Intervention de Michèle de Vaucouleurs

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle de Vaucouleurs :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe La France insoumise, avec cette proposition de loi, entend légaliser l'euthanasie et le suicide assisté.

Si la question était de savoir si, à titre personnel, je suis favorable à l'euthanasie ou au suicide assisté, je répondrais probablement oui, comme un grand nombre de Français lorsqu'on leur pose cette question, parce que, comme la plupart d'entre nous, je ne veux pas imaginer une mort ou une existence avec des souffrances physiques ou psychologiques insupportables.

Mais la question n'est pas celle-là. Il s'agit ici de savoir s'il convient de légiférer pour permettre à des personnes souffrant d'une maladie grave ou incurable de recourir légalement à des dispositifs médicaux visant à mettre fin à leur vie.

La façon dont notre société aborde la souffrance et la mort nous préoccupe tous car elle interroge notre humanité. Cette assemblée a ainsi largement débattu, à juste titre, de la question de la fin de vie et de l'euthanasie ces dernières années. La loi Claeys-Leonetti de 2016 a renforcé la loi Leonetti de 2005, en rappelant que toute personne a droit à une fin de vie digne, en inscrivant notamment le droit d'opposabilité des directives anticipées, ainsi que le droit à un réel apaisement des souffrances. Elle constitue une avancée majeure en termes de reconnaissance des droits des malades en fin de vie.

Outre la bienveillance vis-à-vis des patients, il est possible de recourir en cours de traitement, lorsque ceux-ci s'avèrent trop durs à supporter, à des périodes de sédation temporaires dans le but de soulager efficacement la douleur et d'avoir de réels moments de répit. Dans le cas de traitements n'ayant plus d'efficacité, une sédation profonde et continue peut-être envisagée.

Cette loi a également consacré l'accès aux soins palliatifs et le droit pour toute personne à une fin de vie digne et apaisée, les professionnels mettant tout en oeuvre pour que ce droit soit respecté. Cependant, à ce jour, 80 % des patients n'ont pas accès aux soins palliatifs et un tiers seulement des médecins sont formés à la démarche palliative.

L'objectif des soins palliatifs est de prévenir et soulager les douleurs et syndromes dont souffre une personne atteinte d'une maladie grave ou incurable. Il s'agit d'une approche globale, qui doit prendre en compte tous les types de souffrances : physiques, psychiques, sociales. Les soins palliatifs ne se limitent théoriquement pas aux dernières semaines de vie : ils devraient pouvoir bénéficier aussi bien à des patients pour lesquels les soins curatifs n'apportent plus de perspective d'évolution favorable – quel que soit le stade de la maladie – qu'aux patients vivant des étapes difficiles au cours de leur traitement, afin d'atténuer par tous les moyens leurs symptômes ou leur souffrance psychique dans les moments où il n'est pas possible d'avoir une action sur la cause de ces souffrances.

En cela, les soins palliatifs relèvent de la bientraitance et, dans une société qui se voudrait très évoluée et qui se donnerait les moyens de cet humanisme, la question du soin palliatif devrait s'imposer comme une évidence au soignant. Or les personnels des unités de soins palliatifs déplorent un manque de moyens criant. La légalisation de l'euthanasie ne viendrait pas résoudre le problème majeur qui fait qu'en France un nombre beaucoup trop important de personnes meurent mal. L'offre en soins palliatifs n'est pas assez diversifiée, le nombre de demandes est supérieur à celui des places disponibles et le manque de moyens, à la fois financiers et humains, crée des disparités entre unités et entre patients.

Nous souffrons, dans notre pays, d'un manque de culture en matière de soins palliatifs. Si l'on peut citer en exemple la Belgique et la Suisse pour leur ouverture à une demande d'euthanasie et de suicide assisté, nous nous devons de préciser que ces possibilités trouvent leur sens dans un continuum de soins, dans lequel les soins palliatifs ont une place privilégiée – ce n'est pas encore le cas en France.

