Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mardi 6 mars 2018 à 21h30
Accord transport aérien usa-ue-islande-norvège — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Ce projet de loi, qui fait suite à l'accord de transport aérien conclu entre l'Union européenne et les États-Unis le 30 avril 2007 et au protocole du 24 juin 2010 modifiant cet accord, étend le cadre juridique unique du transport aérien entre l'Union européenne et les États-Unis à l'Islande et à la Norvège.

Je mesure bien les spécificités insulaires de l'Islande – pays auquel j'adresse mes amitiés en tant que président du groupe d'amitié France-Islande – et les particularités septentrionales de la Norvège. Je ne nie pas l'intérêt pour ces deux pays de la levée des restrictions sur les liaisons internationales. Mais le problème n'est pas ici l'extension de l'accord à l'Islande et à la Norvège : il réside dans le fond du texte. Celui-ci entérine, et donc aujourd'hui élargit, une libéralisation nocive et inefficace du trafic aérien engagée par l'Union européenne. Il favorise le dumping social, porte atteinte à la souveraineté de l'État et contribue au final à dégrader l'environnement.

Cet accord de transport aérien entre l'Union européenne et les États-Unis consacre des principes qui doivent être débattus : la levée des restrictions sur les liaisons internationales entre l'Union et les États-Unis ; la liberté de tarification des services aériens ; la limitation des subventions et aides d'État, au prétexte qu'elles fausseraient la concurrence « loyale » et équitable entre les compagnies de transport aérien.

Comme d'habitude lorsqu'on dérégule un secteur, la Commission européenne nous fait miroiter des bénéfices faramineux, en termes économiques et de création d'emplois. Mais à quel prix ?

Si c'est au prix du développement des compagnies low cost qui pratiquent une concurrence totalement déloyale, que vient de décrire mon collègue Hutin, et au prix d'un dumping social au sein des États et entre les États, alors c'est inacceptable. Souvenez-vous : en 2015, la compagnie low cost Ryanair était pointée du doigt. Certains de ses pilotes et de ses hôtesses de l'air étaient contraints de loger dans des campings ! Voilà l'absurdité et le traitement insupportable auxquels nous conduit la logique de compression des coûts à tout prix.

Écarter toujours plus les États pour accompagner la croissance de l'aérien, comme le veut le texte, c'est choisir un modèle économique qui n'est efficace ni pour la collectivité, ni pour les contribuables. Car cette augmentation du trafic se fait essentiellement par les compagnies low cost. Or, de l'aveu même de la Cour des Comptes – en 2008, c'est-à-dire au moment même où cet accord était signé – ces compagnies vampirisent les financements publics des collectivités territoriales qui essayent tant bien que mal de faire survivre leurs infrastructures. En d'autres termes, le développement d'un « tout avion » au rabais, socialement et économiquement, est malsain. Il est « chroniquement déficitaire » – ce sont les termes de la Cour des comptes – et ne survit que parce que le portefeuille des Français est forcé d'alimenter la machine.

En outre, ces largesses budgétaires accordées par les collectivités aux compagnies low cost frisent l'illégalité. On peut par exemple citer le cas d'une campagne marketing payée 1,4 million d'euros à une filiale de Ryanair par l'aéroport de Strasbourg. Le tribunal administratif a jugé qu'il n'y avait pas eu de réelle contrepartie commerciale à cette somme versée par un établissement public. Il s'agissait donc d'une subvention publique illégale. La Cour des comptes recommandait d'ailleurs d'améliorer le rôle de l'État régulateur et de se montrer plus ferme à l'égard des compagnies aériennes dans les contrats de régulation.

Par ailleurs, et dans un souci d'équilibre, ce projet impose alors une contrainte de réciprocité jusqu'alors inexistante : les compagnies américaines ne pourront être propriétaires majoritaires d'une compagnie européenne ni en assurer le contrôle effectif. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce n'était pas le cas jusqu'ici ! On peut s'en satisfaire, mais on peut aussi se rendre compte que cela aurait dû être le cas depuis longtemps.

Malgré ces détails de mise en place d'une certaine réciprocité finalement assez anecdotique, nous ne pensons pas que cet accord puisse être bénéfique pour qui que ce soit, en tout cas ni pour la coopération internationale en matière de transport aérien, ni pour l'environnement. Je considère en effet que cet accord favorise l'essor du transport aérien sans aucune considération écologique. Il n'instaure aucune restriction relative au nombre de vols ni au type d'aéronef.

Et pourtant, l'Association internationale du transport aérien prévoit un doublement du nombre de passagers aériens dans le monde d'ici à 2035. Au regard du coût en carbone du transport aérien, c'est une mauvaise nouvelle pour la planète : il représente environ 20 % des émissions de carbone dans les transports, eux-mêmes premiers postes d'émission de CO2. L'empreinte carbone par avion est beaucoup trop importante pour ne pas réguler les flux actuels.

Des solutions nouvelles doivent être trouvées pour répondre à cette croissance, et un tel accord ne peut faire abstraction de ce problème !

Ce projet de loi fait mine de reconnaître l'importance de la protection de l'environnement mais seulement si cela n'entrave pas l'exercice des droits prévus par l'accord. Nous devrions pourtant, d'urgence, inverser la priorité : c'est à l'économie de s'adapter à l'impératif écologique, et non l'inverse. Dimanche dernier, des températures de 30 degrés au-dessus de la normale saisonnière ont été observées au pôle Nord. Renversons la logique, c'est urgent !

La protection du climat passe après les considérations économiques et le respect de la concurrence dans l'accord, puisqu'il y est dit que « les parties entendent collaborer pour limiter ou réduire, de façon économiquement raisonnable, les incidences de l'aviation internationale sur l'environnement » et que « lorsqu'une partie examine des projets de mesures de protection de l'environnement à l'échelon régional, national ou local, il convient qu'elle en évalue les effets négatifs possibles sur l'exercice des droits prévus dans le présent accord ».

Ainsi, si une partie estime que la protection de l'environnement dans le domaine de l'aviation soulève des difficultés quant à l'application ou la mise en oeuvre de l'accord, elle ne peut que s'en plaindre auprès d'un comité mis en place par l'accord. Je ne savais pas que le slogan « Make our planet great again » signifiait concrètement l'ouverture de bureaux des pleurs !

En poursuivant l'objectif de l'établissement d'une concurrence parfaite, cet accord participe d'une dérégulation totale. Dès le préambule, l'accord rappelle ainsi son objectif premier qui est de « promouvoir un système de transport aérien international fondé sur la concurrence entre transporteurs aériens, sur un marché soumis à un minimum d'intervention et de régulation étatiques ».

Nous pensons au contraire que cette affaire est trop sérieuse pour que l'État en soit écarté. L'État doit évidemment intervenir et même être le principal acteur de la gestion du trafic aérien et de la protection de l'environnement. L'ouverture à la concurrence et la dérégulation totale voulues par ce texte sont parfaitement déraisonnables. Elles sont contraires à la logique de coopération et de respect de l'environnement.

Il faudrait faire tout l'inverse : renforcer la régulation étatique du trafic aérien et préserver le rôle de l'État dans la gestion des aéroports – contrairement aux projets de privatisation de plus en plus nombreux – notamment pour mieux protéger l'environnement, ce que le marché est incapable de faire.

La raison pour laquelle nous voterons contre ce projet de loi ne tient donc pas à son extension à l'Islande et à la Norvège, mais aux conditions économiques, écologiques et de concurrence dans lesquelles l'accord va s'appliquer.

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