fiscaux doit donc reposer sur deux jambes : définir les ETNC et prévoir des dispositifs de sanction crédibles à l'encontre des structures qui agissent dans ces États et territoires.

Au-delà d'un constat partagé, le groupe Nouvelle Gauche souhaite poursuivre, en votant ce texte, un combat au service la transparence fiscale. Ce combat doit s'inscrire dans une perspective beaucoup plus globale. Une fois les textes votés, nous devons tout mettre en oeuvre pour assurer leur pleine et entière effectivité juridique. Au-delà de l'aspect juridique, on s'aperçoit qu'il s'agit d'abord et avant tout d'un combat politique.

Ainsi, je m'interroge sur l'attitude groupe La République en marche. « Ce n'est qu'une étape dans la lutte contre la fraude ; le texte est incomplet ; le problème n'étant pas franco-français, il faut le traiter dans un périmètre plus large », a-t-on dit en commission. Pourquoi donc n'avez-vous pas amélioré le texte par des amendements ?

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