Intervention de Jean Terlier

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Récépissé de contrôle d'identité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nos collègues de la France insoumise nous proposent de discuter sur une proposition de loi visant à mettre en place à titre expérimental un récépissé de contrôle d'identité pour lutter contre les contrôles répétés dont certains de nos concitoyens feraient systématiquement l'objet. Dans l'exposé des motifs, nos collègues expliquent que ce récépissé répondrait au besoin d'établir une traçabilité des contrôles. Une telle proposition a déjà été faite, et à plusieurs reprises, mais cette mesure a toujours été repoussée ou abandonnée, à juste titre.

En effet, la crainte que ce récépissé, constituant un totem d'immunité que les individus pourraient brandir pour éviter des contrôles ultérieurs justifiés, ne soit un dispositif de défiance envers nos forces de l'ordre, justifiait et justifie aujourd'hui encore que nous refusions sa mise en oeuvre. Qu'il y ait eu et que persistent des contrôles d'identité irrégulièrement effectués etou motivés, nous ne le contestons pas, loin de là. Mais gardons-nous de vouloir, avec cette proposition, les généraliser, et surtout, à l'inverse, évitons le piège de la stigmatisation !

Au contraire, il nous faut à tous adresser un message positif. J'ose faire aujourd'hui le pari de la confiance et croire que, depuis plusieurs mois, le rapport de confiance entre citoyens et forces de l'ordre s'est restauré. Et c'est en cela que nous échouerons si nous devions, nous, représentants de la nation, par nos mots, renouer avec des maux que nous condamnons tous. Gardons-nous de laisser penser, en autorisant le contrôlé à contrôler le contrôleur, que nous doutons, que nous nous défions de celles et ceux qui ont pour mission essentielle et primordiale de nous protéger et d'assurer notre sécurité !

Je tiens à rappeler que le cadre juridique des contrôles d'identité est défini et encadré par le code de procédure pénale, et précisé et réitéré par la jurisprudence. Aussi, affirmer que le récépissé doit permettre aux citoyens qui s'estiment discriminés de disposer de bases matérielles pour prouver qu'ils sont contrôlés de manière trop répétitive, c'est nier les décisions jurisprudentielles récentes. Bien plus, c'est omettre sciemment de dire que nos concitoyens ont déjà le droit et les moyens d'ester, et c'est aussi feindre d'entretenir des tensions que nous nous souhaitons apaiser. Je vous le rappelle en effet, chez collègues : ces dispositifs juridiques préexistent à votre proposition.

D'abord, le cadre du contrôle d'identité de police administrative ou de police judiciaire est parfaitement délimité par l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui exige, pour justifier le contrôle, des « raisons plausibles de soupçonner » ou laissant penser que le contrôlé a commis ou va commettre une infraction, ou y a participé ou va y participer. Ce contrôle a vocation à prévenir les atteintes. Dès lors, les fonctionnaires sont obligés d'indiquer le motif du contrôle quand celui-ci donne lieu à une procédure.

Ensuite, la jurisprudence a pris la mesure du problème et, à ce titre, a déjà réagi, notamment le 9 novembre 2016, lorsque la Cour de cassation a jugé que les contrôles discriminatoires constituent une faute lourde commise par l'État, auquel incombe alors la charge de prouver qu'il n'y a pas discrimination lors d'un contrôle. Le récépissé constituerait donc un renversement de la charge de la preuve, sans pertinence probante au sens de la jurisprudence.

Cela ne veut pas dire a contrario que les policiers ou les gendarmes ont champ libre. Déjà, en 1993, le Conseil constitutionnel estimait que tout contrôle d'identité doit être motivé, les policiers devant justifier « de circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public », ajoutant à cela en 2017 qu'« il incombe aux tribunaux compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables ».

Dès lors, comment ne pas penser que ce récépissé participera d'une spirale qui exacerbera les tensions en détournant le contrôle de ses intérêts et du bien-fondé de ses objectifs, en autorisant, je le répète, le contrôlé à contrôler le contrôleur ? Vous voudriez prendre le risque d'inverser la responsabilité, les forces de l'ordre devant alors justifier qu'elles opèrent le contrôle pour prévenir le trouble à l'ordre public.

Plus préjudiciable et invraisemblable encore serait la situation qui naîtrait assurément de ce récépissé dans le cadre d'une enquête judiciaire. Imaginez-vous cette situation incongrue, pour ne pas dire parfaitement ubuesque : les forces de police ou de gendarmerie devront, pour délivrer un récépissé recevable, indiquer comme motivation de celui-ci certains des éléments d'enquête, des éléments de suspicion qui, en l'occurrence, sont bien sûr ces mêmes motifs qui justifient l'ouverture d'une procédure et bien entendu le contrôle d'identité ! Irréaliste et dangereux !

Permettez-moi donc de douter de la pertinence et de l'intérêt d'un tel formulaire, à moins que vous ne vouliez doter les fauteurs de troubles de moyens procéduraux et de dispositifs d'entrave à la justice. Ce récépissé pourrait le devenir, car rien ne nous est confirmé quant à sa portée réelle. L'absence de motivation, ce serait un contrôle annulé ; un contrôle annulé, c'est un acte de procédure vicié. Or un acte de procédure vicié, c'est trop de risques quand le fauteur est un fauteur.

Par contre, bien sûr, il nous faut travailler à rendre les contrôles d'identité plus lisibles. Assurément, nous devons nous assurer de sanctionner les agissements pervertis, quel qu'en soit l'auteur, quand ils existent et persistent. Mais prenons garde qu'en imposant un formalisme administratif supplémentaire et une forme de récépissé trophée, nous ne donnions une caution aux fauteurs et nous n'obligions l'autorité à passer la main en matière de sécurité !

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