Intervention de Frédérique Tuffnell

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 15h00
Accès à l'eau — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Tuffnell :

De par mon engagement associatif, en Inde, auprès de membres de la caste des intouchables, j'ai marché aux côtés de femmes, de jeunes filles et d'enfants qui doivent parcourir des kilomètres, tous les jours, sous un soleil de plomb, pour aller chercher l'eau au puits le plus proche, une eau vitale et pourtant systématiquement insalubre.

Oui, pour avoir vécu cette expérience, je mesure « l'importance que revêt l'accès équitable à une eau potable salubre et propre et à des services d'assainissement », ce droit de l'homme fondamental défini en ces termes par la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 28 juillet 2010, que la France a adoptée.

Néanmoins, je n'adhère pas aux conditions prévues par le texte qui nous est proposé. Cette proposition de loi constitutionnelle part en effet du constat que le droit français est insuffisant pour garantir l'accès de tous à l'eau et qu'il est donc nécessaire d'inscrire ce droit dans le bloc de constitutionnalité pour en garantir l'effectivité. Or rien n'est moins évident.

Sur la forme, déjà, le véhicule législatif choisi, comme cela a déjà été dit, n'est à mon sens pas le bon. Ce n'est pas en adossant un principe à la Constitution, notamment en l'inscrivant dans la Charte de l'environnement, que nous créerons concrètement plus de droits pour nos concitoyens – des droits qui sont déjà garantis par notre corpus législatif.

Sur le fond, maintenant : historiquement, en France, l'eau potable coulait librement dans les fontaines et les lavoirs des villes et des villages. À Paris, la première fontaine Wallace a été posée en 1872, sur le boulevard de la Villette, pour offrir un plus libre accès à l'eau potable. Les Parisiens disposent aujourd'hui de 1 200 points d'eau, de plus de 400 toilettes publiques et de plus de dix-huit bains-douches. La mise en place de ces infrastructures relève de la responsabilité des collectivités et non du constituant.

Au cours des dernières années, le droit à l'eau a été formalisé dans plusieurs textes. Ce droit reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle, découlant du droit à un logement décent, est ainsi garanti par la loi Brottes, qui interdit les coupures d'eau pour cause de factures impayées, et à l'article L. 210-1 du code de l'environnement, qui dispose que « l'usage de l'eau appartient à tous » et que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Vous soulignez également, dans votre rapport, les chiffres de l'Organisation mondiale de la santé : dans le monde, 3,5 milliards de personnes boivent une eau dangereuse ou de qualité douteuse, 2,4 milliards n'ont pas d'assainissement adéquat et 6 millions, dont 2 millions d'enfants, meurent chaque année des conséquences de l'insalubrité de l'eau et du manque d'assainissement.

Il faut le reconnaître, cette situation dramatique risque encore de s'aggraver sous l'effet de l'intensification des phénomènes climatiques majeurs tels que les sécheresses ou les inondations, responsables de la contamination des eaux de surfaces et poussant à une utilisation accrue des eaux souterraines, d'autant que les effets du changement climatique sur la ressource en eau seront encore aggravés par d'autres causes globales de changement, dont la croissance démographique, l'urbanisation et le changement d'utilisation du territoire.

Toutefois, au plan national, si nous devons nous préoccuper des laissés-pour-compte de l'eau potable, l'accès à la ressource est pour l'instant garanti, tant qualitativement que quantitativement. Il convient surtout de la préserver, pour mieux la partager.

Si nous voulons progresser vers une plus grande équité dans l'accès à la ressource – et je crois que nous le voulons tous – peut-être serait-il judicieux d'attendre les retours de l'expérimentation qui est menée en matière de tarification sociale de l'eau, dans le cadre de la loi Brottes. Cette expérimentation, qui donne la possibilité aux collectivités territoriales ou à leurs groupements de mettre en place une « tarification sociale de l'eau » ou un soutien financier au paiement des factures d'eau, permettra d'identifier les solutions adaptées aux différentes collectivités et d'en évaluer l'impact ainsi que les coûts de gestion. Les plus pertinentes pourront ensuite être généralisées à l'ensemble du territoire. Elles seront certainement débattues lors des assises de l'eau de mars prochain.

Vous souhaitez, enfin, imposer que l'approvisionnement en eau et son assainissement soient assurés exclusivement par l'État ou les collectivités en régie directe : sur ce point, il me semble que nous devons préserver le libre choix des collectivités territoriales.

C'est pourquoi, si je vous rejoins sur le principe d'un droit à l'eau, humain et universel, je pense aussi que nous devons répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Pour les raisons que j'ai évoquées, je ne voterai pas ce texte.

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