Il est vrai que, ces dernières années, un certain nombre de situations complexes nous ont interpellés, telles que celles de Vincent Lambert ou d'Anne Bert. Le cas de cette dernière, qui a souhaité raccourcir sa vie en raison du caractère insupportable pour elle de l'évolution de sa maladie, est sans nul doute l'une des situations exceptionnelles pour lesquelles nous pourrions être amenés à faire évoluer la législation au cours des prochaines années.

Toutefois, les témoignages des soignants et des bénévoles en soins palliatifs sont unanimes : nombreux sont les patients qui entrent en soins palliatifs en demandant d'en finir au plus vite – si cela était possible grâce à une « petite piqûre » – et qui vivent en étant bien accompagnés de précieuses dernières heures, derniers jours ou dernières semaines, en ayant encore pu prendre ou donner de belles choses à la vie.

Le cas de Vincent Lambert, dont la famille s'est déchirée pour savoir s'il fallait arrêter les soins ou les poursuivre, pose la question des directives anticipées. Si aujourd'hui toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite appelée « directives anticipées » pour préciser ses souhaits concernant sa fin de vie, un grand nombre de personnes ignore l'existence de cette possibilité.

Ce droit existe depuis la loi Leonetti de 2005 mais, en 2012, seuls 2,5 % des patients en fin de vie avaient rédigé leurs directives anticipées. La loi de 2016 prévoit que les directives anticipées s'imposent au médecin, sauf en cas d'urgence vitale, pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation, et lorsqu'elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

La désignation d'une personne de confiance est également essentielle. Le choix de plusieurs tiers, comme on le propose dans l'article 2 de cette proposition de loi, pourrait avoir du sens, mais il conviendrait de limiter leur nombre à deux car la multiplication des parties prenantes pourrait complexifier de manière significative la relation avec l'équipe médicale.

À l'examen de cette proposition de loi, d'autres questions se posent. L'article 3 dispose qu'une personne peut exprimer sa volonté d'être euthanasiée ou de bénéficier d'une assistance au suicide lorsqu'elle « est atteinte d'une affection grave ou incurable ». La question du curseur à placer est ici capitale : à partir de quand juge-t-on qu'une maladie est suffisamment grave pour que la vie du patient soit abrégée ? À partir de quel degré de souffrance peut-on estimer que celle-ci n'est plus supportable ? Si les souffrances psychiques peuvent être absolument intolérables, un médecin doit-il abréger la vie d'un patient souffrant d'une dépression grave ? Ces questions sont extrêmement délicates et doivent être traitées avec la plus grande précaution.

Il faut définir un cadre clair et les médecins ne doivent pas être laissés seuls, ni même à deux, pour prendre une décision pouvant se révéler extrêmement difficile. Au même titre que pour la sédation profonde, c'est la collégialité entre les soignants qui peut permettre à des médecins, dont la fonction est de soigner, d'admettre qu'un acte de mort soit la seule réponse qu'ils puissent apporter à un patient.

Par ailleurs, l'article 4 prévoit la mise en place d'une clause de conscience autorisant les médecins qui le souhaitent à ne pas participer à un acte d'euthanasie ou à un suicide assisté. En effet, ces actes, qui sont loin d'être anodins, ne peuvent être imposés aux médecins. Nous souhaiterions cependant aller plus loin en précisant que, d'une façon générale, aucun médecin ne serait tenu de participer à une euthanasie ou à une assistance au suicide, ces actes devant faire l'objet d'une démarche réellement volontaire de la part des médecins.

De plus, il paraît essentiel, si nous venions à légaliser l'euthanasie, que les médecins y soient correctement formés, pour accompagner au mieux le patient dans son parcours. Nous estimons que, sans davantage de formation des équipes médicales et sans une réelle démarche volontaire, l'euthanasie et le suicide assisté ne peuvent être réalisés dans des conditions acceptables.

Il convient donc avant toute nouvelle loi en la matière d'évaluer la loi Claeys-Leonetti, d'en faire connaître les dispositions au grand public et au personnel médical en réalisant des campagnes d'information régulières sur les droits qu'elle a créés, et de favoriser une égalité territoriale d'accès aux soins palliatifs, afin de donner au plus grand nombre la possibilité de mieux vivre la fin de leur vie.

Pour les raisons évoquées, le groupe MODEM votera contre cette proposition de loi.

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