Intervention de Jean-Louis Touraine

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine :

Le débat que nous avons ce soir est important et je remercie Mme Fiat, la rapporteure, de nous en offrir l'occasion. Il est au coeur de la société française depuis de nombreuses années et ce n'est pas un hasard si trois propositions de loi ont été déposées sur ce sujet depuis l'été dernier.

Plus que d'un problème de bioéthique stricto sensu, puisqu'il ne résulte pas vraiment de progrès scientifiques, il s'agit d'une question de société et du choix du mode de solidarité qui s'applique au moment de la fin de vie.

Tous ici, nous connaissons les insuffisances de notre système. Tous, nous insistons pour que les soins palliatifs soient développés à un niveau beaucoup plus élevé. En effet, seuls un tiers des malades qui le devraient peuvent, dans les faits, en bénéficier. D'autres dispositifs précédemment votés sont eux aussi insuffisamment développés.

Même amélioré, notre arsenal est-il suffisant ? Apparemment non, d'après un grand nombre de nos collègues ici présents ou d'après des sondages d'opinion qui montrent que 89 % des Français aspirent à une légalisation de l'euthanasie etou du suicide assisté.

Il n'y a dans l'esprit de nos concitoyens aucune opposition entre le déploiement de l'aide active à mourir et le renforcement d'un accès généralisé aux soins palliatifs. C'est d'ailleurs chez les malades en soins palliatifs que se pose la question du choix entre euthanasie et agonie. Comme l'exprime Anne Bert, dans de telles circonstances, il ne s'agit pas de donner la mort – c'est la maladie qui tue, le malade n'ayant alors le choix qu'entre deux types de mort, plus ou moins paisibles.

Offrir une option aux malades en situation d'impasse thérapeutique peut être perçu comme une avancée, une liberté, un droit nouveau. Cela peut aussi donner du sens aux directives anticipées, car le choix de fin de vie sera alors respecté, même s'il implique une dispense de d'agonie.

Faut-il voter de telles mesures ce soir ? Légiférer dans ce domaine n'est plus possible avant quelques mois car les Français sont, depuis quelques jours jours, appelés à des concertations multiples, amples et ambitieuses sur le sujet. Le Comité consultatif national d'éthique organise, avec les espaces éthiques régionaux, des débats dans toutes les régions françaises. Le Conseil économique, social et environnemental procède à de larges auditions, comme notre commission des affaires sociales, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques – l'OPECST – et plusieurs autres organismes. L'inspection générale des affaires sociales et diverses missions évaluent l'état actuel de la prise en charge de la fin de vie en France.

Quelle insulte ce serait pour les centaines de milliers de Français mobilisés dans la réflexion participative si nous leur disions que la loi est votée et qu'ils n'ont plus qu'à passer leur chemin ! Quel mépris pour la démocratie si l'on n'attendait pas la conclusion de toutes ces concertations !

Le temps du débat s'achèvera au début de l'été. Nous pourrons alors reprendre le cours de nos travaux, que nous jugeons autant que vous, madame Fiat, importants et urgents. Nous aurons entendu beaucoup plus précisément les divers points de vue – les uns favorables, les autres réticents à l'euthanasie. Le respect mutuel aura le temps de s'instaurer.

On me dira que des débats ont eu lieu pendant des années, ad nauseam, et qu'il faut maintenant agir. Non : nous ne pouvons pas agir quand nombre de Français, prenant en main leur destin, nous préparent une feuille de route, une inspiration, un sens. Ce sont eux qui nous diront plus précisément où mettre le curseur. Soyons prudents sur ces points, qui ne sont pas des détails.

Lorsque vous suggérez, madame la rapporteure, d'étendre l'euthanasie à des personnes souffrant d'une maladie grave et qui le désirent, vous sortez du cadre de la fin de vie. Les cancers sont ainsi des maladies graves, mais la moitié d'entre eux sont curables et la majorité des médecins seraient vraisemblablement opposés à l'euthanasie dans le cas d'un malade susceptible de guérir de sa maladie.

Vous le voyez, mes chers collègues : il convient d'attendre la fin de la concertation pour choisir les termes les plus appropriés de la loi future sur la fin de vie. Madame la rapporteure, nous nous retrouverons très prochainement et aboutirons ensemble aux compléments législatifs que les Français espèrent.

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