Intervention de Sophie Auconie

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 15h00
Accès à l'eau — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Auconie :

En effet, après un examen approfondi, le texte apparaît peu convaincant tant ses lacunes sont manifestes sur le fond comme sur la forme.

Sur le fond, tout d'abord, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, adoptée le 30 décembre 2006, a consacré le droit pour tous d'accéder à l'eau potable dans des « conditions économiquement acceptables ».

Puis, les Nations unies ont confirmé la reconnaissance officielle de ce droit, en 2010, alors que dans le monde, plus de 850 millions de personnes n'ont pas accès à une ressource d'eau salubre, 3 milliards n'ont pas de robinet d'eau à domicile et 2 milliards et demi ne disposent pas d'un service d'assainissement de base qui les protégerait des maladies hydriques.

La contrepartie du droit individuel à l'eau est une obligation pour les pouvoirs publics d'organiser progressivement l'accès à l'eau pour leur population et d'inscrire ce droit dans leur législation.

En France, l'enjeu n'est plus de garantir l'accès au service car aujourd'hui près de 99 % de la population y est desservie. Par ailleurs, la facture d'eau et d'assainissement représente en moyenne moins de 1 % des dépenses des ménages. Nous nous situons dans la moyenne basse de l'Union européenne.

Le vrai sujet est celui des ménages les plus démunis, qui ont du mal à payer leur facture d'eau, et de l'effectivité du droit à l'eau pour les personnes qui ne sont pas raccordées au réseau. Je pense aux personnes sans domicile fixe, aux membres de la communauté des gens du voyage, aux squatters ou encore aux migrants.

En France, près d'un million de personnes devraient bénéficier d'aides, du fait d'une tarification sociale ou parce qu'elles ne sont pas raccordées aux réseaux – aujourd'hui, dans notre pays, près de 140 000 sans-abri n'ont pas accès à l'eau. Or, l'on estime à seulement 200 000 le nombre de personnes aidées. Ce sont ces chiffres inacceptables que nous devons retenir, car ils témoignent de l'insuffisance des dispositifs en place, pourtant nombreux.

La logique de l'application du droit humain doit nous conduire à nous adresser à cette population en priorité. C'est tout l'enjeu du débat d'aujourd'hui et c'est pourquoi je regrette qu'une motion de rejet ait été déposée car le principe même de ces niches est de nous permettre de débattre de sujets essentiels. Une motion de renvoi en commission aurait été préférable.

Pour ce qui est des personnes sans-abri ou vivant sans autorisation dans un logement qui n'est pas raccordé à l'eau, il revient aux collectivités locales de répondre à leurs besoins. Il faut installer des fontaines publiques, des toilettes publiques, des douches publiques, véritablement accessibles. Il existe des moyens européens pour cela.

Pour les ménages dont le logement est raccordé à un réseau public, la facture d'eau ne doit pas dépasser 3 % de leur revenu. Ce ratio a été fixé par l'OCDE, qui considère qu'au-delà de cette part du budget familial, l'eau représente un poids trop lourd, qu'il faut atténuer.

Cela étant, il est évident que le principe selon lequel « l'eau paye l'eau » doit être maintenu pour éviter les gaspillages, ce qui ne signifie pas que tout le monde doive payer la même chose.

Nous avons été nombreux à rappeler, à la suite du rapporteur, ou encore de Mme la ministre, que la loi Brottes de 2013 autorise les tarifications progressives. Une cinquantaine de collectivités l'expérimentent actuellement. Pour présider le CCPQSPEA – comité consultatif pour la qualité et le prix des services publics de l'eau et de l'assainissement – qui est à l'origine du lancement de cette expérimentation, je regrette que seules cinquante collectivités aient répondu favorablement à l'initiative. Le premier rapport d'étape est en cours d'élaboration et nous pourrons bientôt mesurer l'intérêt de cette tarification progressive, prévue par la loi Brottes.

Nous devons évidemment veiller à l'équilibre économique du service. La quasi-gratuité de la première tranche se répercute sur les autres consommateurs, notamment les plus gros, avec le risque réel que les industriels se déconnectent du réseau public au profit d'installations autonomes et au détriment de l'équilibre économique du service public. L'enjeu est réel.

Par ailleurs, ne confondons pas tarification progressive et tarification sociale. La première bénéficie à tous les abonnés, quels que soient leurs revenus. La seconde ne s'adresse qu'aux populations qui ont des difficultés de paiement. C'est vers ces populations que nous devons orienter nos actions, ce qui implique de connaître très précisément la situation sociale des abonnés au service. C'est aujourd'hui loin d'être évident mais cela constitue un préalable indispensable.

Ainsi, c'est au niveau local qu'il appartient aux collectivités d'identifier, grâce à des outils statistiques adaptés, les personnes en difficulté. Les aides personnelles à ces personnes ont le mérite de cibler les populations concernées. Citons ainsi les aides du Fonds solidarité pour le logement – FSL – , lesquelles n'ont pas totalement répondu ou de manière insatisfaisante, à la précarité en matière d'accès à l'eau : près d'un quart des départements ne sont pas encore dotés de la compétence FSL et n'ont pas encore passé d'accord avec les opérateurs.

Citons également le chèque-eau, très efficace pour secourir des personnes en situation de précarité sur une période courte.

Faisons donc confiance aux collectivités et aux structures existantes. Soutenons-les. Les centres communaux d'action sociale sont habilités à gérer ces difficultés et à rendre un service de proximité, pour une problématique locale, avec un suivi plus poussé.

Enfin, au niveau communautaire, il existe un programme européen d'aide aux plus démunis – PEAD – , lié au Fonds social européen – FSE. Nous pourrions examiner, et c'est là une valeur ajoutée que le Gouvernement pourrait apporter, comment mobiliser ces outils pour abonder les investissements consentis et les moyens accordés par les collectivités et les opérateurs pour un accès social à l'eau. Ainsi, les toilettes ou les douches publiques que j'évoquais tout à l'heure, pourraient être financées par le PEAD.

La durabilité des services de l'eau en France impose de traiter, à la fois, la question économique au moment où le renouvellement d'un patrimoine vieillissant s'impose, la problématique environnementale avec la directive européenne de reconquête de la qualité de l'eau et des milieux aquatiques, la question de santé publique avec l'émergence des micropolluants et l'impératif social du droit à l'eau pour tous. La problématique de l'eau est beaucoup plus globale que celle retenue dans votre texte, monsieur le rapporteur.

Parallèlement, et toujours sur le fond, nous tenons à appeler l'attention de notre auditoire sur le fait que si l'eau est un droit, elle est aussi un devoir. Ce débat sur les mésusages de l'eau dépasse le cadre de cette proposition mais il est important de rappeler que la gratuité de l'eau ne doit pas aboutir à déresponsabiliser le citoyen quant à la nécessité de l'économiser.

Un mot de la méthode enfin. Il nous semble qu'une proposition de loi constitutionnelle ne constitue pas l'outil législatif le plus pertinent. Il convient de revisiter la Constitution française avec précaution et seulement à titre exceptionnel. En l'espèce, cette proposition de loi pourrait ouvrir la voie à de multiples modifications superflues de ce texte fondateur. Dans la même logique, ne faudrait-il pas par exemple y inscrire le droit inaliénable du citoyen à l'accès à l'électricité ou au gaz ? On pourrait décliner ce principe à propos d'une multitude de droits qu'énoncent déjà, de manière sous-jacente, notre Constitution et notre appareil législatif.

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